Accueil | Dossiers | [Interview du lundi] Bettel : «Tout va bien»

[Interview du lundi] Bettel : «Tout va bien»


Le premier ministre Xavier Bettel estime que les dossiers brûlants, comme la pénurie de logement ou le sens de la croissance du pays, doivent être gérés avec calme (Photo : Tania Feller).

Face aux attaques dont il a fait l’objet, le Premier ministre, Xavier Bettel, reste serein. Il a tenu, juste avant les fêtes de Noël, à balayer l’actualité, à parler un peu de lui et un peu des autres. Discussion à bâtons rompus.

Il est devenu très ami avec Jean-Claude Juncker, il n’aime pas la critique bête et méchante, il veut son calme, accepte volontiers la critique, refuse de s’en prendre aux propriétaires de terrains laissés à la spéculation. Pour Xavier Bettel, «tout va bien».

Jean-Claude Juncker dit que vous êtes grands amis, les choses ont changé depuis 2013, il n’est pas rancunier…
Xavier Bettel : Avant, nous n’avions jamais eu l’occasion de travailler ensemble. Nous n’étions pas dans la même équipe, nous n’avons jamais eu de projets communs. Je l’appréciais déjà avant car c’est un homme de conviction, c’est une bête politique et il faut reconnaître que c’est une encyclopédie. Il a été le bon président de la Commission au bon moment quand l’Europe était en crise et d’ailleurs elle y est toujours. Mais il a défendu les valeurs européennes et nous avons pu faire un projet commun. Nous avons passé du temps ensemble, nous nous sommes découverts et nous avons pu avoir un projet commun pour l’Europe. J’ai beaucoup d’amitié pour lui et, je ne devrais pas le dire, je l’ai encore appelé la semaine dernière lorsque j’étais au sommet à Bruxelles parce que cela m’a fait tout drôle de ne pas le voir dans la salle. Je l’apprécie beaucoup et je suis content d’avoir pu travailler avec lui.

Curieusement, il a dit qu’il se verrait bien conseiller du gouvernement…
Jean-Claude n’a pas envie de jouer le rôle de la belle-mère. Je sais en revanche que c’est quelqu’un avec qui j’ai envie de m’entretenir sur différents sujets régulièrement, c’est quelqu’un de passionnant. Il a un savoir politique historique et il a participé à tous les traités sauf celui de Rome. Mais je sais que c’est avec humour qu’il a dit qu’il conseillerait volontiers le gouvernement.

Quand vous étiez dans l’opposition, avez-vous aussi reproché le manque de vision de la majorité au pouvoir quand elle présentait ses projets de budget ?
Aujourd’hui, on parle beaucoup plus de vision. À l’époque, on reprochait plutôt un manque d’ambition ou de mauvaises priorités et je m’en souviens encore très bien. Je rappelle aux partis politiques que nous avons un accord de coalition et c’est la vision du gouvernement qui correspond à ce que je veux faire. J’ai donné mes priorités et je pense aussi que je vais demander au Parlement de pouvoir faire ma déclaration sur l’état de la Nation en avril parce que j’ai envie de rappeler mes priorités. Quand on me parle de vision, je réponds que c’est la réalisation de l’accord de coalition. Je dois rattraper un manque de prévision. Mais je n’ai pas envie de rejeter la faute sur d’autres, c’est une responsabilité collective. Jean-Claude Juncker parlait d’un Luxembourg à 700 000 habitants, il fallait préparer le pays pour les accueillir.

Avoir un pays qui se développe mieux

Vous poursuivez sur cette lancée et l’opposition vous reproche justement d’avoir comme seule vision la poursuite de cette croissance démographique…
Mon but n’est pas d’avoir un Luxembourg à un million d’habitants, mais d’avoir un pays qui se développe mieux avec les infrastructures nécessaires et une qualité de vie préservée. Cela passe par l’aménagement du territoire et l’aménagement du travail avec le télétravail et les espaces de coworking. Nous avons encore des négociations à mener avec les pays limitrophes pour voir comment on peut s’arranger car les nouvelles formes de travail peuvent entraîner une diminution de 30 000 à 40 000 personnes sur les routes. C’est une utopie de penser que l’on pourra laisser devant notre porte les gens désireux de venir au Luxembourg. Il faut donc construire plus et celui qui habite à la campagne n’a pas envie que son village devienne une ville, mais ceux qui habitent en ville savent qu’elle va continuer à s’étendre.

On semble découvrir aujourd’hui que quelques propriétaires privés sont en mesure de faire la pluie et le beau temps dans le domaine foncier. Pour autant, vous n’êtes pas favorable à taxer davantage les terrains constructibles. Pourquoi ?
Cela dépend si on a un terrain ou 100 terrains. Je comprends que l’on veuille garder une place à bâtir pour ses enfants, mais il ne s’agit pas dès lors de punir le propriétaire. Nous sommes en train d’étudier une réforme de l’impôt foncier et je suis plutôt favorable à des incitations fiscales comme ce que nous avons mis en place avec le quart-taux. En revanche, il est inadmissible de garder des logements vides pendant des années. Cela me gêne vraiment, d’autant que nous avons des agences sociales pour s’en occuper.

Cette question crée-t-elle dissensions au sein de la coalition, notamment sur la question fiscale ?
Non, pas du tout. Nous sommes tous conscients que le problème du logement fait partie des premières priorités de ce gouvernement, toutes couleurs confondues. Le ministère du Logement est vert, le ministre de l’Intérieur est un rouge avec justement toute la dimension sociale que Dan Kersch à l’époque a su défendre, le ministre des Finances est un bleu et la question fiscale est importante dans ce dossier. Sur le logement, nous serons jugés en tant que gouvernement.

Préserver la paix sociale, c’est anticiper dans le calme

Vous voulez votre « calme », avez-vous déclaré en substance dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Lëtzebuerger Land, juste avant le débat parlementaire sur le projet de budget. Ça tombait mal, non ?
C’était dans le cadre du dossier de la radio 100,7, mais en règle générale je veux le calme dans le sens où je veux éviter le conflit social. Or j’en ai un au sein de la radio entre la direction, les employés et le conseil d’administration. J’essaie de désamorcer le conflit et de faire en sorte que tous puissent travailler ensemble et être solidaires. C’est comme cela que l’on avance. Je veux préserver la paix sociale dans notre pays en général parce qu’elle fait partie des attraits de notre pays. Je devais me rendre à Paris récemment, mais j’ai renoncé à cause des grèves. Je ne savais pas comment m’y rendre. La France est confrontée à une crise à cause de sa réforme des retraites. Préserver la paix sociale, c’est aussi anticiper dans le calme. C’est ce que nous avons fait avec notre système de retraite.

De quelle manière ?
Nous nous sommes donné un mécanisme avec des voyants qui s’allument, qui nous alertent et qui nous permettent d’intervenir selon les niveaux atteints. Un tel mécanisme nous évite de réagir dans l’urgence et de pouvoir anticiper. La prévoyance fait partie aussi des attraits de notre pays. Si les voyants passent à l’orange, on se met tous autour d’une table et on discute. Je n’attends pas que ce soit rouge. Et ça marche comme ça.

S’il est peu probable de voir des gens dans la rue dans un futur proche pour défendre leurs retraites, cela pourrait-il se produire pour la crise du logement ?
Je sais que certaines personnes s’agitent autour de cette question pour alimenter leur propagande populiste. Je ne rentrerai pas dans ce jeu-là.

Êtes-vous hermétique aux critiques ?
Non. Elles permettent d’apprendre et je suis toujours à l’écoute. Je n’aimerai pas vivre dans un pays où je suis entouré de flatteurs. La critique doit être constructive, si elle est juste destructrice et méchante je n’aime pas.

Elles sont parfois sévères…
Oh, ça dépend de qui elle vient. Une critique bête et méchante, c’est celle que j’entends parfois de la tribune de la Chambre qui est purement gratuite, sans aucun fondement mais c’est le jeu politique qui veut ça. Une critique constructive bénéficie toujours à celui qui la livre et à celui qui la reçoit. Une critique constructive, c’est par exemple ce qui a émané de ma rencontre avec les jeunes sur la question du climat. J’ai déjà eu des échanges avec Jean- Louis Schiltz (NDLR : ancien ministre du gouvernement Juncker/Asselborn I) où il me critiquait sur la manière dont j’avais ficelé un dossier. J’ai eu des échanges avec Jacques Santer, Jacques Poos, Colette Flesch, donc des seniors comme des jeunes. Un politique qui vit dans une tour d’ivoire et qui pense tout savoir et tout connaître, se casse vite la figure.

Dans une coalition, personne n’a le monopole

Les critiques ne vous empêchent pas de tenir bon à la tête de cette coalition à trois… La recette ?
Dans une coalition, personne n’a le monopole et vient dire que son parti a raison. On avance ensemble et ça passe par des compromis. On doit parfois mettre de l’eau dans son vin, mais cela donne finalement une politique plus équilibrée quand on est à plusieurs autour de la table avec des points de vue différents et qu’on est capables de trouver un dénominateur commun. C’est ma mission.

Donc tout va bien ?
Tout va bien. J’ai commencé ma septième année à la tête du gouvernement et vraiment tout va bien.

Contrairement à Étienne Schneider, vous êtes prêt à rempiler dans quatre ans ?
Ce sont les électeurs qui choisissent. Ils élisent un Parlement et s’ils en ont assez de moi, ils me le feront comprendre! C’est à eux de décider si je dois continuer ou pas. Je respecte le choix d’Étienne, même si je le regrette. C’est un ami avec qui j’ai bien travaillé.

Craigniez-vous de ne pas en faire autant avec Dan Kersch qui prend le titre de vice-Premier ministre ?
Je fais pleinement confiance à Dan Kersch, c’est quelqu’un qui est droit et c’est vrai que sur certains sujets on n’est pas toujours sur la même longueur d’onde. Je l’apprécie énormément, c’est un travailleur, un grand bûcheur, je le respecte. Dan Kersch est un homme de conviction.

Entretien avec Geneviève Montaigu

Un commentaire

  1. Dan Kersch est peut-être un homme de conviction, mais n’as tout simplement pas le profil pour un poste de Vice Premier ministre; Expliquez-moi comment quelqu’un qui a seulement un diplôme de fin d’études secondaires (en fait, cours du soir et par correspondance) puisse accéder a cette fonction et gagner pratiquement 21 000 euros de salaire? Je trouve que 1) sans une formation adéquate dans le milieux des sciences politiques/économie/droit, on ne devrait pas pouvoir accéder a des fonction ministérielle au sein d’un gouvernement, 2) sa nomination est selon moi indécente vis-à-vis des jeunes qui doivent avoir minimum un master pour gagner des salaires bien bas.