Contre toute attente, la ministre de l’Environnement a annoncé, vendredi, sa démission. Le rebondissement judiciaire de l’affaire Gaardenhaischen, datant de 2019, a précipité les choses.
Larmes et applaudissements, vendredi, peu avant midi, au 22e étage de la tour Alcide de Gasperi, au Kirchberg. La ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg (déi gréng), vient d’annoncer sa démission. Ses plus proches collaborateurs étaient présents lors de la conférence de presse convoquée à peine une heure plus tôt. Il s’agit de l’épilogue (provisoire) d’une matinée aux multiples rebondissements.
Peu après 8 h, le parquet fait savoir dans un bref communiqué que «le dossier en relation avec l’affaire dite « Gaardenhaischen« a été transmis (jeudi) au président de la Chambre des députés». La Constitution stipule que seule la Chambre «a le pouvoir (…) d’accuser un membre du gouvernement». L’écrit de la justice ne précise en rien les infractions pour lesquelles la ministre Dieschbourg pourrait être «accusée». La balle se trouve à ce moment dans le camp du Parlement, appelé à décider si l’immunité de la ministre sera levée ou non.
Plus de deux ans après son éclatement, l’affaire ayant fait chuter l’ancien député-maire de Differdange, Roberto Traversini, connaît donc en ce début de matinée un rebondissement judiciaire. L’élu déi gréng avait lancé en été 2019 des travaux de rénovation sur une cabane de jardin (Gaardenhaischen en luxembourgeois) sans disposer d’autorisation ministérielle. Cette autorisation lui avait été accordée ex post par le ministère dirigé par Carole Dieschbourg. Très rapidement, des reproches de népotisme sont lancés. En octobre 2019, l’affaire est classée, du moins sur le plan politique.
À l’époque, le député Michel Wolter (CSV) remet deux CD aux mains de la justice contenant, à ses yeux, des preuves concernant l’illégalité du dossier Traversini. Il aura fallu attendre ce jeudi pour que le parquet livre ses premières conclusions.
«Je n’ai rien à me reprocher»
Vendredi, sur le coup de 9 h 30, Carole Dieschbourg souligne dans un communiqué que la levée de son immunité ministérielle est «sans aucun doute la bonne décision». Elle précise avoir envoyé une lettre au président de la Chambre, Fernand Etgen, pour lui recommander de donner suite à la demande du parquet. La ministre souligne être pleinement disposée à s’expliquer devant les enquêteurs de la police judiciaire.
Deux heures plus tard, la ministre de l’Environnement prend la fuite en avant. Carole Dieschbourg annonce, la voix sanglotante, avoir décidé de démissionner du gouvernement. «Je n’ai rien à me reprocher dans ce dossier. Il ne serait toutefois pas responsable de faire perdre du temps à la Chambre et à mes équipes à un moment où le monde se voit confronté à d’énormes défis et crises», s’explique-t-elle. Une levée formelle de l’immunité aurait amené la Chambre à reprendre l’affaire de zéro. «Seule une démission me permet d’ouvrir la voie à pouvoir m’expliquer devant les enquêteurs. Je tiens d’ailleurs à rappeler que, dès le départ, mon avocat et moi-même avons signalé vouloir pleinement contribuer à l’enquête judiciaire», poursuit Carole Dieschbourg.
Sa décision aurait aussi été motivée par le souci de ne pas paralyser le ministère : «Le Luxembourg a besoin d’un ministère de l’Environnement qui fonctionne bien afin d’assurer la protection du climat et de la nature».
Bausch consterné, Turmes fait l’intérim
Le vice-Premier ministre de déi gréng, François Bausch, s’est dit consterné, vendredi, par la démission de Carole Dieschbourg. «Mais je peux comprendre sa décision», ajoute-t-il. «Elle ne veut pas devenir la victime d’une procédure inscrite dans la Constitution qui date encore du XIXe siècle. C’est à la justice indépendante de juger si quelqu’un est accusé. La Chambre ne doit pas jouer au juge.» La réforme de la Constitution en cours prévoit d’ailleurs de mettre un mandataire politique sur un même pied d’égalité qu’un simple citoyen.
Vendredi, les députés de l’opposition parlementaire étaient assez confus sur la suite à donner à cette affaire. Un avis juridique, attendu pour lundi, «devra montrer si la démission de la ministre Carole Dieschbourg change le fait que la Chambre ait à lancer une procédure».
Seule certitude : le resurgissement de l’affaire Gaardenhaischen aura été l’affaire de trop pour une ministre ciblée à plusieurs reprises ces dernières années (lire ci-dessous). Le ministre de l’Énergie, Claude Turmes, va assurer l’intérim comme ministre de l’Environnement. Déi gréng annoncent vouloir désigner au plus vite un nouveau membre du gouvernement.
Roberto Traversini et sa cabane de jardin
Le 18 septembre 2019 éclate l’affaire Gaardenhaischen. Le député-maire de Differdange, Roberto Traversini (déi gréng), a lancé sans autorisation ministérielle la rénovation d’une cabane de jardin située en zone verte. «J’ai entamé ces travaux sans être en possession d’une telle autorisation. Mais dès que j’ai su qu’il en fallait une, j’ai immédiatement fait arrêter les travaux et ai fait la demande le 9 juillet pour obtenir cette autorisation, qui m’a été accordée le 12 août», expliquait Roberto Traversini, le 19 septembre 2019, dans les colonnes du Quotidien.
C’est précisément cette autorisation accordée ex post qui a valu à la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, de se voir reprocher un traitement de faveur pour son collègue de parti. L’affaire s’emballe courant septembre. «Il s’agit du plus grand scandale environnemental jamais observé au Luxembourg», s’écrie le député Michel Wolter, le 10 octobre, à la tribune de la Chambre. La ministre déi gréng, lourdement attaquée, ne pliera pas en rejetant toute accusation de népotisme.
Roberto Traversini, accusé en outre d’avoir fait travailler les ouvriers du CIGL Differdange sur le chantier, démissionne rapidement, d’abord le 20 septembre 2019 de son poste de bourgmestre, puis le 1er octobre de son mandat de député. Il faisait alors l’objet d’une instruction judiciaire portant sur des faits supposés de détournement de deniers publics ou privés, de prise illégale d’intérêts et de blanchiment. Cette enquête judiciaire est toujours en cours.
Octobre 2019 : l’étable parentale
En marge de l’affaire de la cabane de jardin, la ministre Dieschbourg s’était vue attaquée sur un autre front, plus personnel. Le bourgmestre d’Echternach, Yves Wengler (CSV), était en effet monté au créneau pour dénoncer la construction supposée illégale d’une étable sur le terrain du moulin de Lauterborn, appartenant aux parents de la ministre. Comme dans l’affaire Traversini, l’opposition parlementaire avait émis le reproche d’un défaut d’autorisations pour la réalisation d’une chape en béton afin de reconstruire l’étable, détruite par les inondations ayant touché le Mullerthal à l’été 2018.
Début octobre 2019, Carole Dieschbourg avait souligné ne pas s’être immiscée dans le dossier. Luc Zwank, le directeur adjoint de l’administration de la Gestion de l’eau, avait justifié les travaux en zone verte par l’urgence de prendre des mesures anti-crues après les inondations dans la région.
Cela n’a pas empêché que les parquets de Luxembourg et de Diekirch aient été saisis pour examiner la conformité de l’autorisation. Le 3 décembre 2019, l’affaire a été classée sans suite par la justice.
Février 2021 : un contrat douteux
L’affaire SuperDrecksKëscht (SDK) est déclenchée en février 2021 à la suite d’une enquête réalisée par nos confrères de Reporter.lu.
La SDK, qui gère le recyclage pour les déchets problématiques, aurait profité d’un système monopolistique conclu entre l’État et le gestionnaire de la SDK, Oeko-Service Luxembourg SA. Un partenariat privilégié semblait avoir été instauré avec l’administration de l’Environnement dont le directeur, Robert Schmit, est devenu un intime de Hans-Peter Walter, chef de Oeko-Service.
La ministre Dieschbourg annonce un audit dans la foulée de ces révélations. Cette analyse externe, présentée en septembre 2021, n’a relevé aucune irrégularité en matière de conformité au cadre légal, de même que dans sa structure financière. Affaibli aussi par l’affaire «Moulin Dieschbourg», Robert Schmit décide de partir à la retraite.
En janvier 2022, toutefois, un avis juridique de la Chambre des députés vient à la conclusion que le financement pluriannuel de la SDK n’est pas conforme à la loi. La ministre ne tarde pas à déposer une loi de financement spéciale, qui n’a pas encore été votée.
Juin 2021 : le Moulin encore visé
À la base de cette nouvelle «affaire» se trouve un supposé non-respect de la loi sur la gestion des déchets d’emballage. L’élément qui fait désordre est que le moulin de la famille des parents de la ministre de l’Environnement n’aurait pas respecté son obligation de reprendre les emballages utilisés. Il s’est avéré que le «Moulin Dieschbourg» ne faisait pas partie des plus de 1 000 entités à avoir confié cette mission à l’ASBL Valorlux.
Ce sont nos confrères du Wort qui avaient sorti l’information dans leur édition du 15 juin 2021.
Convoquée d’urgence par le CSV en commission parlementaire de l’Environnement, la ministre déi gréng avait, pièce à l’appui, démontré qu’un supposé non-respect de la loi sur les déchets d’emballage n’avait à aucun moment été signalé à l’administration de l’Environnement. Il s’est toutefois avéré que le nom de l’entreprise familiale figurait bien sur une liste actualisée, qui a toutefois été mal encodée. Carole Dieschbourg s’est montré très remontée à l’égard de l’administration de l’Environnement, mais aussi de Valorlux, accusé d’avoir rendu une liste incomplète.
Cabane ??? Une vraie maison, cf photos !!!