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Henri Grethen : «Cette image d’eurosceptique me collait à la peau»


Une image d'eurosceptique acquise "depuis le traité de Maastricht et ma position sur la citoyenneté européenne. J'étais favorable à la double nationalité plutôt qu'à un droit de vote des non-Luxembourgeois qui était impossible à appliquer sans changer la Constitution", explique Henri Grethen. (Photo Julien Garroy)

Henri Grethen est devenu membre de la Cour des comptes européenne en janvier 2008 et s’apprête à quitter son poste, à l’aube de ses 70 ans.

L’ancien ministre libéral de l’Économie et des Transports s’est retrouvé plus d’une fois dans la tourmente d’évènements parfois dramatiques, comme l’accident du Fokker de Luxair. Puis on l’a dit eurosceptique parce qu’il s’opposait à la citoyenneté européenne.

Vous voilà à l’aube de votre retraite. Avez-vous hâte d’achever votre mandat ?

Oui et j’espère bien qu’il se terminera le 31 décembre, pour autant que mon successeur soit nommé en temps utile. Ce qui, pour le moment, est un peu compliqué parce que les parlementaires préparent les auditions des commissaires qui ont priorité sur les membres de la Cour. Mais j’espère que le passage de Joëlle Elvinger se fera vers la moitié du mois de novembre.

En tant que membre de la Cour des comptes européenne, vous allez sans doute vivre la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Est-ce un sujet de discussion entre vous ?

Disons que la Cour n’est pas insensible et s’est bien préparée en coordination avec toutes les institutions européennes et en particulier avec la Commission et l’équipe de monsieur Barnier.

Quelle sera la situation financière de l’Union européenne après le Brexit ?

C’est très simple, le Royaume-Uni est un contributeur net, donc des fonds manqueront, évalués à 11 milliards nets par an et ces fonds doivent être ou bien remplacés par d’autres contributeurs nets ou les différentes politiques doivent être revues à la baisse. Bien évidemment, il y a les grands postes de dépenses comme l’agriculture ou les fonds de cohésion et leurs bénéficiaires ne l’entendent pas de cette oreille. Il n’y a pas 36 solutions, sinon augmenter les participations de chacun, mais la pression est forte pour respecter le statu quo qui est de 1% du revenu national brut pour les pays membres. Seul l’avenir nous dira à quoi s’attendre. Le budget de l’Union européenne est établi sur une période de sept ans, la nouvelle période va commencer incessamment, mais je vois mal et le Parlement et le Conseil boucler ce dossier avant la fin de cette année.

Vous avez participé à créer la Cour des comptes au Luxembourg à la fin des années 90. Est-elle comparable à sa grande sœur européenne ?

Oui. Nous nous sommes beaucoup inspirés de la Cour des comptes européenne de l’époque. Il y a cependant une différence notable. La Chambre des députés peut demander à la Cour des comptes luxembourgeoise de faire un rapport sur un sujet donné et elle doit s’exécuter. La Cour des comptes européenne est totalement indépendante et personne ne peut nous obliger à rédiger un rapport, sauf ce qui est prévu par le traité.

Jean-Claude Juncker s’est demandé quelle mouche m’avait piqué

Vous avez décidé de quitter la politique il y a douze ans. Pourquoi ?

J’avais décidé après la débâcle de 2004 d’assumer mes responsabilités. J’étais intéressé par un mandat européen et le seul que je voyais était celui de membre luxembourgeois à la Cour des comptes. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker, s’est demandé quelle mouche m’avait piqué, estimant que le poste était ennuyeux à souhait. J’avais malheureusement acquis une image d’eurosceptique depuis le traité de Maastricht et ma position sur la citoyenneté européenne. J’étais favorable à la double nationalité plutôt qu’à un droit de vote des non-Luxembourgeois qui était impossible à appliquer sans changer la Constitution, et pour la changer, il fallait dissoudre le Parlement. Cette image d’eurosceptique me collait à la peau, mais ne correspondait pas à la réalité. Jean-Claude Juncker m’a donc accordé ce poste à la Cour des comptes européenne.

Si vous n’aviez pas décroché ce poste à la Cour des comptes européenne, auriez-vous achevé votre mandat de député ?

Non, j’avais dit à Eugène Berger, qui n’avait pas été réélu, que quelle que soit l’issue de cette nomination je démissionnerais en temps utile pour lui permettre de reprendre son siège de député. J’avais un plan B qui était la poursuite de mes activités économiques. Je suis très heureux aujourd’hui d’avoir pu intégrer la Cour des comptes européenne.

Vous avez suspendu vos activités économiques pendant les douze ans de votre mandat. Allez-vous les reprendre ?

Non, elles ne seront pas réanimées après le 1er janvier. J’ai quand même 70 ans et il faut raison garder. Je suis de ceux qui arrivent très bien à s’arrêter.

Vous aviez brigué le poste de président du conseil d’administration de la Banque et Caisse d’épargne de l’État en 2016, mais le succès n’a pas été au rendez-vous. Cela reste-t-il un mauvais souvenir ?

À l’époque, le Premier ministre et le ministre des Finances m’avaient demandé si j’étais prêt à assurer la présidence de la BCEE. Je devais d’abord passer sous les fourches caudines de l’autorité de surveillance (NDLR : le mécanisme de surveillance unique, MSU) de la Banque centrale européenne. Les relations entre notre Cour des comptes et la banque centrale étaient très tendues. Mais en plus de cela et plus important encore, certaines personnes m’avaient taillé une réputation exécrable en envoyant des courriers à Francfort pour mettre en doute mes qualifications. Quand j’ai été auditionné à Francfort, on m’a demandé en premier lieu pourquoi je voulais ce poste de président de la BCEE. J’ai répondu que le gouvernement m’avait sollicité et que je voulais servir mon pays. Puis ce fut une série de questions vexantes, si bien qu’à la fin j’ai appelé Pierre Gramegna pour lui dire que cela ne faisait aucun sens et que je retirais ma candidature. On me reprochait mon manque d’expérience bancaire. Je suis d’avis que pour diriger un conseil d’administration il y a d’autres qualités qui priment.

Mon mandat a débuté avec des affaires sordides et cela a continué

Vous allez écrire vos mémoires ?

Non, non ! Mais j’ai noté beaucoup de choses dans des cahiers qui sont conservés en sécurité. Si jamais quelqu’un écrit des mémoires, je peux aller vérifier dans mes notes. Si je n’étais plus en vie, un de mes neveux ou nièces pourra le faire également.

Vous avez un grand regret qui est celui d’avoir mal communiqué sur votre bilan à l’époque de la coalition avec le CSV entre 1999 et 2004…

Nous avons travaillé comme des dingues, mais mal communiqué, c’est vrai. J’étais ministre de l’Économie mais aussi ministre des Transports. Mon mandat a débuté avec des affaires sordides comme l’affaire Kralowetz (NDLR : société de transport condamnée pour des infractions à la législation sur le travail) et cela a continué avec l’accident tragique de Luxair. C’était la Bérézina.

Aujourd’hui, cette ère de la communication a bouleversé le paysage politique…

Complètement. Quand j’ai commencé à travailler, on envoyait des lettres, puis est venu le fax avec un papier sensible au soleil, si bien que les écrits disparaissaient. Maintenant, avec les e-mails, il faut répondre dans la seconde. Personnellement, je ne suis pas présent sur les réseaux sociaux. J’ai quitté la politique en 2008, donc je n’en vois pas l’utilité, d’autant que nous avons un service communication performant et un site internet qui l’est tout autant.

En 2013, quand le DP a décidé de ne pas discuter avec le CSV pour former une coalition, vous étiez très fâché… Est-ce de l’histoire ancienne ?

Oui, je doutais de la stabilité d’un gouvernement à trois avec une si faible majorité. Je suis un homme plutôt conservateur et, pour moi, le résultat des élections devait se refléter dans le gouvernement. Je savais que le DP en ferait partie à coup sûr, mais avec un partenaire un peu plus costaud. Cinq ans après, je reconnais que je me suis trompé, car ils ont duré et même perduré.

Je resterai un membre convaincu du DP

Quels sont les meilleurs et pires souvenirs que vous retiendrez de votre longue carrière politique ?

Le meilleur souvenir reste notre victoire aux élections de 1999, dont je fus un des responsables. Et le pire souvenir restera 2004. Nous avons perdu cinq sièges et le partenaire de coalition en a gagné cinq. Avions-nous démérité ? Non. Nous avions sous-estimé la communication et toute la campagne du CSV était centrée sur Jean-Claude Juncker qui drainait les foules. Un jour, j’étais au groupe parlementaire et je leur ai dit que nous ne serions plus que dix députés et j’avais donné leurs noms. Je m’étais trompé sur un nom, celui de Claude Meisch à la place d’Eugène Berger.

Comment allez-vous occuper votre retraite ?

Je vais continuer à m’occuper des œuvres qui me tiennent à cœur. Il y a d’abord la Fondation Kräizbierg qui s’occupe des infirmes moteurs cérébraux. Je vais continuer à m’occuper des Hospices civils de la Ville de Luxembourg, de l’Institut Pierre-Werner et je vais également m’occuper de la Fondation de Luxembourg. Ce sont quatre institutions dont j’assure la présidence, mais bien évidemment, le jour où mon mandat se termine, je ne vais pas en solliciter un nouveau, sauf peut-être en ce qui concerne la Fondation Kräizbierg. Et je resterai un membre convaincu du DP, mais j’évite de donner des conseils.

Toujours golfeur ?

Je joue encore au golf, mais toujours mal !

Entretien avec Geneviève Montaigu