Polina Bashlay, la nouvelle présidente de l’Association des cercles d’étudiants luxembourgeois (ACEL), évoque le lourd impact de la pandémie de coronavirus sur la vie étudiante. Malgré des concessions obtenues de la part du gouvernement, l’incertitude continue à peser lourdement sur la génération des acteurs de demain.
Elle ne mâche pas ses mots : «On s’est fait voler notre vie étudiante.» Polina Bashlay, élue le 26 décembre dernier à la tête de l’ACEL, fait part du désarroi que la crise sanitaire provoque auprès des plus de 20 000 étudiants luxembourgeois.
Leur bien-être a souffert, en dépit du soutien logistique et financier accordé par le gouvernement. Un soutien que la plus importante association étudiante du pays a dû forcer.
En ce début d’année 2022, la devise est de rester réactif tout en espérant le retour à une vie plus normale.
Quel est le défi majeur à relever en reprenant les rênes de l’ACEL, pendant cette période de pandémie?
Polina Bashlay : Il s’agit d’un défi particulier. Des problèmes différents se posent à la communauté étudiante et vous devez donc vous attaquer à d’autres projets qu’en temps normal.
Les dossiers plus traditionnels ne doivent pas être oubliés pour autant. S’y ajoute le fait que le nouveau comité de l’ACEL est une équipe assez jeune avec peu d’expériences acquises dans la gestion d’une association comme la nôtre.
Je me suis retrouvée dans la position d’être celle avec le plus de vécu. Je suis d’ailleurs encore la seule du comité à avoir connu l’ACEL en mode prépandémie, même si au bout de trois mois, en mars 2020, le confinement a été décrété.
La motivation à s’engager pour la cause des autres étudiants est-elle toujours présente, en dépit des répercussions que la pandémie a sur le quotidien de votre génération?
Comme déjà fin 2020, j’ai eu, à un moment, l’impression que cela allait être plus compliqué de trouver suffisamment de candidats pour intégrer notre comité.
Mais en fin de compte, nous sommes parvenus à mobiliser assez de personnes pour s’engager. Les 15 postes à pourvoir ont tous pu être occupés lors de notre assemblée générale du 26 décembre dernier.
Vous avez évoqué avoir eu à gérer aussi bien en 2020 qu’en 2021 une tout autre panoplie de sujets et problématiques. Peut-on affirmer que l’ACEL est devenue le prolongement du bras du ministère de la Santé?
Oui, en quelque sorte. Mais je dois aussi souligner qu’en tout début de pandémie, nous avons été obligés de nous battre pour ne pas être oubliés par le gouvernement.
Lors des innombrables conférences de presse, les étudiants n’ont jamais été mentionnés; alors que l’on était, nous aussi, confrontés à de nombreux problèmes qui sont allés au-delà de la simple question de l’impact de la fermeture des frontières sur la mobilité des étudiants.
L’ACEL s’est donc vue obligée de décrocher son téléphone pour interpeller les différents ministères concernés. Entretemps, on est parvenus à mettre sur pied bon nombre de projets tels que la distribution de bons aux étudiants pour se faire tester gratuitement.
Les relations avec le gouvernement se sont donc améliorées après ces débuts plus compliqués?
Il est compréhensible qu’au moment où cette pandémie vous tombe dessus, personne ne savait vraiment à quoi il fallait s’attendre. En fin de compte, la collaboration avec le ministère de la Santé et le ministère de l’Enseignement supérieur s’est avérée très constructive.
Il en était de même au printemps 2020 avec les Affaires étrangères pour tout ce qui a concerné les frontières.
Avez-vous une idée sur le taux de vaccination auprès des étudiants luxembourgeois?
En juin dernier, le ministère de la Santé a accordé un accès plus rapide au vaccin pour les étudiants qui étaient dans l’obligation de présenter un certificat de vaccination pour être admis à leur université.
Un sondage mené par nos soins est venu démontrer que la couverture vaccinale parmi les étudiants est très élevée. Un tiers des 2 000 participants à ce sondage ont été vaccinés dans leur ville d’accueil à l’étranger.
Au vu des répercussions du covid sur le bien-être des étudiants, l’ACEL a-t-elle également été obligée de jouer un rôle d’office social?
Notre sondage réalisé début 2021 est venu à la conclusion que 80 % des répondants ont vu leur bien-être impacté par la pandémie. Cela est dû non seulement à l’isolement, mais aussi à l’incertitude qui règne toujours. Malgré les concessions faites par le gouvernement, le sentiment d’être parfois oublié reste encore présent.
On évoque toujours les élèves et les salariés sans trop se soucier des étudiants, l’on estime qu’ils se débrouillent très bien tout seuls. Après chaque annonce de nouvelles mesures, il se faut poser la question de savoir si et dans quelle mesure on peut encore se déplacer, quels sont les critères sanitaires à respecter, etc.
L’ACEL, avec le soutien de ses cercles membres, s’efforce de réunir toutes les informations émanant du Luxembourg, mais aussi des pays accueillant des étudiants luxembourgeois.
Le retour momentané à une vie plus normale pendant les mois d’été s’est-il avéré être une bouffée d’oxygène suffisante pour retrouver le moral et la motivation?
Il est vrai que la vie estudiantine a pu reprendre ses droits pendant un moment. Les récentes annulations des bals de Zurich et de Bruxelles ainsi que celle du Tournoi de Noël ont, par contre, constitué un coup très dur pour de nombreux étudiants.
Les vacances de Noël sont, en temps normal, la période des étudiants qui reviennent au pays pour se revoir et fêter ensemble.
Le retour aux cours en mode distanciel est-il aussi redevenu la norme?
Cela dépend des universités et du nombre d’étudiants présents lors d’un cours. Le présentiel a repris le dessus à un moment. Puis est arrivé le « 2G », avec l’obligation de proposer une alternative en distanciel aux non-vaccinés et guéris.
Par contre, les cours en bachelor réunissant des centaines d’étudiants sont repassés en mode virtuel. Le mode hybride reste donc d’actualité, avec les cours à distance qui deviennent à nouveau plus fréquents.
Les étudiants de Zurich redoutent le grand impact financier qu’aura l’annulation de leur bal sur leur cercle. Dans quelle mesure l’ACEL peut-elle leur venir en aide?
Notre objectif est d’obtenir pour le compte des cercles de Zurich et de Bruxelles le soutien mis en perspective par les ministères concernés. L’ACEL ne compte pas laisser tomber ces deux cercles.
Des premières initiatives ont été entreprises pour compenser un tant soit peu les pertes financières. Il nous reste à évaluer quelles pourraient être d’autres mesures d’aides.
Le covid a-t-il également pu avoir un impact sur la cohésion sociale entre les étudiants luxembourgeois, forgée dans les cercles et au-delà?
Tout le volet regroupement, que ce soit lors de bals ou d’autres activités, a énormément souffert. En interne, les cercles connaissent des difficultés pour réunir du monde. Non seulement, moins d’étudiants sont partis à l’étranger, mais ceux qui ont sauté le pas ont pu remarquer qu’ils réussissaient à avancer sans avoir besoin de contact avec le cercle local.
A lire aussi ➡ Notre édito du jour « Un exemple à suivre »
Le recrutement de membres est donc aussi impacté. Pour l’instant, nous ne déplorons pas encore de cercle membre qui aurait été obligé de cesser ses activités. Cela devient néanmoins de plus en plus compliqué. Même si on ne l’espère pas, je ne peux pas exclure que l’un ou l’autre cercle disparaisse dans les années à venir.
Le sondage que l’on a déjà évoqué est aussi venu à la conclusion que la pandémie a eu un impact plutôt limité sur la situation financière des étudiants. Les délais allongés pour profiter des bourses de l’État seront-ils maintenus?
Chaque étudiant a droit à un semestre supplémentaire pour conclure les étapes de sa formation dans le cadre des délais fixés par le ministère. Comme la pandémie perdure encore et toujours, l’ACEL a l’intention de reprendre contact avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour lui soumettre de nouvelles propositions afin de soutenir les étudiants sur le plan financier. Il est toutefois encore trop tôt pour en dire plus à cet instant.
Quelles seront les autres priorités et revendications de l’ACEL en 2022?
La priorité reste de soutenir au mieux les étudiants. Il nous faut rester très réactifs en ces temps de pandémie pour nous adapter et trouver au plus vite des solutions avec les ministères de tutelle.
Les tests gratuits doivent notamment être maintenus aussi longtemps que nécessaire pour assurer la mobilité des étudiants. Il ne sert donc à rien de trop charger notre agenda. Par contre, l’ACEL continuera à assumer ses missions plus traditionnelles comme l’information des futurs étudiants.
Un des principaux acquis de ces dernières années a été l’introduction d’une nouvelle loi régissant les stages en entreprise. En septembre, l’ACEL a toutefois mentionné que les nouvelles règles ne sont pas encore appliquées partout. Des améliorations sont-elles intervenues depuis lors?
On se voit soumettre régulièrement des plaintes sur le non-respect des conditions fixées par cette loi. Courant 2022, l’ACEL compte se pencher de plus près sur ce dossier avec les autorités compétentes. On compte notamment prendre contact avec le ministère du Travail.
Pour cause de pandémie, la foire de l’Étudiant est également passée en mode virtuel. Même si en novembre, une petite partie s’est à nouveau faite en présentiel, la nouvelle formule semble plaire beaucoup au ministère. Quelle est la préférence de l’ACEL?
Le virtuel ne correspond pas vraiment à ce qui a toujours caractérisé cette foire. Le plus important, à savoir le contact direct sur place, fait défaut. Il existe certes aussi des avantages, tels que la possibilité de télécharger toute une panoplie de documents pour s’informer tranquillement devant son écran, mais cela ne peut pas remplacer l’interaction entre étudiant et élève.
Le résultat de ces deux foires virtuelles ne correspond pas du tout à nos attentes. Si les conditions sanitaires le permettent en automne, on plaide clairement pour le retour à une foire traditionnelle, complétée par une offre numérique.
Un autre grand évènement programmé est la Réunion européenne des étudiants luxembourgeois (REEL) prévue en 2022 à Karlsruhe et Heidelberg. Quelles sont vos attentes?
En premier lieu, j’espère que cette REEL pourra avoir lieu. Celle de 2021 à Munich s’est très bien déroulée aussi grâce à toutes les dispositions sanitaires qui avaient été prises. La prochaine REEL va permettre de débattre de la valeur du bachelor au vu de l’inflation de ce type de diplôme.
Notre objectif est d’obtenir pour le compte des cercles de Zurich et de Bruxelles le soutien mis en perspective par les ministères concernés
Il s’avère qu’une frange d’étudiants qui ne souhaitent pas forcément aller en master se voient obligés d’en faire un pour décrocher un emploi. Dans cet ordre d’idées, il est important de pouvoir échanger en direct avec le monde politique et économique, avec toujours le même objectif de ne pas être oublié.
En ce début de nouvelle année et l’incertitude que provoque le nouveau variant Omicron, quelles peuvent être les perspectives pour l’ACEL et la communauté estudiantine?
L’espoir demeure de retrouver un jour la normalité d’avant-crise sanitaire. Nous soutenons bien entendu le gouvernement dans tous ses efforts pour endiguer la propagation du virus.
Mais il faut aussi admettre que l’on s’est fait voler, depuis deux ans maintenant, notre quotidien d’étudiant, qui consiste notamment à aller assister aux cours, aller boire un verre le soir, sortir entre amis.
Cela est d’autant plus dur à supporter si l’on entend des anciens dire que leur vie étudiante a été la meilleure période de leur vie.
Entretien réalisé par David Marques
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter quotidienne.
Moi j’ai étudié !!! Pas fait la fête, dans ma vie détudiant… les jeunes sont ridicules!
C’est tout à fait exact. Et ce vol a été effectué pour…RIEN.