Le président du Parti chrétien-social, Frank Engel, élu il y a un an, tire un premier bilan et revient sur l’actualité de la monarchie. Un thème qui a occulté le problème du risque de pauvreté dans le pays.
Il pense qu’il y aura consensus sur la question du rôle de la monarchie dans la future Constitution. Mais pour Frank Engel, il est temps de clore le sujet et de revenir à des problèmes plus urgents tel le risque de pauvreté amplifié par les prix du logement.
La quasi-unanimité de la classe politique est d’avis que le rapport Waringo sur le fonctionnement de la Cour grand-ducale est une chance à saisir. Le pensez-vous aussi ?
Ce rapport n’a pas été commandé pour rien et son contenu montre que problème il y a eu et problème il y a encore. Il y va de l’intérêt de la monarchie elle-même. Mon parti a une liaison particulière depuis plus de 100 ans avec notre monarchie et on porte un intérêt particulier au Grand-Duc. Je ne veux pas que l’on glisse vers une discussion sur la forme de l’État. Je suis d’avis que le rapport Waringo peut mener à un fonctionnement moderne de la Cour grand-ducale, transparent au même point que chaque autre parcelle de dépense des deniers de l’État.
Vous connaissiez les problèmes à la Cour avant ce rapport, comme d’autres d’ailleurs…
Je n’ai jamais été ministre d’État, donc je ne saurais pas prétendre avoir su au-delà de ce que certains relataient. Je me rappelle des comportements incompatibles avec la Constitution. Il nous faut pourtant une monarchie en phase avec les règles démocratiques, y compris le respect scrupuleux de sa configuration constitutionnelle. Surtout, il est inconcevable que la Cour se prête à controverse dans le débat public. Le communiqué du Grand-Duc publié avant la parution du rapport n’était pas une affaire privée mais un dérapage qui ne doit pas se reproduire. Personne n’a un intérêt à ce que la chose s’aggrave. On en a assez parlé maintenant.
Y aura-t-il consensus sur le rôle de la monarchie dans la future Constitution ?
Il peut y avoir un consensus sur cette question. Il faut bien expliquer ce dont on parle. J’ai noté certaines contributions qui se lisent comme si on pouvait gouverner aujourd’hui comme à la Cour de Louis XV. Ces temps sont révolus. Conformément à la lettre de la Constitution, la monarchie doit favoriser l’unité de la nation. Elle ne peut pas participer à la discorde de cette nation, être d’un côté ou d’un autre. Je pense qu’il faut décrire l’institution de façon à ce que, à l’avenir, elle ne puisse plus être perçue autrement que comme un facteur d’unité et d’intégration d’une nation complexe. Le Grand-Duc doit à tout moment remplir ses fonctions de concert avec les autorités politiques – il n’est pas responsable, c’est le gouvernement qui l’est pour lui. Je suis aussi d’avis qu’il pourrait y avoir un intérêt à circonscrire le rôle du conjoint. C’est une question de principe, pas de personne. À force de laisser les choses s’arranger par elles-mêmes, on risque de devoir accepter des égarements parce que les rôles ont pu paraître flous. Le Grand-Duc est une institution. Personne d’autre à la Cour.
Vous êtes arrivé à la tête du CSV il y a un an. Quel est votre bilan ?
On a eu une année avec beaucoup de consultations des membres, une année d’orientation. Je constate que nous avons eu un nombre sérieux de nouvelles adhésions sans aucune campagne, cela viendra encore. Les assemblées générales sont bien visitées, les pots de nouvel an des sections semblent attirer plus de gens que d’ordinaire. Je n’ai pas l’impression que le parti va mal, c’est tout le contraire.
Qu’avez-vous insufflé au niveau du style de gouvernance ?
Après les élections européennes, nous avons organisé deux tournées dans les circonscriptions. Ces rencontres duraient souvent au-delà de trois heures. Il s’est passé quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant dans le parti. Le public dans sa totalité est resté du début à la fin et j’ai répondu jusqu’à la dernière question. Lors de nos réunions ouvertes, des gens venaient qui n’étaient pas membres du parti, et il y a eu une forte participation du public. Tout ceci ne se faisait pas par le passé. Il y a du retard à rattraper, car il n’y a pas eu de réel exercice de fédération des membres.
Êtes-vous toujours un parti conservateur ?
Non. L’ambition du parti n’a jamais été d’être un parti conservateur. Dans notre profession de foi, le mot n’y figurerait pas, ce qui est différent de ce qui se passe dans les pays voisins. Je rappelle que c’est le CSV qui a inscrit dans son programme électoral de 2009 le mariage homosexuel. Ce n’est pas conservateur. Par contre, je souhaiterais que nous passions à un autre conservatisme, finalement : la conservation d’un pays qui est en train de s’effriter à tout bout de champ.
Vous accusez donc toujours le gouvernement de « vendre » le pays ?
« Vendre », c’est fort. Je sais que je l’ai dit à l’époque, je ne me rétracte pas. Surtout, si nous continuons de croître de la façon dont on l’a fait ces dernières années, que restera-t-il dans 20 ans du Luxembourg que nous avons connu ? Je ne veux pas que les dernières parcelles intactes du pays soient, dans 50 ans, une espèce de « Jurassic Park » pour des touristes venus d’autres continents. L’ambition de ce que nous appelions à l’époque le « plan pour le Luxembourg », une ambition à laquelle nous n’avons pas renoncé, est de gérer l’espace et le patrimoine afin qu’il accueille du développement. Du développement véritable, pas de la croissance aveugle. Si nous continuons comme ça, où mettrons-nous finalement le million, voire les deux millions d’habitants ? Je ne suis même pas d’avis qu’il faut opposer un veto au million d’habitants, c’est impossible à piloter avec précision. Mais quel est le cap, quelle sera la trajectoire ? Vers les deux millions ? C’est totalement irresponsable. Je veux que nous sortions de la spirale infernale qui veut que tout ce que nous faisons entraîne mécaniquement et fatalement augmentation ultérieure de la population. Ce sera ingérable.
C’est toujours le même discours de la croissance réinventée, plus qualitative…
Il faut aussi une redistribution différente parce que j’ai l’impression qu’on a beau tenir les bons vieux discours, il faudra bien s’atteler à autre chose. Il y a un phénomène d’automatisation et de digitalisation qui est en cours et qui entraînera une perte de postes de travail pour une certaine catégorie de la population. Comment accommodera-t-on ces personnes dans une société qui, au fond, n’a plus la même chose à leur offrir en termes de cadre d’épanouissement?
Étienne Schneider, qui tenait beaucoup au secteur industriel, vient de démissionner. Un commentaire ?
Le connaissant, je savais qu’il voulait arriver au top. Après deux échecs il n’avait pas envie d’une troisième tentative. À la longue, une coalition avec des verts qui l’empêchent de réaliser ce dont il a envie n’est pas la chose à laquelle il aspirait.
Le droit de vote des étrangers est un thème que vous vouliez relancer au sein du CSV, où en êtes-vous ?
Au sein du parti, il y a eu des discussions – au-delà aussi – mais j’ai l’impression que cela ne fait aucun sens de continuer un débat qui diviserait plus qu’il n’unifierait. Il me semble qu’une majorité de Luxembourgeois considère ce débat comme tranché depuis le referendum de 2015. Dès lors, je n’ai pas l’impression que c’est un sujet qui pourra revenir de sitôt. La disponibilité des uns et des autres n’est pas donnée. Il y a même une violence verbale de certains milieux à cet égard que je considère comme dangereuse, car ce n’est pas la façon dont nous avons coutume de nous parler dans ce pays. Mais je ne vois pas comment nous pourrions ignorer cela, au point de vouloir forcer un débat dont la majorité des gens ne veut pas. D’ailleurs, ce n’est pas comme si les sujets urgents et problématiques nous manquaient.
Comme le risque de pauvreté ?
Vingt pour cent de risque de pauvreté dans un des pays les plus riches du monde, 25% avec le facteur logement. Nous avons un revenu médian au Luxembourg qui ne permet plus à une famille de se loger avec un seul salaire. Je trouve que c’est ahurissant que même un revenu décent ne permette plus de se loger normalement.
Cette coalition a échoué comme d’autres avant elle. Qu’auriez-vous fait pour le logement ?
D’abord de la politique. Comme tracer les origines du problème qui ne sont pas aussi simples que trois grands spéculateurs que l’on désigne du doigt. Beaucoup de foncier se trouve entre les mains de sociétés et d’autres fonds qui n’ont pas d’autres domaines où investir pour obtenir un rendement. Un fonds de pension qui essaye aujourd’hui de placer des avoirs de façon un tant soit peu rémunératrice n’a plus 25 options et l’immobilier, comme en d’autres endroits sur ce continent, en reste une et explique en partie la flambée des prix. Il faudrait se poser la question de savoir si l’on permet encore à des opérateurs non européens d’acquérir au Luxembourg.
En Suisse, on l’a essentiellement interdit. Pourquoi pas chez nous, dans le respect du marché unique ? Ensuite, on ne peut pas continuer à accepter que des gens qui n’ont pas fait d’autre effort pour posséder des terrains en quantité substantielle que celui d’accepter un héritage puissent jouir de propriété spéculative sans limites de dimension et de temps, sans la moindre taxation effective. Il faudra finalement venir à une réforme de l’impôt foncier qui taxe de façon incisive la rétention d’espace qui pourrait être affectée à du logement pour des gens normaux. Il y a pénurie et état de détresse nationale. Dans ces circonstances, avec des dizaines de milliers de Luxembourgeois qui ont déjà quitté le territoire national pour aller vivre dans les pays voisins, le droit de propriété absolu de certains ne peut plus être opposé de façon absolue au besoin des autres.
Entretien avec Geneviève Montaigu