Plus qu’une mode, les espaces de coworking commencent à prendre un peu d’ampleur au Luxembourg en répondant aux besoins des entreprises, mais également des travailleurs.
Les espaces de coworking ne cessent de prendre de l’ampleur au Luxembourg, comme le démontre l’arrivée de Spaces dans le quartier de la Gare qui vient d’ouvrir son premier espace de coworking de 6 400 m² sur sept étages, soit le plus grand du pays dont 30% sont déjà occupés. La société Spaces, filiale d’IWG qui commercialise également la marque Regus, ambitionne d’ouvrir en juin un second espace de 4 500 m² au boulevard Royal (dans l’ancien bâtiment de BGL BNP Paribas) et un troisième espace à la Cloche d’or en 2022 dans un futur bâtiment de cinq étages.
Actuellement, le Luxembourg compte 50 espaces de coworking. Un chiffre qui devrait rapidement augmenter. Les raisons de cet engouement sont multiples, allant d’un besoin de flexibilité pour des actifs qui ne veulent plus d’un bureau fixe dans une entreprise traditionnelle mais seulement d’un espace agréable pour se poser avec un ordinateur portable à des contraintes financières.
«J’identifie plusieurs facteurs importants qui font qu’aujourd’hui les gens travaillent autrement. Le premier, c’est la technologie. Grâce à elle, 70% de nos clients nous disent : « On peut travailler de n’importe où, de la maison, d’une gare, d’un aéroport. » La technologie va faire qu’il ne faudra plus être physiquement présent pour interagir. Malgré tout, si les jeunes générations sont très portées sur le virtuel, elles souhaitent du costudying, du coliving, du coworking, ce sont donc des personnes qui demandent beaucoup de contacts malgré tout», assure William Willems, le directeur général de Spaces Luxembourg, avant de continuer : «Deuxième élément, l’utilisateur lui-même qui a comme priorité la flexibilité. Selon une récente étude, on voit que les priorités des actifs sont la flexibilité, pouvoir travailler près du domicile et dans un environnement agréable dans lequel ils pourront s’épanouir. C’est ce que l’on offre avec Spaces.»
La flexibilité avant tout
Contrairement à ce que l’on peut croire, les espaces de coworking ne sont pas l’apanage des start-up. «On a pas mal de freelances et d’indépendants qui utilisent nos services, mais on voit également de plus en plus de grosses sociétés. Ces dernières, en dessous de 300 m², s’y retrouvent car c’est flexible et souvent mieux situé pour leur personnel», affirme William Willems. Car outre la flexibilité et les nombreux services déjà compris comme une salle de fitness, un des avantages des espaces de coworking réside dans la localisation des lieux. «Là encore, nous avons des retours de gestionnaires d’immeubles qui nous disent qu’ils n’ont pas assez d’espace ou qu’ils en ont trop, ou encore qu’ils possèdent des lieux trop centralisés et difficiles d’accès», précise le directeur général de Spaces Luxembourg.
Autre clé de la réussite du coworking et de Spaces, le réseau. Au Luxembourg, Spaces comptera trois sites d’ici 2022 et travaille déjà sur l’opportunité d’ouvrir un site à Belval. Avec sa marque Regus, IWG dispose d’un complément d’espace, soit douze sites pour 22 000 m². «Nous voulons aller plus loin, avec 30 sites, Spaces et Regus confondus, d’ici à 5-6 ans. Le réseau, c’est très important. Dans le monde, nous avons 300 sites Spaces, 3 500 sites avec Regus. Et les clients Spaces peuvent utiliser les espaces de Regus, qui sont plus « traditionnels ». Car il faut aussi le mentionner, tout le monde n’aime pas travailler dans des espaces comme Spaces au concept plus communautaire et ouvert. Certains préfèrent Regus et ses espaces plus classiques, plus de type entreprise», affirme William Willems.
La technologie se cache aussi derrière le coworking, l’idée étant de pouvoir réserver des espaces de travail partagés très simplement avec un smartphone ou encore d’avoir un accès à des salles de réunion, à un état sur la facturation, etc.
«On travaille sur l’aspect technologique : nous sommes en train de voir pour mettre en place une technologie basée sur le QR Code afin de donner accès à nos espaces de coworking, aux parkings et aux services additionnels», souligne William Willems.
La communauté, le cœur du coworking
Pour revenir sur le coworking en lui-même, le concept permet donc de louer un espace de travail dans un lieu bien localisé et assez convivial. Mais cela donne aussi la possibilité de réserver une salle de réunion si besoin en est. Tout comme il est possible de s’y installer de façon permanente et d’y laisser ses affaires et même d’aménager certains espaces selon ses goûts et ses besoins, tout en bénéficiant des espaces ouverts et des services additionnels. Le tout pour une somme relativement basse par rapport à la location d’un espace de bureau traditionnel.
Déjà présents sur le marché luxembourgeois depuis juin 2018, Silversquare et ses 2 300 m² rue Glesener affichent quasiment complet. Tout comme Spaces, Silversquare met l’accent sur la flexibilité mais surtout sur l’aspect «communauté» du concept.
«Notre but n’est pas uniquement de louer des espaces, mais bien de créer une communauté. Notre cœur de métier, c’est de nourrir notre espace, de favoriser le réseautage, la création des nouvelles affaires, l’innovation… et cela passe par la mise en relation de nos membres. Contrairement à des incubateurs, nous ne sommes pas concentrés uniquement sur les start-up. Cela se voit dans la diversité de nos membres, qui vont du freelance à l’indépendant en passant par de petites sociétés et de grands groupes. Cette diversité crée de l’interaction entre nos membres et débouche sur des collaborations professionnelles. Mais cette communauté est aussi ouverte sur l’extérieur et c’est important», assure Claudine Bettendroffer, la responsable de Silversquare Luxembourg avant de préciser : «Finalement, les synergies se sont faites assez naturellement entre nos membres. Nous avons créé le cadre et les événements. Le reste ce sont les gens qui, avec leurs rencontres, ont créé des synergies et des interactions de travail.»
Jeremy Zabatta
Né à Montmartre et à Berlin
Si le mot et le concept du coworking sont nés en Californie, ce dernier prend pourtant ses racines en France et en Allemagne.
Le coworking, ou espace de travail partagé, prend de plus en plus d’ampleur dans les plus grandes villes du monde. Une tendance qui a commencé il y a une quinzaine d’années à San Francisco, même si des initiatives similaires avaient vu le jour bien avant à Berlin et en France.
Bien avant l’avènement des nouvelles technologies, on retrouve l’ancêtre du coworking dans le secteur artistique avec des lieux comme La Ruche et le Bateau-Lavoir à Montmartre au début des années 1900. Ces deux lieux sont des espaces ou plutôt des ateliers permettant à des artistes, souvent sans ressources, de venir penser et exprimer leur art. Au fil des années, ces deux lieux propices à la création ont vu se côtoyer d’innombrables artistes, comme pêle-mêle Chagall, Modigliani, Picasso, Zadkine, Soutine, Charles Lemanceau, et bien d’autres encore.
En 1995, à Berlin, 17 personnes fondent le «C-Base», une association d’informaticiens, pour ne pas dire «hackers», voulant partager leurs connaissances informatiques dans un monde qui venait de voir la naissance d’internet cinq ans plus tôt. Un modèle repris en Autriche avec la création du Schraubenfabrik, un espace communautaire pour les entreprises. Entretemps, IBM avait déjà commencé à utiliser des espaces partagés, en 2000, nommés alors «bureaux à la demande». On se rapproche davantage de l’open space où les salariés n’ont plus de bureau attitré et doivent réserver une place en ligne. Un nouveau mode de travail, devenu aujourd’hui la norme dans les grandes entreprises, qui à l’époque avait fait bondir les syndicats dénonçant une destruction du milieu professionnel et un nomadisme forcé. IBM avait mis en avant, déjà, une volonté de prendre en compte les besoins de ses salariés face à la mobilité sur fond d’un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle.
Enfin, en 2005, c’est du côté de la Silicon Valley que le coworking naît véritablement avec le San Francisco Coworking Space au sein du Spiral Muse, un collectif féministe. Puis un second espace de coworking est né avec le Hat Factory.
Dès lors, il s’en est suivi une multitude de créations d’espaces de coworking avec des services et des spécificités multiples.
De l’avenir
Le marché de l’immobilier de bureau au Luxembourg est à l’image de l’immobilier pour les particuliers : en hausse. En fin d’année dernière, JLL, une agence spécialisée dans l’immobilier de bureau, a présenté les chiffres du secteur. «Pas moins de 265 000 m² ont été pris en occupation au cours de l’année passée, soit 7,5 % de mieux qu’en 2018 et 20 % de mieux que la moyenne sur 5 ans», détaillait JLL. Et de poursuivre : «La pression continue de la demande pousse le taux de vacance vers le bas. Fin décembre, il s’établissait à 3,2 % contre 3,4 % un an auparavant. C’est également la disponibilité la plus basse depuis 2009 !»
Une pression immobilière allant de pair avec des prix locatifs en hausse. Pour louer un mètre carré de bureau dans le centre-ville, une entreprise doit débourser en moyenne 51 euros par mois (+2 % en un an), 36 euros par mois au Kirchberg (+3 % en un an), 30 euros par mois à la Cloche d’or (+3 % par an) ou encore 22,5 euros par mois en périphérie de la capitale et 24 euros par mois à Esch-Belval. En multipliant ses chiffres par 10 m2, 50 m2 ou 100 m2 en plus d’y ajouter les charges en eau, électricité, chauffage, accueil… on arrive très vite à une charge financière importante, tant pour les petites que pour les grandes entreprises.
Dès lors, se tourner vers des espaces de coworking prend tout son sens, comme l’explique William Willems : «J’ai des grands groupes qui me disent qu’ils dépensent 12 000 euros en charges pour un poste de travail en sachant que la moitié du temps, le salarié est sur le terrain ou en clientèle, donc il s’agit d’un poste de travail vide.» Sur le marché de l’immobilier de bureau, le marché du coworking dispose encore d’une bonne marge de manœuvre, analyse William Willems : «Le Luxembourg dispose de 4,4 millions de mètres carrés de bureaux avec un taux de vacance de moins de 4 %. Chaque année, près de 200 000 mètres carrés trouvent preneur et le coworking représente 1,6 % de la surface totale de bureaux. C’est faible par rapport à des marchés comme celui de la Belgique où, l’année dernière, le coworking a représenté 30 % des nouvelles prises d’occupation, surtout à Bruxelles. Au Luxembourg, je pense donc qu’il y a de l’espace pour le développement du coworking.»