On peut porter un toast à la nouvelle année sans mâcher ses mots. Le président de l’Organisation professionnelle des vignerons indépendants (OPVI), Ern Schumacher, l’a démontré lundi soir, à Machtum. Le ministre de l’Agriculture, Fernand Etgen, a répondu aux reproches.
Il y a dans cette profession de vigneron quelque chose qui attire toujours le regard et les intérêts. Preuve que l’élaboration du vin, produit de civilisation par excellence, est – n’en déplaise aux hygiénistes – une affaire qui compte au sein de nos sociétés.
Lundi soir, dans la Waistuff du domaine Schlink, qui invitait, il y avait foule. On trouvait entre les représentants de la profession deux ministres (Fernand Etgen et Nicolas Schmit), deux députés-maires (Léon Gloden et Henri Kox) et trois députées (Tess Burton, Octavie Modert et Françoise Hetto-Gaasch). Serait-ce déjà la campagne pour les prochaines élections communales, en 2017, qui commence? Possible. Pour un élu de l’Est, difficile de snober ce rendez-vous!
Au micro, le président de l’OPVI, Ern Schumacher, qui représente ses collègues depuis une vingtaine d’années, avait des choses à dire. Et pas forcément toutes agréables pour les oreilles des politiques en poste. Même s’il a admis que le ministère de l’Agriculture s’intéressait sincèrement au travail des vignerons, il lui a reproché de travailler dans un temps qui n’était pas compatible avec celui de la terre. « Depuis un an, on n’entend plus rien au sujet du plan de développement rural (NDLR : le PDR, constitutif de la nouvelle loi agraire). Quand même, ça m’étonne! »
Subventions injustes
Ce plan permettra, notamment, de redéfinir le montant des subventions. Autant dire qu’il est attendu. Ces aides sont allouées en se basant sur des critères de sélection qui, eux aussi, sont sujets à caution selon l’OPVI. « Parfois, des subventions sont allouées à un domaine et pas à un autre, alors que les circonstances sont les mêmes, blâme-t-il. La Moselle, c’est petit, et ces situations qui ne sont pas justes créent des tensions bien compréhensibles entre certains d’entre nous. C’est très regrettable. »
Lundi soir, Ern Schumacher a également acté la fin de la coopération entre les vignerons indépendants et le négoce. Certains vignerons qui travaillaient quelques rangs davantage pour le plaisir que pour la rente vendaient en effet leurs raisins aux maisons de négoce. « Le prix du raisin, c’est quelque chose de très bizarre : il y a 20 ans, il coûtait plus cher qu’aujourd’hui! », lance le président. Autant dire qu’à moins d’une refonte sévère du système, les accords seront difficiles à trouver avec les négociants, puisque les vignerons indépendants achètent les raisins de ces petits viticulteurs à meilleur prix.
L’OPVI voudrait gérer sa communication
Autre sérieuse pierre d’achoppement, et une fameuse, la question de la promotion du vin. « Finalement, nous sommes contents que la Commission de promotion des vins et crémants n’existe plus, parce qu’elle ne nous convenait pas. On ne peut pas mettre les indépendants, la coopérative (NDLR : Vinsmoselle) et les négociants (NDLR : Bernard-Massard, Krier frères, Gales…) dans un même panier, puisque nous n’avons pas les mêmes intérêts .» Ce que voudrait l’OPVI, c’est avoir les moyens de gérer elle-même sa communication. « Nous en discutons avec le ministère, la porte est ouverte et nous sommes plutôt confiants », espère Ern Schumacher.
Vendanges festives pour les 50 ans
Mais, trêve de revendications, les vignerons vont avoir un sacré anniversaire à fêter cette année. Leur organisation professionnelle entame sa cinquantième année. Outre l’organisation d’un grand dîner sur la Moselle à bord du Marie-Astrid , d’une séance académique dans le château de l’ARBED, à Luxembourg, ils inviteront aussi tous les amateurs chez eux lors des prochaines vendanges.
Et puis viendra le temps d’un renouvellement au sein de l’OPVI, car Ern Schumacher a prévenu qu’il souhaitait désormais passer la main. « Cela fait 20 ans que je suis président et, même si je dois dire que les vignerons m’ont toujours soutenu, c’est une grosse responsabilité et beaucoup de travail .» Il lance ensuite dans un éclat de rire qu’il aimerait enfin voir un autre nom en haut de la liste : « Le premier président, c’était mon père, Pierre Schumacher. Gast Schumacher a été le second et le troisième, c’est moi! » Notons toutefois que Gast Schumacher, du domaine Schumacher-Knepper (Wintrange), ne faisait pas partie de la famille, l’OPVI n’est donc pas une oligarchie héréditaire! À moins que le fils d’Ern, Tom, ne prenne le relais. Mais on n’en est pas encore là!
Erwan Nonet
Fernand Etgen : « Je comprends leurs doléances »
Le ministre de l’Agriculture estime qu’il est essentiel d’entretenir « un bon dialogue » avec les vignerons.
Le Quotidien : Comment jugez-vous le travail des vignerons indépendants?
Fernand Etgen : En misant sur la qualité, ils ont pris la bonne voie, c’est incontestable. On le voit aux rendements observés : en 2014, la moyenne était de 75 hectolitres par hectares, alors que les estimations pour 2015 sont de 63 hectolitres par hectares. Autre indicateur, alors que les vignerons indépendants travaillent 30 % du vignoble luxembourgeois, ils ne produisent que 23 % de la récolte.
Malgré ces louanges, ils ont des reproches à vous faire…
Oui, et je comprends leurs doléances. Concernant la loi agraire, je note toutefois que cela fait un an que nous attendons l’accord de l’Union européenne. De notre côté, le travail a été fait, et vite fait. Mais la politique agricole et viticole a été la première à avoir été mise en place au niveau européen, il est donc important de respecter les normes qui en découlent.
Le temps du politique peut-il être le même que celui des agriculteurs ou des viticulteurs ?
(Il sourit) C’est difficile, il y a parfois des contraintes. C’est pourquoi il est essentiel d’entretenir un bon dialogue. Et ça, nous l’avons. Recueilli par E. N.