Sous le feu des critiques pour ne pas avoir pu éviter le retour aux réflexes nationalistes en début de pandémie, l’Union européenne est aujourd’hui en voie de guérison. Analyse.
Sans aucune information préalable, l’Allemagne a décidé le 15 mars 2020 de fermer ses frontières avec le Luxembourg. Schengen, haut lieu de la construction européenne, s’est retrouvé isolé du jour au lendemain. Des policiers lourdement armés sont venus se poster sur les ponts enjambant la Moselle. Le désarroi a été important. «On ne peut pas arrêter un virus avec une mitraillette», s’échauffe encore aujourd’hui Jean Asselborn, interrogé dans les colonnes du Tageblatt par des élèves du lycée… Robert-Schuman. Tout un symbole.
«Qu’aurait fait Robert Schuman s’il avait été confronté aux problèmes qui se posent aujourd’hui ?», s’est interrogé, jeudi, l’eurodéputé Charles Goerens dans le cadre du webinaire «Luxembourg, la première capitale de l’Europe unie», organisé par l’Europe Direct Information Centre (EDIC) de l’université du Luxembourg. Le grand mérite d’un des pères fondateurs de la construction européenne reste sa «méthode fonctionnaliste». «Il est parti du principe de la solidarité pour faire les premiers pas vers la fédéralisation de l’Europe. Depuis lors, toujours plus de briques sont venues s’ajouter à l’édifice européen», explique le Pr Sylvain Schirmann, qui préside le Comité scientifique de la Maison de Robert Schuman à Scy-Chazelles.
La méthode Schuman comme «fil rouge»
«La solidarité de fait de Schuman doit continuer à nous servir de fil rouge dans toutes nos actions», acquiesce le Premier ministre, Xavier Bettel. Le chef du gouvernement luxembourgeois a toutefois été obligé d’assister impuissant au retour des réflexes nationalistes au printemps 2020. «La libre circulation des biens, des personnes, des capitaux et services est essentielle pour le bon fonctionnement de l’Europe et pour son marché unique, qui est un des plus grands succès de la construction européenne, souligne Xavier Bettel. Mais la réalité est que bon nombre de barrières à la libre circulation restent élevées. La crise sanitaire est venue nous démontrer de manière effrayante que nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers.»
Fermeture des frontières, blocage de matériel de protection destiné à d’autres pays membres, drapeaux européens en berne. La journée de l’Europe a été en 2020 une des plus tristes de l’histoire de l’Union. Les critiques qui se sont abattues au printemps dernier sur une Europe impuissante et divisée étaient-elles justifiées ? Et quel est l’état de santé de l’UE à l’aube de cette journée de l’Europe 2021, qui doit être célébrée ce dimanche ?
«La pandémie a été un déclic pour réagir de façon appropriée à un défi d’une telle ampleur», estime Charles Goerens. Pour le doyen des eurodéputés luxembourgeois, «nous vivons un contexte semblable à celui du début des années 50». L’Europe ferait face à une «crise existentielle». Une de plus, serait-on tenté de dire. «Mais le projet européen n’est pas encore achevé», tempère Charles Goerens. Malgré toutes ses faiblesses, «des avancées considérables ont pu être réalisées. D’une union pour le charbon et l’acier, on est passé à une union politique, qui reste à parfaire.» On revient donc à une des déclarations phares de Robert Schuman : «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait.»
La pandémie de coronavirus pourrait constituer un tournant dans cette construction européenne. Charles Goerens cite en exemple le plan de relance dotée de 750 milliards d’euros et la décision rapide de soutenir financièrement les laboratoires susceptibles de développer un vaccin anti-Covid. «Ne soyons pas trop ingrats. L’UE a été à la hauteur de l’enjeu, au moins sur ces deux points», affirme l’élu libéral. L’esprit de solidarité, largement absent au début de la crise sanitaire, aurait été retrouvé au bon moment. «Qui aurait cru il y a trois ans encore que l’UE allait contracter un emprunt qui serait remboursé solidairement», souligne Charles Goerens.
«Un boulevard devant nous»
Rien n’est cependant encore acquis. «Nous avons un boulevard devant nous», rétorque l’eurodéputé luxembourgeois. Les citoyens, et plus particulièrement la jeune génération, devraient servir d’exemple aux responsables politiques pour renforcer encore la construction européenne. Un exemple ? «Les gens s’attendent majoritairement à ce que l’UE s’engage davantage dans la lutte contre le changement climatique.»
La Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui sera lancée ce dimanche, «tombe à point nommé». Charles Goerens croit dur comme fer au succès de cet exercice participatif. L’objectif doit être de garantir un avenir serein à la jeune génération, respectueux de nos valeurs fondamentales dans un monde compliqué.» La prochaine brique pour parachever la Maison Europe, chantier lancé avec la déclaration Schuman en 1950, prend forme.
David Marques
Les Luxembourgeois gardent confiance en l’UE
En amont de la Journée de l’Europe, la Commission européenne a publié les résultats de son Eurobaromètre 2021. Globalement, le niveau de confiance envers l’UE a augmenté par rapport à l’été dernier. Au Luxembourg, 55 % des citoyens interrogés disent avoir confiance en l’UE (+6 points). Le Portugal arrive en tête avec un taux de 78 % (+22 points).
Près de 8 personnes sur 10 interrogées au Luxembourg indiquent que le Grand-Duché ne pourrait pas faire mieux face au futur s’il était en dehors de l’UE. Dans la même proportion, elles sont d’avis que les intérêts du pays sont bien pris en compte par l’UE. Même si les décisions prises ne font pas toujours l’unanimité, les trois quarts des citoyens interrogés estiment que davantage de décisions devraient être prises au niveau de l’UE.
«L’UE a trop de chefs»
Vendredi, les quatre chefs de file de l’UE ont pris un selfie avec le port de Porto en arrière-plan. Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, Charles Michel, le président du Conseil européen, et David Sassoli, le président du Parlement européen, étaient en compagnie d’António Costa, le Premier ministre portugais assurant actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.
«L’UE a trop de chefs», lance sans équivoque Martine Reicherts. «Les citoyens ne s’y retrouvent plus», déplore la haute fonctionnaire européenne, venue finir entre juillet et octobre 2014 le mandat de Viviane Reding à la Commission européenne. Charles Goerens partage la critique. «Le poste de président du Conseil a été créé par les chefs d’État et de gouvernement pour affaiblir la Commission européenne», avance le doyen des eurodéputés luxembourgeois. Pour lui, «il faudrait supprimer le poste de président du Conseil européen. Une seule personne devrait assumer à la fois la présidence du Conseil et de la Commission européenne».
Une union, trois capitales
Luxembourg s’est positionné très tôt en tant que capitale européenne. Le 10 août 1952, la Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) s’installe dans le bâtiment qui abrite aujourd’hui la Spuerkeess. S’y ajoutent la Cour de justice au Cercle municipal et, entre 1952 et 1954, le Conseil spécial de ministres qui se réunit à l’hôtel de ville. Le siège du Conseil sera par la suite transféré à Bruxelles, capitale européenne depuis 1958, tandis que Strasbourg continue à accueillir l’Assemblée commune, devenue le Parlement européen. La capitale du Grand-Duché demeure le siège financier (Cour des comptes, Banque européenne d’investissement) et judiciaire (Cour de justice, Parquet européen). S’y ajoute le secrétariat du Parlement européen ainsi que des agences et services de la Commission européenne.
Mais quel est le risque de voir l’UE réduire le nombre de ses capitales ? « Aucun pays ne va céder quelque chose , estime le Dr Étienne Deschamps, historien au service de recherche du Parlement européen. On se dirige plutôt vers une multiplication. » Vienne pourrait ainsi être choisie pour accueillir des services ou agences. « Avoir réparti les institutions sur trois villes ne constitue pas un obstacle, à condition que la volonté politique pour faire vivre l’UE soit présente », estime de son côté le Pr Sylvain Schirmann, directeur honoraire de l’Institut d’études politiques à l’université de Strasbourg. Il est à noter que des changements à l’architecture de base – souvent critiquée – nécessite l’aval unanime des 27.
« L’Europe doit agir »
Les mécanismes décisionnels sont trop lents et trop compliqués. Cette critique ne cesse de revenir lorsque l’on évoque l’UE. « L’Europe doit agir au lieu de subir », souligne Charles Goerens. L’eurodéputé cite l’exemple de la politique étrangère. « Le principe de l’unanimité constitue un grand obstacle. De plus, les 27 trouvent toujours des moyens pour empêcher le haut représentant pour les Affaires étrangères de peser , déplore l’élu libéral. Il nous faut respecter les institutions ». Même si « des avancées considérables ont pu être réalisées », il serait nécessaire de se pencher sur le mécanisme décisionnel, voire les traités, « pour permettre à l’UE de tenir le rythme imposé » notamment par les États-Unis et la Chine.