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Impôt sur les sociétés : l’assiette commune inquiète


"Il y a encore pas mal de questions en suspens", note Eugène Berger. (photo archives Jean-Claude Ernst)

La Chambre s’est penchée fin décembre sur la proposition européenne d’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Une résolution pour dire ses craintes.

La résolution en question exprime les inquiétudes de l’ensemble des députés, à l’exception de ceux de déi Lénk qui ont voté contre, appelés à se pencher sur la proposition de directive de la Commission européenne visant à mettre en œuvre l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Présenté comme un nouvel outil de lutte contre l’évasion fiscale, ce texte vise à introduire dans tous les États membres les mêmes règles de détermination du résultat imposable en supprimant les disparités entre les différents systèmes nationaux et donc les failles qui ont fait naître des décisions anticipées considérées aujourd’hui dans certains cas comme des aides d’État.

Le 22 décembre dernier donc, les députés ont adopté cette résolution qui reprend un avis motivé de la Cofibu adressé à la Commission qui soumettait cette proposition pour que les députés puissent contrôler si elle respectait le principe de subsidiarité. Les députés ont estimé que tel n’était pas le cas.

Le député Eugène Berger (DP), président de la Cofibu et auteur de l’avis motivé, estimait que ces propositions ne respectent ni le principe de subsidiarité ni le principe de proportionnalité. « Il y a encore pas mal de questions en suspens. Surtout, il y a une deuxième étape dans ce processus qui nous apparaît plus problématique car un organe européen déciderait du taux d’imposition dans chaque pays. D’autres États membres ont aussi exprimé leurs inquiétudes au sujet de cette proposition comme l’Irlande ou encore les Pays-Bas », nous explique Eugène Berger.

Cette proposition serait fatale aux petits pays, selon lui. L’avis motivé a été rédigé à la suite des explications fournies par les hauts fonctionnaires du ministère des Finances lors de la réunion de la Cofibu le 19 décembre dernier. Autant dire qu’il reflète la position du gouvernement et plus encore de toute la classe politique.

Principe de subsidiarité

La Commission européenne estime ses textes conformes au principe de subsidiarité et que «la version réactualisée de l’ACCIS ne porte pas atteinte à la souveraineté des États membres dans la détermination du montant final des recettes fiscales qu’ils souhaitent obtenir pour atteindre leurs objectifs de politique budgétaire». Les députés luxembourgeois ne sont pas du même avis et estiment au contraire que «l’harmonisation de l’assiette imposable, qui est induite par les propositions de directives, impacte directement la prérogative des États-membres de déterminer librement des aspects essentiels de leur politique fiscale». Or, la politique fiscale, poursuit Eugène Berger dans l’avis motivé représente «non seulement un élément fondamental de la souveraineté des États membres, mais constitue également l’expression de choix de politique sociale et économique tenant compte des spécificités de chaque État. En l’occurrence, la mise en œuvre des propositions conduiraient à ce que ces considérations (d’ordre politique, social et économique) propres à chaque État ne puissent plus être dûment prises en compte au niveau national, mais devraient à l’avenir être négociées à l’unanimité au sein du Conseil».

La Chambre des députés note avec «préoccupation» que les propositions «risquent d’impacter de façon disproportionnée les petites économies ouvertes au sein de l’Union». Dans la mesure où «après la mise en œuvre de l’assiette commune, le seul facteur de différenciation entre États membres serait le taux d’imposition des sociétés, la Chambre des députés redoute une course vers le bas excessive», écrit-elle dans la résolution.

Pourquoi en rajouter puisque «le Conseil de l’UE vient d’adopter en juillet 2016 une directive ayant pour objectif de lutter contre les pratiques d’évasion fiscale et fixant à cet égard un degré minimum de coordination dans l’Union», font encore observer les députés.

Un expert de chez EY, une des Big Four, faisait remarquer dans une tribune qu’à un moment où «les finances publiques des États européens rencontrent déjà bien des difficultés et où la mise en place des diverses autres mesures de la Commission (comme la proposition de directive établissant des règles contre les pratiques d’évasion fiscale) risque de réduire la compétitivité de l’Union européenne de manière générale, la question du bien-fondé de l’introduction d’une assiette commune mériterait d’être analysée de manière plus détaillée par les décideurs politiques et les instances européennes».

C’est ce que viennent de faire les députés, conseillés par le ministère des Finances.

Geneviève Montaigu