Le début est prometteur. Vendredi, le gouvernement, les syndicats et le patronat se sont rapidement accordés sur une relance de l’emploi, fortement impacté par la crise sanitaire. Le paquet reste à chiffrer.
Le soulagement était palpable au bout de cinq heures de négociations. «Nous avons eu un échange direct, sincère, transparent et constructif», s’est félicité le Premier ministre, Xavier Bettel, qui a présidé vendredi sa toute première tripartite. Cet instrument de crise, mis entre parenthèses après les échecs de 2010 et 2011, renaît de ses cendres. Le fait que «personne n’est responsable» de la crise sanitaire facilite quelque peu la tâche du gouvernement. Syndicats et patronat ne peuvent en effet «pas se rejeter la faute». «On n’est certes pas d’accord sur tout, mais on est parvenu à agir dans l’intérêt de l’économie et des salariés», concède encore Xavier Bettel.
«Apporter une réponse directe»
La bonne situation de départ, que nous avions préfacée dans nos colonnes de vendredi, s’est donc transformée en un «bon début», salué par Nora Back, la présidente de l’OGBL, «devant renforcer à nouveau la confiance des gens». Comme annoncé auparavant par le ministre Dan Kersch, l’emploi a dominé ce premier échange dans le format tripartite. «C’est un choix délibéré. Il a importé au gouvernement d’apporter une réponse directe à la situation du chômage», souligne le Premier ministre.
Peu après midi, la délégation gouvernementale s’était isolée au château de Senningen pour acter les 10 mesures établies et validées avec le camp syndical et patronal (lire ci-contre). Principal objectif : maintien de l’emploi et lutte contre le chômage, qui a explosé de 33 % en un an. Plus de 20 000 demandeurs d’emploi sont actuellement inscrits à l’Adem.
Ce nouveau paquet viendra s’ajouter au plan de stabilisation, chiffré à 9 milliards d’euros (aides, reports et garanties d’État), et au plan de relance «Neistart Lëtzebuerg» d’un ordre de grandeur situé entre 700 et 800 millions d’euros. Les mesures décidées vendredi doivent encore être validées par le Conseil de gouvernement avant d’être chiffrées. «On est conscient que cette crise a un coût. Or offrir une perspective de formation et d’occupation aux demandeurs d’emploi est toujours un meilleur investissement que de financer le chômage», tranche Xavier Bettel. Le Premier ministre sera entouré la semaine prochaine de ses deux vice-Premiers ministres Dan Kersch et François Bausch pour détailler «une décision collégiale». Il n’est pas exclu que certaines mesures déjà prises pour amortir le choc économique et social de la crise sanitaire soient prolongées.
Le camp syndical et patronal est sorti satisfait des pourparlers de vendredi. À l’image de l’OGBL, les deux autres syndicats conviés à la table des négociations ont salué l’esprit constructif de cette première tripartite post-Covid. «Nous retenons les résultats concrets obtenus après des discussions positives», affirme Patrick Dury, le président de l’OGBL. «Il est positif qu’on se soit accordés sur le besoin d’organiser plusieurs tours de négociations», ajoute Romain Wolff, le président de la Confédération générale de la fonction publique (CGFP).
Une série de «devoirs à domicile» ont été distribués vendredi. Les grandes lignes retenues au château de Senningen devront dans les semaines à venir être mises en musique dans des cadres moins prestigieux. Gouvernement, syndicats et patronat vont se retrouver au Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE), organe fortement freiné en automne 2019 par un boycott momentané de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL). Le ton a changé aujourd’hui (lire ci-dessous).
La liste des doléances syndicales est longue
«Je suis satisfait de l’engagement pris pour travailler sur la formation et le développement de compétences. Il nous faut préparer le monde de demain», souligne Nicolas Buck, le président de l’association patronale. «Il nous faut activer tout le potentiel qui existe dans le secteur privé», insiste encore Nicolas Buck en renvoyant vers la politique d’investissement de l’État, qui doit être déclinée sur le secteur privé. Le deuxième grand engagement des pourparlers à trois est en effet la confirmation «du maintien de la forte politique d’investissement» du gouvernement. «Cela reste une priorité. On compte aussi travailler sur une accélération des procédures», promet le Premier ministre.
L’esprit positif des premiers échanges doit être maintenu jusqu’en septembre, moment où la tripartite va reprendre ses pourparlers en séance plénière. Les syndicats ont déjà déposé leur liste de doléances. À leurs yeux, le logement, «principal bouffeur du pouvoir d’achat», dixit Nora Back, l’impact de la crise sur la sécurité sociale, qui préoccupe le LCGB, et une réforme fiscale équitable, revendiquée par la CGFP, doivent aussi être discutés dans ce format à trois.
David Marques
Les 10 mesures en bref
– L’aide à l’embauche de chômeurs âgés sera élargie aux demandeurs d’emploi de moins de 45 ans. Les employeurs peuvent bénéficier d’un remboursement sur 12 mois des cotisations sociales.
– Le stage de professionnalisation est maintenu. Il est notamment destiné aux demandeurs d’emploi de moins de 30 ans.
– Les modalités du contrat de réinsertion-emploi (CIE) vont faire l’objet d’une révision. L’employeur qui engage des jeunes demandeurs d’emploi de moins de 30 ans peut bénéficier du remboursement d’une partie du salaire et de l’intégralité de la part patronale des charges sociales.
– Les entreprises créant des places d’apprentissage supplémentaires vont être soutenues par l’État. À la mi-juin, l’Adem n’avait enregistré que la moitié des places d’apprentis déclarées à la même période en 2019.
– L’aide à la création d’entreprise sera renforcée.
– Les recrutements auprès de l’État et des communes seront maintenus. L’objectif est d’occuper plus rapidement les places disponibles et déjà budgétisées.
– La création de 300 unités supplémentaires dans le cadre de l’Occupation temporaire indemnisée (OTI) est actée. Il s’agit de la mise à disposition d’un demandeur d’asile déjà indemnisé à un patron.
– La création d’une task force pour développer les compétences («skills») est annoncée. Les ministres du Travail et de l’Éducation nationale vont fixer les modalités avec le concours des partenaires sociaux.
– Le comité de suivi de l’Adem gérant le placement des demandeurs d’emploi («matchmaking») sera renforcé.
– Une task force investissement sera mise en place. Elle va se consacrer à la 5G et aux grands projets d’infrastructures.
La renaissance du CPTE
Le Comité permanent du travail et de l’emploi, fortement secoué en fin d’année dernière, va jouer un rôle décisif dans les mois à venir.
Le CPTE a connu une série de couacs avant le début de la crise sanitaire. Aujourd’hui, je remarque une série de choses pour relancer cet organe.» Ce constat a été dressé par le ministre du Travail, Dan Kersch, le 16 juin devant la Chambre des députés. La tripartite organisée vendredi est venue confirmer cette impression. Le Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE), qui semblait au point mort en fin d’année 2019, s’est en effet vu attribuer un rôle important pour mettre en musique le premier accord signé lors des échanges entre gouvernement, syndicats et patronat.
Le plan de formation pour le développement des compétences devra être discuté dans ce contexte sous la présidence du ministre du Travail, Dan Kersch, et du ministre de l’Éducation nationale, Claude Meisch.
Plan de maintien dans l’emploi, plan social…
Une étude sera commanditée auprès de l’OCDE pour établir où se situent les faiblesses du Luxembourg dans le domaine du développement des compétences.
L’autre grand chantier à aborder par le CPTE sera tout le volet lié au droit du travail. Les syndicats ont insisté pour aborder au plus vite une série de points. «Il est très important pour nous d’évoquer les réformes du plan de maintien dans l’emploi, du plan social, des faillites et des licenciements», résume Nora Back, la présidente de l’OGBL.
Un premier bilan de ces travaux sera tiré lors de la prochaine tripartite fixée à septembre. On saura alors si le CPTE a retrouvé l’ensemble de ses moyens. Après un boycott de la part de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), les syndicats OGBL, LCGB et CGFP étaient montés au front pour défendre le dialogue social. En janvier, le CPTE avait repris ses travaux dans la douleur.