Le ministre de l’Économie, Franz Fayot, revient en détail sur le bilan du processus Rifkin, qui semble déjà dépassé. L’urgence climatique est là et une pandémie est passée par là.
Un bilan du processus Rifkin établi au début de cette année a distribué des bonnes et moins bonnes notes selon les secteurs concernés. Le ministre de l’Économie fait le point et se montre plutôt satisfait des résultats, qui ne l’ont pas surpris.
La direction « Luxembourg Stratégie » prend le relais du processus Rifkin. Pourquoi ?
« Luxembourg Stratégie » n’est pas directement liée à Rifkin, mais elle poursuit les discussions prospectives lancées en 2015 de manière ouverte et holistique, sans cloisonnement sectoriel. Il s’agit aujourd’hui de tirer les leçons des crises écologique et sanitaire que nous sommes en train de vivre. « Luxembourg stratégie » est née d’une combinaison de la pandémie et de la transition dans laquelle nous nous trouvons actuellement, de l’idée qu’il faut radicalement repenser la manière dont fonctionnent nos économies. C’est un exercice complexe qui comporte de nombreux aspects, mais qu’il faut prendre à bras le corps. Par rapport au processus Rifkin lancé en 2015, le contexte a changé : la pandémie a révélé des vulnérabilités et les mégatendances déjà pressenties dans la démarche Rifkin ont connu une accélération marquée. De plus, de nouvelles obligations découlent des défis posés par le changement climatique.
Un exercice lié également au paquet « Neistart Lëtzebuerg » ?
Oui et en particulier avec l’aide votée en juillet 2020 qui tend à inciter les entreprises à investir dans les domaines de la digitalisation et de la protection de l’environnement, notamment dans des projets portant sur le développement de l’économie circulaire. Nous étions d’ailleurs le premier pays à vraiment subventionner de manière ciblée l’économie circulaire qui, combinée aux processus de digitalisation, fait partie de cette impulsion que nous donnons pour ne pas reconstruire à l’identique le modèle économique que nous avons connu jusqu’ici et qui s’est soldé par un constat d’échec. Il faut construire une économie plus économe en ressources, moins intensives au niveau de la consommation d’énergie, moins émettrice de gaz à effet de serre, bref, une économie beaucoup plus durable.
Dans le rapport établi au début de cette année sur le suivi des 49 mesures contenues dans l’étude stratégique de la troisième révolution industrielle vue par Rifkin, c’est précisément le secteur de l’industrie qui récolte les mauvaises notes avec des mesures peu ou pas du tout avancées. Comment l’expliquer ?
Nous avons effectivement constaté dans le bilan réalisé avec la Chambre de commerce et l’IMS (NDLR : l’Institut pour le mouvement sociétal) que les meilleurs progrès avaient été réalisés dans le domaine de l’énergie et de la mobilité où les projets les plus nombreux ont été entamés. Ce n’était pas une surprise, car le processus Rifkin était très porté sur ces deux domaines dans une vision très technologique, incluant la digitalisation et l’internet des objets. L’industrie, c’est un lourd paquebot qui met du temps à trouver sa vitesse de croisière et à changer de cap. Les investissements dans l’industrie sont très intensifs en capital et portent sur dix, voire vingt ans selon le type de l’industrie. Il n’est donc pas surprenant que cette transition prenne plus de temps à être implémentée dans l’industrie par rapport à d’autres secteurs. Cela étant dit, il y a une véritable prise de conscience dans l’industrie sur la nécessité absolue d’investir dans des technologies de pointe moins émettrices de CO2 et sur le fait que la demande se situera à l’avenir dans l’acier ou l’aluminium décarboné, dans des matières moins consommatrices d’énergie. C’est un mouvement qui est déjà enclenché. On le voit dans l’industrie sidérurgique avec Paul Wurth et sa quête de l’acier vert produit sur la base de l’hydrogène. Un autre exemple est le groupe Guardian qui va investir dans une nouvelle ligne de production de verre flotté à Bascharage avec une installation à la pointe du progrès technologique et environnemental. Le mouvement va s’accélérer, mais c’est vrai que l’on ne palpe pas encore l’impact de Rifkin en termes d’économie circulaire, car tout n’est pas encore en place.
L’économie circulaire, qui avait une place importante dans l’étude Rifkin, obtient en effet de maigres résultats…
Oui et non. L’économie circulaire avait certes une place importante dans l’étude Rifkin, mais cela relevait à l’époque peut-être pour d’aucuns beaucoup de la science-fiction. Depuis une première étude effectuée en 2014, le ministère de l’Économie a reconnu le potentiel de l’économie circulaire pour le Luxembourg et les opportunités qu’elle représente pour les entreprises. Grâce au processus Rifkin, le concept de l’économie circulaire occupait une place prépondérante en 2018 dans les programmes électoraux de la quasi-totalité des partis politiques. Entretemps, de nombreuses initiatives ont vu le jour, comme le « Product Circularity Data Sheet ». Ce projet initié par le ministère de l’Économie fournit des informations sur la circularité des produits à tous les acteurs impliqués dans leur chaîne de valeur. Aujourd’hui, l’économie circulaire est devenue une priorité gouvernementale qui s’appuie sur une stratégie nationale qui vise à fédérer les acteurs tant publics que privés pour repenser les cycles économiques. Mais ça ne se met pas en place du jour au lendemain. Il y a tout un cadre juridique, financier et fiscal à construire pour que l’économie circulaire puisse vraiment fonctionner. Il faut surtout montrer des exemples concrets et c’est ce que l’on fera avec le pavillon luxembourgeois lors de l’Exposition universelle d’Osaka au Japon en 2025. Nous planifions aussi un pavillon circulaire à Luxembourg pour donner un autre exemple concret d’une construction d’un immeuble témoin qui respecte à 100 % les concepts de l’économie circulaire.
Récemment ont été présentés les objectifs climatiques sectoriels pour la période 2021 à 2030. Les dents du ministre de l’Économie ont-elles beaucoup grincé quand il s’agissait de définir l’objectif pour les industries manufacturières ?
Les dents n’ont pas grincé, mais la difficulté de l’exercice est de voir comment, dans le détail, ces réductions d’émissions vont se traduire dans la réalité dans les années à venir. À chaque fois que l’on parle de réductions d’émissions dans l’industrie, on parle d’un investissement dans une nouvelle technologie. Il faut voir au cas par cas où on va le faire et comment on encourage les entreprises à réaliser ces investissements. Le challenge est de comprendre de manière précise où se situe le potentiel d’économie d’émissions dans l’industrie, qui n’est pas le secteur le plus polluant, loin s’en faut. C’est la mission du Haut Comité à l’industrie de voir comment atteindre les objectifs de réduction des émissions.
Ce Haut Comité à l’industrie, créé en 2017, a dû être réactivé lui aussi. Pourquoi cette mise en veille ?
Il était un peu en sommeil, c’est vrai, mais c’est un instrument indispensable dans ces temps de transition pour justement être au contact des industriels qui vont devoir implémenter ce changement. Il siégera d’ailleurs le 5 octobre, où figureront à l’ordre du jour le développement du secteur industriel et son potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2040 ou encore l’économie circulaire.
Vous avez réalisé une grande tournée des entreprises depuis votre arrivée au ministère de l’Économie. Qu’est-ce qui vous a le plus enthousiasmé ou impressionné ?
Depuis que j’ai pris mes fonctions en février 2020, je visite régulièrement des entreprises pour rester en contact avec le terrain, ce qui était particulièrement utile pendant la pandémie. Ce qui m’a impressionné, ce sont les innovations qui se font dans nos entreprises. Souvent méconnus du grand public, de véritables « champions cachés » sont sur leur marché des leaders dont les produits ou services à haute valeur ajoutée sont exportés et utilisés partout dans le monde. Lors de mes visites, j’ai vu des choses très enthousiasmantes comme ces entreprises orientées vers plus de durabilité. Comment être plus respectueux de l’environnement. À l’instar de la digitalisation, c’est un objectif inscrit dans l’agenda de bon nombre d’entreprises. Je constate aussi que tout le monde parle du savoir-faire des salariés, qui est un des atouts de notre tissu économique, et de la capacité de rebond par rapport à la crise sanitaire. Je crois que toutes les entreprises ont été confrontées à des degrés divers à des marchés qui se sont fermés pendant la pandémie. Mais à chaque fois, elles se sont montrées résilientes.
Le processus Rifkin était une vision ambitieuse, holistique, qui a eu le mérite d’exister et qui a donné beaucoup d’impulsions
Les affaires Fage et Knauff ont-elles finalement causé beaucoup de tort au pays ?
C’est un vieux débat qui n’est pas particulier au Luxembourg. La résistance face à des grands projets industriels existe partout. C’est un autre défi pour « Luxembourg Stratégie » de comprendre quelles sont les nouvelles implantations que nous voulons au Grand-Duché qui apportent à la fois une plus-value au tissu économique existant et qui s’inscrivent dans une économie plus durable, plus respectueuse et de l’environnement et des ressources naturelles. C’est un luxe de se poser ce genre de question, car en tant que ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire, j’essaie de développer entre autres l’économie dans nos pays partenaires, qui se contentent d’avoir une activité, sans avoir le luxe de choisir.
Les mesures en faveur des consommacteurs ne sont pas légion, si bien que ce domaine est qualifié de parent pauvre dans le bilan du processus Rifkin…
Les ménages peuvent consommer leur production photovoltaïque. En cas de surplus, ils peuvent toujours l’injecter dans le réseau de distribution. La suppression des charges et redevances pour l’électricité autoconsommée rend le circuit fermé économiquement intéressant pour les nouvelles installations solaires. Le cadre légal institué pour cette exploitation en mode autoconsommation résulte par exemple directement du processus Rifkin, mais il n’a pas été labellisé comme tel.
Oui, justement, de nombreuses mesures conformes en tout point au processus Rifkin ne sont pas recensées comme telles. Pourquoi ?
Je l’ignore, mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. C’est sur la question de la gouvernance que le processus Rifkin a touché à ses limites parce qu’il y a eu une impulsion donnée au départ par le ministère de l’Économie, des groupes de travail qui ont progressé à des vitesses soutenues et qui se sont arrêtés au bout d’un certain moment. Des ministères se sont aussi appropriés par le passé certains dossiers initiés dans le cadre du processus Rifkin et ont continué le travail. C’est moins le cas pour d’autres ministères. Le processus Rifkin était une vision ambitieuse, holistique, qui a eu le mérite d’exister et qui a donné beaucoup d’impulsions et qui a fait bouger les choses dès 2015 dans la bonne direction. Je ne pense pas qu’il soit possible de ranimer ce processus dans la même forme. Par contre, on peut faire un bilan, ce que nous avons fait, et voir ce qu’il est utile de poursuivre ou au contraire ce qui n’est plus d’actualité.
Rifkin, c’est déjà dépassé ?
Nous ne sommes plus en 2016, nous vivons dans une époque post-pandémique et d’urgence climatique beaucoup plus prononcée. Nous sommes dans un moment de réalisation de cette urgence d’agir qui pose un cadre radicalement nouveau par rapport à ce que représentait Rifkin. Il y a maintenant une idée d’une autre économie, combinée à davantage de modestie dans nos modes de vie, avec un accent renforcé pour la production régionale, voire locale, qui présuppose aussi qu’on produit et qu’on consomme différemment. C’est une idée puissante à intégrer dans notre développement économique avec notamment l’économie circulaire.
Vous n’avez pas cité une seule fois le « space mining »…
Je n’aime pas le terme « space mining », car cette notion reflète l’idée même d’extraction, d’aller fouiller sur les astéroïdes pour aller y chercher des métaux rares comme l’or. Or notre initiative SpaceResources.lu lancée en 2016 est tout sauf cela. Nous visons l’exploration et l’utilisation des ressources disponibles dans l’espace. Cette approche pionnière a permis au Luxembourg de se faire connaître du New Space, avec l’avènement de nouveaux acteurs commerciaux au Grand-Duché, qui ne sont pas directement liés aux ressources spatiales. Ce que l’on voit maintenant, ce sont des entreprises qui s’établissent au Luxembourg et qui sont actives dans la gestion du trafic dans l’espace, dans la gestion des débris, des entreprises qui sont spécialisées dans l’observation de la Terre. Elles peuvent apporter des réponses dans la lutte contre le changement climatique ou dans l’optimisation du rendement des terres agricoles. Dans une deuxième phase, les technologies liées à l’exploration et l’utilisation des ressources dans l’espace se développent et seront d’abord utilisées sur Terre. Nous sommes bien positionnés sur la carte mondiale pour attirer davantage d’entreprises spécialisées dans ce domaine.
Entretien avec Geneviève Montaigu
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