Ce mardi matin s’ouvre le procès contre l’ancien président du CSV Frank Engel. D’autres ténors du parti se retrouvent sur le banc des prévenus. Le fonctionnement suspect de l’ASBL CSV Frëndeskrees sera à élucider.
Un président de parti dénoncé par ses propres membres. Des perquisitions au sein du siège du plus grand parti politique du pays. Des femmes et hommes politiques soupçonnés d’escroquerie, d’abus de confiance, de blanchiment ou encore de faux et usage de faux, qui en cas de condamnation risquent entre quatre mois et dix ans de prison, assorti d’importantes amendes.
Le procès qui s’ouvre ce matin devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg est exceptionnel à bien des égards. Au-delà du sort réservé aux prévenus, c’est le CSV tout entier, en pleine reconstruction, qui risque d’être plombé par une affaire qu’il a déclenchée soi-même.
Le 26 janvier 2019, Frank Engel est élu président du Parti chrétien-social. Sans le savoir, la victoire de l’eurodéputé contre Serge Wilmes, député-échevin de Luxembourg, pose les bases d’une affaire judiciaire qui fera date. Très rapidement, des tensions naissent entre le nouveau chef de file du CSV et la fraction parlementaire (liste aux élections européennes, réforme de la Constitution, etc.).
Dénoncé par les siens
Les choses se corsent à partir du mois d’août 2020. Frank Engel prône dans un entretien avec reporter.lu la réintroduction d’un impôt sur la fortune, la mise en place d’un impôt sur le droit de succession en ligne directe et le besoin d’une taxe sur les transactions financières. Ce cavalier seul de son président sème la zizanie dans les rangs du CSV. Pire, le parti a pris ses distances avec Frank Engel dans un très bref communiqué.
L’incident sera clos quelques jours plus tard, du moins officiellement. «Il a compris que sa façon d’agir était malheureuse. Il a présenté des excuses», nous confiait une source à l’issue d’une réunion extraordinaire du comité national du parti.
Le point de non-retour sera atteint six mois plus tard. Au moment du bras de fer fiscal engagé avec son parti, Frank Engel disposait déjà d’un contrat de travail conclu avec le CSV Frëndeskrees (Cercle des amis du CSV), une ASBL gérant notamment les biens immobiliers du parti. Entre juin et décembre 2020, le président touche un montant total de 40 000 euros nets pour une tâche qu’il n’a finalement pas réussi à accomplir : celle, entre autres, de ramener des contributeurs financiers auprès de ce cercle qu’il voulait moderniser et transformer en fondation. L’existence de ce contrat, révélée en mars 2021 par nos confrères de reporter.lu, aurait été un secret bien gardé.
Une petite semaine après l’annonce de Frank Engel pour rempiler lors du congrès du 24 avril pour un second mandat à la tête du parti, plusieurs députés décident de dénoncer leur propre président de parti devant la justice. On est alors le 16 mars.
«Il était convenu que si ma démarche ne devait pas aboutir, je rembourserais l’argent perçu», nous expliquait le lendemain l’ancien eurodéputé. «Après m’avoir empêché de faire quoi que ce soit pendant deux ans, on s’acharne sur moi et on détruit le parti au passage», poursuivait Frank Engel dans nos colonnes, refusant de démissionner. «Je n’ai rien à me reprocher», insistait-il.
Deux jours plus tard, Frank Engel répète le même message lors d’une conférence de presse. Il finira pourtant par céder. Le même 19 mars, le parquet ordonne une première perquisition au siège de l’ASBL CSV Frëndeskrees.
La présomption d’innocence prévaut
L’intérim à la tête du CSV est assuré par les deux vice-présidentes Elisabeth Margue et Stéphanie Weydert. Également vice-présidentes du Frëndeskrees, elles vont se retrouver quelques semaines plus tard inculpées à leur tour dans cette affaire. Claude Wiseler, élu président le 26 avril dernier, continue à accorder sa confiance aux deux jeunes espoirs du parti, appelées à devenir coprésidente et co-secrétaire générale. Une condamnation risque de leur barrer la route et coûter pas mal de crédit politique.
L’ancien secrétaire général et actuel député Félix Eischen pourrait subir le même sort. Plus discrets sont les trois derniers prévenus : André Martins, Georges Heirendt et Georges Pierret.
Il revient désormais aux juges de faire la lumière sur ce nébuleux contrat de travail et les conséquences juridiques qui pourraient en découler. La présomption d’innocence prévaut bien entendu pour les sept prévenus.
Le procès doit qui s’ouvre ce matin devant la XIIe chambre correctionnelle doit durer trois jours.
David Marques
Ce que risquent les prévenus
ESCROQUERIE Emprisonnement de quatre mois à cinq ans et amende de 251 euros à 30 000 euros.
ABUS DE CONFIANCE Emprisonnement d’un mois à cinq ans et amende de 251 euros à 5 000 euros.
BLANCHIMENT Emprisonnement d’un à cinq ans et amende de 1 250 euros à 1 250 000 euros.
FAUX ET USAGE DE FAUX Réclusion de cinq à dix ans.
CHRONOLOGIE
26 JANVIER 2019 Frank Engel est élu président du CSV. Avec un score de 54 %, il s’impose de justesse contre Serge Wilmes.
MAI 2020 Le président signe un contrat de travail avec le CSV Frëndeskrees, une ASBL gérant notamment les biens immobiliers du parti. Il va toucher un salaire brut de 6 000 euros par mois jusqu’à fin décembre de la même année.
AOÛT 2020 Frank Engel propose dans un entretien accordé à nos confrères de reporter.lu de réintroduire un impôt sur la fortune et mettre en œuvre un impôt sur le droit de succession en ligne directe. Ce cavalier seul provoque l’ire du CSV et plus particulièrement de la fraction parlementaire. Le 22 août, Frank Engel est désavoué dans un communiqué signé par son propre parti. Le 25 août, le président présente ses excuses lors d’un comité national extraordinaire.
3 MARS 2021 Frank Engel présente sa candidature pour se voir confier un second mandat à la tête du CSV.
16 MARS 2021 Coup d’éclat lors de l’assemblée générale du CSV Frëndeskrees. Le contrat de travail de Frank Engel offert à Frank Engel sème la zizanie. Une demi-douzaine de députés dénonce leur propre président de parti au parquet, soupçonnant des faits d’emploi fictif, de faux et d’usage de faux.
19 MARS 2021 Après avoir exclu de démissionner, Frank Engel finit par céder. Le même jour, une première perquisition a lieu au siège du CSV Frëndeskrees. Une seconde perquisition est menée le 30 avril.
8 AVRIL 2021 La Cour des comptes épingle dans son rapport sur le financement des partis politiques que le CSV a avancé les cotisations sociales à Frank Engel. Une nouvelle enquête judiciaire est ouverte.
24 AVRIL 2021 Claude Wiseler est élu nouveau président du CSV.
15 JUIN 2021 Le parquet annonce que l’instruction concernant le volet CSV Frëndeskrees est clôturée. Un procès est annoncé «avant la fin de l’année 2021». En fin de compte, Frank Engel va comparaître devant les juges aux côtés de six autres prévenus (lire ci-dessous).