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«La démocratie alimentaire est en danger»


Le secteur alimentaire a un rôle fondamental à jouer pour diminuer cette empreinte sur la planète. (Photo Tania Feller)

Un conseil issu de la société civile chargé d’émettre des avis sur la politique alimentaire aurait dû voir le jour, mais le gouvernement a finalement décidé de faire cavalier seul. Les militants dénoncent un coup porté à la démocratie.

Le 29 juillet, l’humanité a dépensé toutes les ressources que la Terre peut régénérer en un an. Un seuil symbolique qui pourra s’avérer fatidique et qui est chaque année franchi de plus en plus tôt. Bien que petit, le Grand-Duché n’est pas à la marge en termes de surconsommation et participe à avancer ce Jour du dépassement : «Le Luxembourg a une empreinte écologique de huit planètes, un sixième revient à l’alimentation», rappelle dans un communiqué le Centre for Ecological Learning Luxembourg (CELL), centre porteur d’initiatives de transition engagées dans le changement social, écologique et économique.

Le secteur alimentaire a donc un rôle fondamental à jouer pour diminuer cette empreinte, mais le secteur au sens très large du terme, c’est-à-dire incluant les domaines de la production, de la transformation, de la gastronomie et du commerce, ainsi que la politique et l’administration, sans oublier la société civile et la recherche, qui doivent collaborer de manière étroite.

C’est à cette fin qu’un dispositif issu de la société civile a été mis en place : le Conseil de politique alimentaire (CPA), dont l’instauration avait été inscrite par le gouvernement dans son Accord de coalition 2018-23. Ce Conseil, comme son nom l’indique, est chargé d’émettre des avis auprès des décideurs publics et des différents acteurs de la filière alimentaire. Comme le rappelle le CELL dans son communiqué, les CPA «œuvrent en faveur d’une transition alimentaire qui économise les ressources en misant sur une plus grande biodiversité, saine et variée, et socialement inclusive».

Fin du processus de collaboration

Des rencontres ont ainsi régulièrement eu lieu en 2019 et en 2020 entre les différentes parties prenantes et le ministère de l’Agriculture. Mais le CPA de Luxembourg n’a pas eu le temps de poser sur la table des propositions concrètes pour faire évoluer la politique alimentaire du pays que le ministère a déjà mis fin à leur collaboration, fait savoir le CELL : le ministère de l’Agriculture va en effet déposer un projet de loi «visant à instaurer un tel dispositif de démocratie alimentaire au niveau national» (projet qui aurait dû être déposé vendredi dernier, mais ne l’a finalement pas été). En gros, le CPA sera remplacé par un dispositif institutionnel et non plus citoyen. Une action «antidémocratique», estime le CELL, car «vidée de son ambition participative et citoyenne».

«C’est totalement contre-productif et, à ma connaissance, c’est une première mondiale!» fulmine Norry Schneider, coordinateur au CELL. «Un tel conseil permet justement de mettre tout le monde autour de la table, c’est un instrument qui appelle à la coconstruction d’un système.»

Pour les défenseurs du CPA, le projet sera détourné de son sens premier, qui doit permettre de garantir que les pistes de travail répondent à la réalité de l’ensemble des acteurs du terrain. «Le système alimentaire va bien au-delà de la seule production agricole», rappelle le CELL, qui demande au Conseil de gouvernement de «ne pas adopter ce projet sans le consentement des acteurs concernés». «Une coopération étroite est indispensable pour l’élaboration d’une politique alimentaire cohérente, tant dans les domaines économique qu’écologique ou sociétal.»

Tatiana Salvan

Le CPA du Luxembourg

En novembre 2019, le Dr Rachel Reckinger et Norry Schneider ont organisé un voyage d’études auprès des CPA de Bonn et de Cologne pour une soixantaine de professionnels du système alimentaire durable du Luxembourg, qui ont répondu à un questionnaire au sujet de leur vision pour le futur CPA du Luxembourg. Il en ressort qu’un CPA doit avoir pour objectifs principaux la collaboration transdisciplinaire, la sensibilisation et l‘éducation ainsi que le renforcement de la production, de la transformation et de la distribution régionales. L’agriculture durable et des aliments sains, bios et équitables sont également essentiels. Le CPA doit aussi potentiellement pouvoir exercer une pression politique afin de réduire le gaspillage alimentaire ou sécuriser l’accès aux semences libres de droits par exemple.

Les citoyens qui le souhaitent peuvent participer à une enquête pour imaginer le futur Conseil de politique alimentaire du Luxembourg sur https://food.uni.lu/ (en anglais).