Vincent Reding (CSV) est devenu bourgmestre de Weiler-la-Tour, six mois avant son 27e anniversaire. Il prévient que pour les jeunes, se lancer dans la politique communale n’est pas évident. Il est favorable à la professionnalisation du mandat de bourgmestre, protège le caractère rural de son village et craint pour la qualité de vie de ses administrés qu’il dit menacée par la densification du trafic routier.
Vous êtes bourgmestre depuis un an et, à l’époque, le plus jeune du pays. Première candidature, premier succès. Comment l’expliquez-vous ?
Vincent Reding : Je viens de Syren, j’ai grandi ici, j’ai fait toute ma scolarité primaire ici, j’ai toute ma famille ici et tous mes amis. Je suis le premier de ma famille à m’engager dans la politique. Le plan initial, c’était d’entrer au conseil communal pour faire mes premières expériences. Quand j’ai vu le résultat, j’ai été le premier surpris. J’ai téléphoné à mon père pour lui dire que j’avais terminé premier et il a rigolé en disant que c’était une bonne blague avant de raccrocher (il rit). Je ne l’oublierai jamais.
Malgré tout, vous n’êtes pas devenu bourgmestre pour autant : le conseil a élu Cécile Hemmen après les élections. Étiez-vous déçu ?
Non. Il était question d’effectuer un changement à mi-mandat, ce qui m’aurait permis de faire mes expériences, d’apprendre le fonctionnement de la politique communale car c’est très difficile au début. Mais cela n’a pas été retenu. Je comprends le conseil communal. Donc pendant la première année après les élections j’étais deuxième échevin et à la démission-surprise de Cécile Hemmen et du premier échevin, j’ai finalement été élu bourgmestre.
Bourgmestre et adulte simultanément
Quelle a été votre première difficulté ?
Je crois que c’est de se retrouver du jour au lendemain avec une si grande responsabilité. Vous êtes confronté à de nombreux problèmes et les habitants vous sollicitent beaucoup. Il faut se plonger dans les dossiers à 100 % et c’est très prenant. Une semaine avant mon élection à la tête de la commune, mon père est décédé. Je suis devenu bourgmestre et adulte simultanément.
De nombreux bourgmestres aujourd’hui n’encouragent pas toujours les jeunes à suivre leurs pas car la fonction est devenue harassante. Vous pouvez en témoigner ?
Oui. Déjà pour trouver du personnel adéquat, c’est devenu presque impossible. Ne serait-ce que pour trouver des secrétaires communaux, c’est difficile. Nous avons passé une annonce à trois reprises et personne n’a répondu. Il y a beaucoup d’attentes de la part de la population, la charge de travail est énorme. Les bourgmestres le savent et c’est sans doute la raison pour laquelle ils ne souhaitent pas aux jeunes de se lancer dans cette aventure. Je vous le dis franchement, les jeunes bourgmestres comme moi doivent encore trouver un travail fixe car souvent ils viennent de terminer leurs études. Ils ont un problème financier car ils ne gagnent rien en tant que bourgmestre, ils ont un problème de logement car on ne peut plus rien acheter au Luxembourg. Qui va engager un jeune comme moi qui dispose déjà d’un congé politique et qui pendant 13 heures ne sera pas à son travail? Et puis 13 heures pour assumer une fonction de bourgmestre, c’est une blague.
Est-ce largement insuffisant ?
(Il rit jaune) Non. On n’est plus que des gérants en train de signer des documents avec 13 heures. On devient vite administrateur, alors que les bourgmestres doivent être initiateurs de projets. Dans beaucoup de situations, le bourgmestre n’a pas les moyens de les réaliser. Ici, je fais plus de 20 heures durant la semaine sans compter les week-ends. Je ne compte plus les heures. Il y a aussi tous les syndicats où vous devez vous rendre. C’est impossible de bien gérer une commune avec 13 heures de congé politique, en plus de trouver un travail et d’organiser une vie privée. Si on travaille pour une commune ou pour l’État ça va encore, mais je vois même les conseillers qui disposent de trois heures de congé politique avoir des problèmes dans le secteur privé. C’est mal vu par l’employeur.
À la banque, on vous rappelle que votre mandat politique est un CDD
Vous aviez déjà un job avant de devenir bourgmestre ?
Oui, j’ai eu de la chance. À la base je suis criminologue et je voulais devenir officier de police, mais c’est incompatible avec un mandat politique. J’ai commencé à travailler à la commune de Hesperange que je remercie. Certains jeunes n’ont pas cette chance. Et puis je compte bien avoir une vie de famille, construire. Mais quand vous allez à la banque, on vous rappelle que votre mandat politique c’est un CDD en plus très mal payé. J’ai eu des problèmes pour obtenir un prêt. J’ai fait six années d’études et je peux vous dire que je n’ai pas peur de travailler. D’ailleurs, il ne faut pas craindre la charge de travail pour s’engager dans la politique communale, raison pour laquelle certains villages lors des dernières élections de 2017 n’ont pas réussi à présenter une liste complète de candidatures. Ce n’est pas bon pour la démocratie. La volonté de s’investir diminue.
Nous sommes en pleine réforme de la loi communale. Que revendiquez-vous en premier lieu ?
Je souhaiterais avant tout une professionnalisation de la fonction de bourgmestre. Je soutiens cette idée à 100 %. C’est la seule façon de permettre au bourgmestre de faire son job correctement, d’initier l’action au lieu de gérer passivement de l’administratif. C’est mieux pour tous les employés, pour toute la population. Demandez au bourgmestre d’aller contrôler les chantiers et vous verrez que beaucoup n’ont plus le temps de le faire. Même le personnel technique est débordé. Mais c’est important de contrôler les chantiers, personnellement je le fais, sinon les gens font ce qu’ils veulent. Nous devons aussi combattre les incivilités qui se multiplient dans les villages où la police ne vient plus. Des communes créent à nouveau une police municipale. Je me vois mal, en tant qu’officier de police judiciaire, aller mettre des PV aux voitures mal garées en plus de toute ma charge de travail.
La commune dispose-t-elle des moyens financiers nécessaires ?
Non. Nous vivons essentiellement des dotations et avec la réforme des finances communales, nous perdrons de l’argent dans deux ans, selon les nouveaux critères. Le taux de chômage en fait partie et le nôtre est très faible dans la commune, comparé à une ville comme Wiltz. Notre budget ne nous permet pas d’acheter des terrains. Tout juste de la forêt. Nous construisons une nouvelle école, nous voulons réaménager la place du marché à Hassel et cela grève tout notre budget.
Veiller à ce que la commune n’explose pas
À Weiler-la-Tour, vous êtes aux portes de la capitale. Parviendrez-vous à conserver son caractère rural ?
Oui et c’est précisément ce que nous faisons avec notre plan d’aménagement général et pour nos trois villages, Weiler, Syren et Hassel. Il faut veiller à ce que la commune n’explose pas. Ici tout le monde se connaît, c’est une grande famille. Évidemment, notre situation pose aussi des problèmes. La commune est très prisée pour son caractère rural et se situe à quelques encablures de Hesperange qui offre tous les services à la population. Donc les terrains sont chers. Puis nous avons de gros problèmes de circulation à Syren avec la zone de Contern qui se développe toujours plus et nous sommes sur la voie qui mène au Kirchberg et au centre de la capitale. Nous avons des embouteillages à Filsdorf aujourd’hui. Tous les jours, les habitants de Syren m’appellent parce qu’ils n’arrivent plus à sortir de leur garage. Nous avons 6 500 voitures qui passent tous les jours par les petites rues du village et je peux témoigner que je me fais souvent injurier si je ralentis le trafic pour sortir ma voiture du garage et m’engager sur la route. Les Ponts et Chaussées devraient s’investir un peu plus pour nous aider. Quand les anciens du village commencent à partir parce qu’il n’y a plus de qualité de vie, c’est terrible. Il y a 15 ans, ce village était agréable à vivre. Moi, je jouais sur la route quand j’étais enfant. En y repensant, je me dis que c’est fou. Il faut créer des P&R aux frontières et mettre des bus et des trains pour relier la capitale. Je comprends que le Luxembourg ait besoin de main-d’œuvre, mais il ne faut pas sacrifier la qualité de vie des habitants. C’est une question philosophique.
Avez-vous des projets immobiliers pour votre commune ?
Nous avons pour l’instant un projet à Syren à la place d’une ferme qui a été malheureusement démolie. J’ai contacté la SNHBM (NDLR : Société nationale des habitations à bon marché) pour étudier la possibilité de réaliser un grand projet. Tous mes amis, qui ont fini leurs études et qui cherchent à se loger ont dû, pour la plupart, quitter Weiler-la-Tour. Ils me disent tous qu’ils aimeraient bien revenir y vivre, mais c’est devenu impayable. Donc j’espère leur offrir cette possibilité en réalisant quelques logements abordables pour lesquels ils seront prioritaires, comme cela se passe aussi à Hesperange.
Vous étiez candidat également aux élections législatives où vous avez réalisé un très bon score dans votre commune, devançant Claude Wiseler et Xavier Bettel. Êtes-vous lancé dans une carrière politique?
Je ne me définis pas comme politicien. Jamais je ne me présente en tant que bourgmestre parce que j’ai un CDD. Le politicien est mal vu par les temps qui courent et souvent je me contente de dire que je travaille à la commune.
Quelle est votre position quant au cumul des mandats ?
Je suis plutôt contre. Je suis sûr que la plupart des députés-maires choisiraient la fonction de bourgmestre en cas de non-cumul des mandats. Ils se passeraient volontiers d’une campagne électorale pour les législatives et seraient entièrement satisfaits dans leur fief. Si toutefois on rémunère les bourgmestres comme il se doit pour un plein temps.
Pourquoi avoir choisi le Parti chrétien-social ?
Je suis d’avis que dans un village, c’est le parti du peuple qui réunit une large palette de catégories socio-professionnelles, du paysan au juriste en passant par les artisans. Nous l’avons encore constaté au cours des quatre conférences régionales qui viennent d’être organisées.
Entretien avec Geneviève Montaigu