Isabelle Schlesser, la directrice de l’Adem, explique le changement de stratégie de l’agence.
L’Adem a bien changé ces dernières années. Au point de devenir un outil dynamique pour les demandeurs d’emploi, qui, depuis quelques mois, voit la courbe du chômage baisser.
Le taux de chômage connaît une tendance à la baisse au Luxembourg depuis 2015 pour atteindre actuellement 6,5 %. Comment l’expliquez-vous ?
Isabelle Schlesser : Nous ne sommes pas le seul pays en Europe où le chômage est à la baisse, même s’il est vrai qu’au Luxembourg, cette baisse s’est faite plus tard par rapport à d’autres pays. La raison principale étant la conjoncture qui commence à se remettre de la crise. Cela se constate par un nombre assez élevé d’embauches.
Quel est le premier défi de l’Adem dans un contexte transfrontalier très concurrentiel sur le marché de l’emploi ?
Effectivement, la situation du Luxembourg est assez paradoxale, puisqu’il y a toujours eu une croissance nette de l’emploi, même pendant les années de crise, mais cela ne se traduisait pas par le recul du chômage. Notre premier défi ici au Luxembourg est de faire en sorte que, quand cela est possible, les entreprises considèrent prioritairement les profils des demandeurs d’emploi inscrits à l’Adem lors des recrutements. Le pays a un pouvoir d’attraction important au niveau de la Grande Région et même au-delà, au niveau européen. Quand un employeur souhaite embaucher, il ne va donc pas uniquement regarder au Luxembourg, mais aussi au-delà des frontières, ce qui est tout à fait normal. Cela constitue une très forte concurrence pour le demandeur d’emploi.
L’Adem est aujourd’hui une administration qui est beaucoup plus dynamique qu’il y a quelques années. Qu’est-ce qui a changé par rapport à cette Adem passive ?
Je pense que l’on a constaté qu’un grand changement était nécessaire. Nous avons commencé par considérer les entreprises comme des clients, car ce sont les entreprises qui ont le pouvoir d’embaucher les chômeurs. C’est simple, mais si les entreprises n’ont pas confiance en l’Adem ou qu’elles considèrent l’agence comme étant passive, elles ne vont pas nous déclarer leurs postes vacants. Nous ne pourrons donc pas leur envoyer nos demandeurs d’emploi, qui, eux, auront moins de chances d’être recrutés. Dès 2012, c’est-à-dire au début de la réforme de l’Adem, l’idée a été de reconquérir les entreprises en leur expliquant quels services nous pouvions leur fournir tout en essayant de les améliorer afin qu’ils correspondent au maximum à leurs besoins. Et aujourd’hui, on peut voir les résultats de cette stratégie, puisque l’on a 20 % de plus d’offres d’emploi qui nous sont déclarées par les entreprises. Au niveau des demandeurs d’emploi, là aussi, nous nous en occupons différemment en essayant de personnaliser au maximum nos services. Chaque demandeur d’emploi est différent, avec un parcours propre, un niveau de qualification différent. Ils n’ont donc pas tous besoin de la même aide dans la mesure où certaines personnes sont tout à fait autonomes dans leur recherche d’emploi et que d’autres ont en revanche plus de difficultés au niveau social ou médical.
Le chômeur a souvent une image de fainéant auprès du grand public. L’est-il ?
Je pense que les demandeurs d’emploi ne sont pas différents du reste de la population. Par contre, je peux absolument affirmer qu’il y a énormément de demandeurs d’emploi qui cherchent très activement un travail. Et malheureusement, parfois ils n’en trouvent pas ou bien pas aussi rapidement qu’ils le souhaiteraient. D’un autre côté, je peux aussi affirmer qu’il y a des gens qui sont inscrits à l’Adem et qui ne sont pas forcément aussi prompts à chercher du travail, puisque chaque année nous devons sanctionner des personnes. Les demandeurs d’emploi ont des droits, mais aussi des devoirs. Mais quand je vois le nombre de démarches que certaines personnes font pour retrouver un emploi, on ne peut pas dire que les chômeurs sont au chômage parce qu’ils ne cherchent pas. Ce n’est pas la réalité. C’était peut-être le cas il y a quelques années où le chômage était à 3 %, mais à cette époque, les profils étaient différents. Mais encore une fois, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Il y a un aspect important qu’il faut également comprendre. Aujourd’hui, il y a 18 368 demandeurs d’emploi. Mais l’année dernière, il y a eu près de 13 000 personnes qui ont retrouvé un travail. Il y a une rotation, ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui sont au chômage, et heureusement, il y en a beaucoup qui en sortent.
Justement, à propos de ces 3 % qui correspondent selon les économistes au plein emploi, est-ce utopique de croire au retour à un taux de chômage à 2 ou 3 % ou bien va-t-il falloir s’habituer à un taux tournant autour de 6 % ?
Le taux actuel de 6,5 % est encore élevé, il faut réussir à le baisser. Le taux de 3 % me paraît en effet un peu compliqué à atteindre. Le marché de l’emploi évolue rapidement et le grand défi au Luxembourg, comme dans les autres pays, c’est de faire en sorte qu’il y ait un « matching » entre ce que recherchent les entreprises et ce que l’on a sur le marché de l’emploi. Sur ce plan, l’Adem n’est pas le seul acteur à pouvoir jouer un rôle. Il faut aussi être conscient du fait que chaque année des jeunes arrivent sur le marché du travail sans qualification, et ces jeunes auront des difficultés à trouver un emploi. Il y a également des personnes qui ont des problèmes de santé ou des handicaps, qui éprouvent également des difficultés à retrouver un emploi. Et affirmer que l’Adem va réussir à trouver toutes les solutions et que l’on va retrouver un niveau de chômage à 3 % me paraît effectivement très compliqué. Ce n’est pas pour cela qu’il faut se féliciter d’un taux de 6,5 %. Au contraire, c’est un taux qui n’est pas bien du tout. Il ne faut pas oublier que cela correspond à des milliers de personnes qu’il faut faire en sorte d’orienter afin qu’elles retrouvent le plus vite possible un emploi.
Recueilli par Jeremy Zabatta
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