Il devient de plus en plus difficile de se loger au Grand-Duché. Pour faire face, le gouvernement vient de présenter le Pacte logement 2.0 et la réforme du bail à usage d’habitation. Mais pour l’association Mieterschutz Lëtzebuerg, ces mesures sont insuffisantes.
L’association Mieterschutz Lëtzebuerg – Défense des locataires Luxembourg a vu le jour au début de cet été. En attendant la manifestation de samedi (lire encadré), son président, Jean-Michel Campanella, nous livre son analyse de la situation actuelle du logement dans le pays et des différentes mesures annoncées par le gouvernement pour faire face à la crise du logement.
Quelle est la genèse de la création de l’association Mieterschutz Lëtzebuerg – défense des locataires Luxembourg ?
Jean-Michel Campanella : L’année dernière, j’ai participé à une conférence sur le logement organisée par la Fondation pour l’accès au logement. On a eu des ateliers. On nous expliquait ce qu’il était possible de faire… Mais lors d’échanges avec d’autres participants, on se disait que ce n’était pas assez et qu’il fallait faire quelque chose. Nous étions trois ou quatre prêts à nous lancer. On s’est rencontrés à plusieurs reprises, puis en ligne pendant le confinement. Nous avons été rejoints par d’autres. On s’est organisés et les statuts de l’association ont été publiés le 10 juillet dernier.
Comment jugez-vous la situation actuelle du logement dans le pays ?
Elle est catastrophique pour toutes les personnes classées dans la catégorie « risque de pauvreté », mais aussi pour une partie des personnes de la classe moyenne. Une majorité de personnes consacrent environ 40 % de leur salaire à leur logement, pour certains cela peut aller jusqu’à 60 %. C’est très compliqué pour beaucoup. Pire, les prix actuels excluent par exemple les gens seuls, qui ne peuvent pas accéder à un logement social, car la priorité pour ces logements est accordée aux grandes familles. Ou encore les familles monoparentales. Comment voulez-vous trouver un logement à Luxembourg avec deux ou trois enfants en étant seul même avec un assez bon salaire? C’est devenu impossible de trouver un logement aujourd’hui pour certaines personnes. Et pour une majorité, c’est très long et compliqué. De plus en plus de personnes sont obligées d’aller de plus en plus loin pour chercher un logement : dans le nord du pays ou alors de l’autre côté de la frontière en Allemagne, en Belgique ou en France.
Mais ces problèmes ne datent pas d’aujourd’hui…
C’est vrai, mais ils s’accentuent et concernent de plus en plus de monde, car les loyers augmentent plus vite que les salaires. On dit souvent qu’au Luxembourg les locataires représentent 30 % de la population, dont une majorité de résidents étrangers. Mais aujourd’hui, de plus en plus de personnes de la classe moyenne se rendent compte qu’elles ne pourront pas devenir propriétaires.
Globalement que pensez-vous du Pacte logement 2.0 ?
Il dresse les bons constats, mais les solutions apportées sont clairement insuffisantes. Ce sont des mesurettes qui ne répondent pas à l’urgence de la situation. On demande un vrai plan d’urgence pour le logement pour faire face aux plus de 30 000 logements abordables manquants et aux quelque 4 000 logements sociaux manquants. Et entre parenthèses, il n’y a toujours par de définition claire et précise d’un « logement abordable ». Il faut une politique vigoureuse de construction massive de logements à louer par les pouvoirs publics. Il faut aussi réutiliser des logements vides. Par exemple, réaffecter les anciennes maisons douanières. L’État et les communes doivent mettre en place un plan concret.
Quel regard portez-vous sur le projet de loi sur le bail à usage d’habitation ?
Il ne va pas assez loin. Il manque de clarté et de précisions. Et il y a des points qui nous ont surpris, comme le paiement des frais d’agence. Ils disent que ce n’est pas normal que ce soit le locataire qui paie les frais d’agence, alors que c’est le propriétaire qui demande le service. Il l’expose, il l’explique et au final, ils disent qu’on va faire moitié-moitié. Cela n’a pas de sens. Pour nous, il est logique que celui qui engage une agence doive payer les frais d’agence. Et par ailleurs, il n’est toujours pas stipulé l’obligation dans tous les cas d’un état des lieux à l’entrée et à la sortie du locataire.
Il comporte des avancées comme la reconnaissance de la colocation…
Oui, nous la saluons, mais il y a des améliorations à apporter. Le gouvernement propose qu’il n’y ait qu’un bail unique pour une colocation, mais ce qui nous pose problème, c’est que dans une colocation il peut y avoir des bénéficiaires du Revis. Or on ne peut pas percevoir le Revis si on n’a pas de bail individuel. Alors si vous êtes dans une colocation, ils vous considéreront comme vivant dans une communauté et prendront en considération les revenus de tout le monde. Au final, vous ne pourrez plus avoir le Revis. Or nous rappelons que pour des personnes seules touchant le Revis, la colocation est très souvent la solution pour se loger. Pour nous, il faut un contrat de bail individualisé pour chaque colocataire pour les démarches visant à obtenir le Revis ou l’allocation de vie chère, mais aussi pour responsabiliser chaque colocataire. La loi pourrait prévoir la possibilité de lier les contrats de bail individualisés à une convention générale pour tous réglant les aspects communs. Et selon nous, l’esprit de la loi était clairement de favoriser et de faciliter les colocations pour les propriétaires sans créer un équilibre des relations entre locataires et bailleur.
Aujourd’hui, il n’y a toujours pas d’encadrement des loyers
Le projet de loi prévoit également que la garantie locative passe de trois à deux mois. C’est une bonne chose ?
C’est positif. Mais vu les prix des loyers, la garantie locative ne devrait être que d’un mois. En effet, quand vous avez un loyer mensuel de 1 500 à 2 000 euros, une garantie locative de deux mois correspond à un sacré capital à avoir au départ. Et nous voulons que la garantie locative soit abaissée à un mois et nous demandons également l’instauration d’un fonds étatique.
Un fonds étatique ?
Il aurait pour fonction d’émettre des prêts sans intérêts pour payer la garantie locative et alléger ainsi les obstacles à l’accès au logement. Cela se fait déjà à l’étranger, comme en Flandres (Belgique). La procédure d’octroi et les conditions devraient être simplifiées et le demandeur (locataire) doit impérativement avoir une réponse dans les 48 heures. Car aujourd’hui, un propriétaire demande souvent une réponse à un potentiel locataire dans les 24 heures et on constate que pour obtenir une réponse de l’État concernant les aides pour la garantie locative, c’est souvent beaucoup plus long.
Quelle est votre position concernant la question des 5 % du capital investi pour limiter les loyers ?
Pourquoi 5 % ? Ce pourcentage a été fixé dans les années 1950 et il n’est nullement adapté à la situation actuelle. Pour calculer la limite maximale du loyer à payer pour les nouvelles constructions, on pourrait s’inspirer d’autres exemples, comme en Suisse, où le seuil maximal du loyer annuel ne doit pas dépasser de 0,5 point de pour cent le taux hypothécaire de référence. De plus, il paraît que la loi pourrait permettre à des propriétaires ayant acquis un bien gratuitement de calculer le loyer maximal sur la base d’un capital investi sans investissement de la part du propriétaire. Cela va à l’encontre de l’esprit de la loi. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas d’encadrement des loyers.
Votre association Mieterschutz Lëtzebuerg prône également une réforme des commissions des loyers, c’est-à-dire ?
Elles ont un rôle important à jouer dans la médiation entre le locataire et le bailleur. Mais il faudrait instaurer trois commissions des loyers régionales selon les arrondissements juridiques. Elles agiraient comme instance intermédiaire entre le niveau local et la justice. Leurs compétences comme médiateurs devraient être élargies à tous les litiges concernant les logements et les problèmes locatifs. Pour mener à bien ces missions, elles devraient être professionnalisées et paritaires, c’est-à-dire avoir un nombre égal d’assesseurs-propriétaires et d’assesseurs-locataires.
Ce projet de loi sur le bail à usage d’habitation est donc loin de vous satisfaire ?
Il ne propose que quelques petites améliorations sans trop toucher aux principes de base pour les aspects les plus essentiels comme le seuil annuel légal ou le paiement des garanties locatives. Nous sommes loin d’une véritable « refonte ». La loi ne va pas permettre d’endiguer la hausse des loyers ni de sensiblement améliorer l’accès au logement, surtout dans une situation où la crise du logement touche particulièrement ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter un bien.
Entretien avec Guillaume Chassaing
Un appel à manifester samedi
L’association Mieterschutz Lëtzebuerg – Défense des locataires Luxembourg, ainsi que plusieurs autres associations (ASTI, Rise for Climate, ATD Quart Monde, Femmes en détresse, CLAE…) ou encore l’OGBL et déi Lénk appellent à une «manifestation nationale pour l’accès au logement digne et abordable». Elle est programmée samedi à 14 h à Luxembourg. Le départ se fera au Glacis et le cortège se rendra jusqu’à l’hôtel des Postes. Sur le tract, on peut lire : «Vous avez déjà galéré à trouver un logement à un prix abordable ? Votre dossier a été refusé parce que vous n’avez pas de CDI ? Famille monoparentale, vous galérez pour trouver un logement ? On vous dit non parce que vous n’êtes pas luxembourgeois ? (…) Vous n’êtes pas seul(e)s. Les pouvoirs politiques refusent de voir l’ampleur de la crise? Nous allons la rendre visible! Trouver un logement au Luxembourg ne doit plus être un enfer !»