L’ambassadeur britannique au Luxembourg, John Marshall, sera reçu ce lundi en audience de congé par le Grand-Duc Henri. Son mandat de cinq ans aura été marqué par le Brexit, mais pas seulement.
L’accueil se fait en luxembourgeois. John Marshall, arrivé courant mars 2016 au Grand-Duché, a fait l’effort d’apprendre la langue de Dicks au cours de son mandat d’ambassadeur au Luxembourg. Avant l’arrivée de la nouvelle ambassadrice, Fleur Thomas, prévue à la mi-avril, le diplomate a accepté de tirer avec Le Quotidien le bilan de son mandat, qui, au-delà du Brexit, lui a permis de faire profondément connaissance avec le Luxembourg.
Votre mandat a été largement dominé par le Brexit. Après ce très long bras de fer, peut-on aujourd’hui affirmer que « tout est bien qui finit bien » ?
En tant qu’ambassadeur, mon travail a essentiellement porté sur le volet des droits des citoyens après la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Depuis la ratification de l’accord de retrait, devenu effectif au 31 janvier 2020, notre attention s’est focalisée sur l’application des nouvelles règles concernant les citoyens luxembourgeois et britanniques. Les contacts se sont multipliés entre les autorités et il a fallu entrer en contact avec les Britanniques vivant au Grand-Duché pour les informer sur les démarches à entreprendre pour obtenir avant fin juin 2021 leur nouvelle carte de séjour. Nous avons réussi à bien avancer, même s’il est clair que certains ne se sont pas encore manifestés.
Le très long bras de fer qui a entouré le Brexit a-t-il pu provoquer des signes de mécontentement de la part des autorités luxembourgeoises ? Avez-vous été obligé de calmer les ardeurs ?
J’étais en contact permanent avec le ministère d’État, le ministère des Affaires étrangères, mais aussi le ministère des Finances et bien d’autres administrations. Il en était de même avec les représentants de l’économie luxembourgeoise, sans oublier la communauté britannique au Luxembourg. J’ai également expliqué par le biais de la presse les tenants et aboutissants du Brexit. Le processus, très complexe, n’a pas toujours été simple à comprendre. Le Brexit a eu des allures de pièce de théâtre. Les gens étaient excités par les multiples rebondissements au Parlement britannique. Le chaos était bien moins important que d’aucuns ont pu le croire. Il s’agissait tout simplement d’un processus démocratique qui était en marche.
Boris Johnson et moi-même, accompagnés par les agents de sécurité, sommes allés courir au Kirchberg
Toujours en relation avec le Brexit, vous avez accueilli en septembre 2019 le Premier ministre Boris Johnson au Luxembourg. S’agit-il d’un moment particulier dans la carrière d’un ambassadeur britannique ?
En fait, ce n’était pas la première visite de Boris Johnson au Luxembourg. Lors de son mandat de secrétaire d’État aux Affaires étrangères (NDLR : entre juillet 2016 et juillet 2018), il a régulièrement assisté à des réunions avec ses homologues européens à Luxembourg. En octobre 2017, Boris Johnson a profité d’une de ces réunions de l’UE pour une entrevue bilatérale avec son homologue Jean Asselborn. Il a passé une nuit à l’ambassade. Le lendemain matin, Boris Johnson et moi-même, accompagnés par les agents de sécurité, sommes allés courir au Kirchberg. Je le connaissais donc déjà lorsqu’il est revenu au Luxembourg en tant que Premier ministre.
La conférence de presse manquée avec le Premier ministre, Xavier Bettel, restera dans les mémoires. N’avez-vous pas des remords, voire de la rancœur, au vu de ce qui a pu être qualifié d’humiliation pour Boris Johnson ?
Il y a d’abord eu le déjeuner avec le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui n’était pas de mon ressort. Dans la foulée, l’entrevue avec Xavier Bettel s’est très bien déroulée (il se racle la gorge et rigole). Ce genre de choses arrive. Mais il n’y a aucune rancœur de ma part. Nous avons décidé de ne pas participer à cette conférence de presse (NDLR : des dizaines de manifestants bruyants étaient présents). Ce fut une journée très intense, que j’ai d’ailleurs sélectionnée pour ma rétrospective personnelle sur Twitter, baptisée #5Yearsin15Photos.
Lors de votre mandat, vous avez également eu l’occasion d’accueillir en mai 2017 Kate, la duchesse de Cambridge, l’épouse du Prince William, au Grand-Duché. Quelle est la valeur d’une visite d’un membre de la famille royale ?
La visite a eu lieu le 11 mai 2017, le jour même des 150 ans de la signature du traité de Londres de 1867, qui est venu confirmer l’indépendance du Luxembourg. Cette journée fut très spéciale, intense à préparer, mais elle s’est soldée par un très grand succès. Il est très excitant de pouvoir accueillir un membre de la famille royale britannique. Kate a tout simplement été fantastique avec toutes les personnes qu’elle a rencontrées lors de cette visite, que ce soit avec les membres de la famille grand-ducale, le Premier ministre, les autres membres du gouvernement ou les badauds. J’ai été impressionné et je me souviens encore de notre balade le long de la corniche où elle a spontanément engagé la conversation avec des gens qui étaient là par hasard.
En tant qu’ambassadeur, il est important de tenter de comprendre comment fonctionne le pays qui vous accueille
Sur Twitter, vous avez tous les week-ends publié une véritable chronique du baroudeur. Aviez-vous dès le départ l’intention de vous familiariser autant avec le Luxembourg ?
Que ce soit lors de mes missions précédentes au Japon, en Malaisie, en Éthiopie, au Sénégal ou maintenant au Luxembourg, j’ai toujours voulu connaître au mieux mon pays d’accueil et ses liens avec le Royaume-Uni. En tant qu’ambassadeur, il est important de tenter de comprendre comment fonctionne le pays qui vous accueille. D’un point de vue professionnel, il est judicieux de faire cet effort. Sur le plan personnel, cela vous enrichit également. Et étant un adepte de la course à pied, il est toujours plus intéressant au Luxembourg de courir à travers le pays que de se contenter de remonter et descendre la Pétrusse. J’ai ainsi commencé à parcourir toutes les communes, un parcours long de 750 km. Ensuite, je me suis mis à courir le long des rivières et des ruisseaux du pays. J’ai également parcouru l’ensemble des 201 circuits autopédestres.
Vous avez pris la décision d’apprendre le luxembourgeois, un pas que très peu d’ambassadeurs ou diplomates ont fait jusqu’à présent.
Je n’ai pas toujours eu assez de temps pour apprendre la langue de mes pays d’accueil. En Éthiopie, par exemple, je n’ai été en mesure d’apprendre qu’une poignée de phrases. Mais cela reste très bénéfique d’apprendre la langue du pays dans lequel vous êtes dépêché. J’ai pu rencontrer de très nombreux Luxembourgeois et visiter de multiples événements. Au départ, cela m’a attristé de ne pas pouvoir saisir ce qui se disait lors des discours.
Au vu de votre expérience acquise dans de très grands pays, comment jugez-vous le petit Luxembourg au bout de votre mandat de cinq ans ?
Je ne suis pas arrivé avec une idée préconçue au Grand-Duché. Mais j’ai supposé que ce poste au Grand-Duché pourrait constituer une base fantastique pour découvrir d’autres parties de l’Europe. En fin de compte, j’ai bien moins voyagé hors du Luxembourg que je ne le pensais au départ. J’ai pu découvrir beaucoup de facettes dans ce pays, ce qui a fait que mon emploi du temps ne m’a pas permis d’explorer l’Eifel ou les Vosges.
Vous avez résidé cinq ans au Luxembourg et vous parlez la langue. En principe, vous pouvez demander à devenir luxembourgeois. Vu votre attachement au pays, cela est-il envisageable ?
Non. Il est vrai que j’ai passé mon examen à l’Institution national des langues. Je suis ambassadeur britannique au Luxembourg et je resterai britannique à part entière, en dépit du fait que je suis aujourd’hui très attaché au Grand-Duché.
De quoi sera fait votre avenir de diplomate ?
Rien n’est encore acté. Je vais tout d’abord prendre plusieurs semaines de congé. Il est probable que je vais occuper par la suite un poste à l’intérieur de l’administration gouvernementale. Mais il reste possible que je reprenne à l’avenir un autre poste à l’étranger.
Connaissez-vous personnellement Fleur Thomas, la future ambassadrice britannique au Luxembourg ? Avez-vous un conseil à lui donner ?
Nous entretenons un contact régulier par visioconférence. J’espère qu’elle sera bien préparée au moment de son arrivée au Luxembourg. Je ne pense pas qu’elle ait besoin d’un conseil de ma part. Je suis sûr qu’elle va accomplir sa mission en posant ses propres accents. Mais si je peux lui donner un conseil, c’est de prendre le temps nécessaire pour faire connaissance avec le pays.
Entretien avec David Marques
Les vaccins, un dernier caillou dans la chaussure
En toute fin de mandat, John Marshall a été amené à jouer les médiateurs dans la polémique naissante sur l’exportation des vaccins anti-Covid de l’UE vers le Royaume-Uni. «J’ai bien pris contact avec les autorités luxembourgeoises pour expliquer notre point de vue. Le plus important est que les exportations des vaccins vers le Royaume-Uni ne soient pas bloquées par l’UE», souligne l’ambassadeur. Il rappelle que le Royaume-Uni dispose d’une capacité de production très limitée de vaccins, au contraire de l’UE «qui s’est positionnée comme une véritable plaque tournante» dans ce domaine. «Les contrats conclus par mon gouvernement doivent être respectés», insiste encore le diplomate.
L’apport du Royaume-Uni dans le domaine des vaccins anti-Covid aurait bien plus été le financement de la recherche, plus particulièrement pour le développement du vaccin d’AstraZeneca avec le soutien de l’université d’Oxford. «Nous avons également cofinancé une ligne de production établie aux Pays-Bas. L’accord avec AstraZeneca a porté sur la livraison prioritaire de 100 millions de doses à partir de cette usine», précise encore John Marshall, non sans renvoyer vers la chaîne de production ultracomplexe d’un vaccin avec des composants issus de plusieurs pays. «La coopération internationale est indispensable», conclut-il.