Les ONG font face à des situations de plus en plus dangereuses. Pour protéger leurs employés, elles mettent en place des protocoles de sécurité conduisant à une professionnalisation accrue du secteur.
Face à la dangerosité de certaines missions, les ONG, pour porter assistance aux populations, sont conduites à adopter des stratégies et des mesures pour réduire les risques. (Photos : MSF)
Il y a quelques semaines, une humanitaire française était prise en otage en République centrafricaine. Elle a été relâchée au bout de quelques jours, sans doute contre une forte rançon, mais l’affaire a relancé la question de la sécurité des intervenants des ONG dans les zones difficiles. Le fait est que ces derniers représentent des cibles dites « faciles » et une monnaie d’échange ou une source de profits aisée pour des groupes peu scrupuleux.
La problématique n’est cependant pas nouvelle.
Christian Huvelle, médecin et responsable du département Étranger à la Croix-Rouge luxembourgeoise, reconnaît néanmoins que la situation s’est aggravée ces dernières années : « Les Occidentaux sont devenus des cibles faciles dans une stratégie de racket et de criminalité pour certains groupes. Ces mêmes groupes avec qui le dialogue est impossible. Durant la guerre froide, les camps étaient politisés, il y avait un respect de la neutralité de la Croix-Rouge. Aujourd’hui, il est difficile d’établir des contacts avec la mafia criminelle au Mexique ou avec des groupes islamistes. On pouvait dialoguer avec les talibans il y a vingt ans, ce n’est plus le cas aujourd’hui. »
> Synchronisation avec le calendrier politique
En conséquence, la Croix-Rouge essaie de travailler avec le moins d’Occidentaux possible : « Nous avons une bonne relation avec notre réseau de Croix-Rouge locales. Au Niger et au Mali, par exemple, où les Occidentaux ont été pris pour cible, ils se cantonnent à être positionnés dans les capitales. Notre stratégie est d’envoyer sur le terrain des Africains d’Afrique subsaharienne issus de pays dits neutres, comme le Burkina Faso. La sécurité est une préoccupation journalière. »
Pas question de mégoter avec la sécurité non plus, estime Sandy Fournelle, d’Action solidarité tiers monde (ASTM) : « Les dates des missions dans certains pays sont adaptées aux « calendriers politiques ». Par exemple, nous avons évité de partir en mission au Burkina Faso pendant la phase du projet de modification de la Constitution en automne dernier à cause des soulèvement populaires qui ont eu lieu. Nous ne partirons pas non plus pour le Burkina Faso les deux prochains mois à cause de la campagne électorale en cours. L’élection présidentielle est prévue en avril et il y a une forte probabilité qu’il y aura à nouveau des soulèvements populaires. »
Du côté de Médecins sans frontières (MSF), la sécurité des employés est également une préoccupation majeure : « Il faut évaluer la situation selon les régions, estime Paul Delaunois. Nous sommes présents dans 70 pays avec 290 projets qui sont classés dans différentes catégories. Les mesures du protocole de sécurité sont réévaluées chaque semaine. »
> Le dialogue est essentiel
Le directeur de MSF Luxembourg poursuit en livrant un aperçu des situations locales : « Le Burundi est, par exemple, une zone plutôt tranquille, mais avec la tenue des élections cette année, les choses peuvent évoluer très rapidement juste avant. Nous ne sommes plus en Somalie, car il était impossible de trouver des interlocuteurs fiables. La situation est difficile en Centrafrique, en Afghanistan aussi. »
Paul Delaunois insiste sur la nécessité d’un dialogue sur place : « La meilleure garantie pour nous est de dialoguer avec toutes les fractions en présence, d’expliquer pourquoi nous sommes là, notre neutralité : cela prend du temps. Le dialogue est essentiel. »
Si la professionnalisation du volet sécurité induite par la dangerosité croissante des missions n’a pas entraîné de coûts supplémentaires pour les ONG, il a fallu au fil du temps réaliser quelques ajustements. « C’est vrai qu’il faut écrire maintenant des rapports après chaque incident, mais c’est une question d’organisation, poursuit le responsable de MSF Luxembourg. Ce qui coûte cher, c’est l’évacuation, comme cela s’est passé au Soudan du Sud où nos installations ont été détruites et pillées. »
Du côté de la Croix-Rouge, si l’on se refuse à s’équiper en matériel militaire, la protection a néanmoins un coût : « nous n’avons pas de véhicules militaires, mais nous avons acquis de gros 4×4 qui offrent plus de protection. Lors des manifestations anti-Charlie à Niamey, la capitale du Niger, les expatriés se sont cachés en lieu sûr, sans fenêtres, pendant un jour ou deux », raconte Christian Huvelle.
De notre journaliste Audrey Somnard