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François Bausch sur la mobilité : «Je n’ai jamais attendu un miracle»


Francois Bausch est devenu un pilier du gouvernement luxembourgeois, endossant différentes casquettes importantes. Il se confie en interview du lundi pour Le Quotidien (Photo : Alain Rischard).

Ministre de la Mobilité et des Travaux publics. Ministre de la Sécurité intérieure. Ministre de la Défense. Et depuis peu vice-Premier ministre. François Bausch a pris du galon en 2019. Convaincu que le gouvernement sortira renforcé d’une année compliquée, il a accepté de faire le point sur les nombreux chantiers engagés.

Vous sortez d’une première année mouvementée en tant que ministre de la Sécurité intérieure et de la Défense. Dans votre for intérieur, n’existe-t-il pas des regrets d’avoir accepté ces deux nouveaux ressorts ?

François Bausch : Non, il n’y a pas de regrets. Ce sont deux ressorts exaltants. L’année fut mouvementée en raison de la situation compliquée dont j’ai héritée. Au sein de l’armée, mais bien plus encore dans la police, le manque de personnel pèse lourdement. Mon prédécesseur (NDLR : Étienne Schneider) a déjà tenté de rectifier le tir, mais l’accentuation du problème résulte du fait que ces 20 ou 30 dernières années, il a été oublié de préparer le pays pour passer de 400 000 à 600 000 habitants, auxquels s’ajoutent encore 200 000 frontaliers. En semaine, le Luxembourg compte donc 800 000 personnes sur son territoire. Il nous faut par conséquent disposer d’un corps de police qui correspond à cet État de 800 000 personnes. Le retard au niveau du recrutement s’est énormément accumulé au fil des années avec comme résultat que nous sommes aujourd’hui confrontés à un énorme fossé que j’espère pouvoir combler dans les deux ou trois années à venir.

En dépit de l’actuelle bisbille à l’armée, il existe aussi des propositions constructives pour augmenter également l’attractivité du métier de soldat. Êtes-vous disposé à travailler sur ces pistes ?

Chaque piste qui est proposée mérite d’être étudiée. Mais en même temps, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Tout d’abord, l’État a dû créer un plus grand nombre de places à pourvoir. Si la police engage dans les trois ans 800 personnes, civils compris, cela repose sur une décision prise en amont, nécessitant aussi le déblocage des moyens budgétaires nécessaires. Ensuite, il s’agit d’évaluer comment on promeut la police et l’armée vers l’extérieur. Les métiers sont aujourd’hui très diversifiés, les possibilités de carrière sont multiples. Pour promouvoir un métier moderne et différencié, on a besoin d’une image positive vers l’extérieur. Les syndicats ont le droit de dénoncer tout problème. Mais si on se limite à faire du tapage et à parler de scandales, il ne faut pas s’étonner que plus personne ne postule pour intégrer le corps.

Pas d’obligation d’augmenter les dépenses de défense à 2% du PIB

(Photo : Editpress).

(Photo : Editpress).

Début décembre, vous avez participé à votre premier sommet de l’OTAN. Tandis que les États-Unis insistent pour augmenter le budget militaire, des franges de la société civile fustigent le fait que le Luxembourg investit trop de moyens dans ce domaine. Quelle est votre position ?

Ma position est tout à fait claire. Le Luxembourg doit apporter sa contribution dans le cadre de la politique de défense. La substance de ce que nous faisons d’ores et déjà est cependant suffisante à nos yeux (NDLR : 0,49 % du PIB en 2019). Augmenter les dépenses de défense à 2 % du PIB n’est qu’une directive que l’OTAN a adoptée en 2014. Il n’existe aucune obligation à l’appliquer. Pour moi, il s’agit d’une norme politique. Il faut dès lors se poser la question suivante : pourquoi avoir choisi le seuil de 2 %, et pas un objectif de 1,9 ou 2,5 % ? En même temps, le fait d’investir 2 % du PIB dans la défense veut dire quoi sur la situation d’un pays en la matière? Il s’agit d’une discussion bien trop schématique qui doit faire l’objet d’un nouveau débat au sein de l’OTAN.

Quels sont les points que vous souhaiteriez aborder avec vos homologues ?

La défense correspond exactement à quoi ? Quels sont les risques de sécurité ? N’existe-t-il pas une série de risques que nous ignorons pour le moment ? À quoi peuvent ressembler des mesures de défense préventives ? Nous vivons dans une société où on ne peut pas se priver d’armée. Par contre, la meilleure armée reste selon moi celle qui ne doit pas être déployée. L’objectif ne peut pas être celui de construire une armée pour aller en guerre. Sa mission primaire doit être d’être dissuasive afin de prévenir un conflit.

Toutefois, la notion de prévention n’est pas très populaire parmi les puissances militaires…

Il faudrait tenir compte de l’investissement dans la prévention de conflits, comme nous le faisons avec le pour cent du revenu national brut que le Luxembourg investit dans l’aide au développement. Le changement climatique va aussi jouer un rôle en termes de défense. Il existe déjà des documents du Pentagone, encore commandés par l’ancien président Barack Obama, qui citent le changement climatique comme principal risque de sécurité de l’humanité au XXIe siècle à côté de la menace nucléaire. La prévention devrait entrer en ligne de compte dans le calcul de l’effort de défense au lieu de se contenter de comptabiliser l’achat de 50 nouveaux chars.

Je ne compte pas laisser en 2023 un désert à mon successeur

(Photo : Alain Rischard).

(Photo : Alain Rischard).

Passons à la mobilité. Pouvez-vous encore entendre les termes chantier et bouchon ?

Pas forcément. Mais je dois aussi dire que je ne me suis jamais attendu à ce que la situation s’améliore comme par miracle d’une année à l’autre. Je suis par contre sûr que nous nous trouvons sur le bon chemin. Nous disposons enfin d’une stratégie pour pouvoir s’en sortir. Le plan Modu 2.0 prévoit pour la majeure partie des investissements qui seront achevés pour 2025. Ces différents projets vont amener année après année des améliorations au niveau de la gestion de la mobilité. Et je ne compte pas laisser en 2023 un désert à mon successeur, comme cela a pu être fait par d’anciens ministres des Transports. À la moitié de la législature, je vais présenter la suite du Modu 2.0 qui va couvrir la période jusqu’en 2035. Une nouvelle extension du tram en fera partie. L’objectif sera de réussir à sortir du dilemme des chantiers provoqué par l’obligation de rattraper un retard. Le prochain ministre disposera d’une base pour pouvoir anticiper les choses.

Le fait qu’en la personne de Corinne Cahen une collègue du gouvernement critique ouvertement la gestion du chantier du tram ne doit pas vous avoir plu…

Tout a été dit à ce sujet. Mais je pense savoir que Corinne Cahen est clairement en faveur du tram. On se connaît depuis longtemps. Nous avons travaillé ensemble lorsque j’étais échevin à Luxembourg et elle a été présidente de l’union des commerçants de la Ville. Corinne Cahen m’a toujours dit qu’il fallait des personnes comme moi qui font avancer de manière conséquente le projet du tram.

Le Luxembourg se refuse à octroyer des compensations fiscales aux régions frontalières, réclamées en raison de l’important flux de frontaliers. En 2018, vous avez par contre annoncé un investissement de 125 millions d’euros dans la mobilité transfrontalière. Où en est ce dossier ?

La Chambre a validé l’accord trois mois après la signature en mars 2018 à Paris. Nous devons toutefois constater que jusqu’à présent la loi devant débloquer les 125 millions d’euros promis à la France n’est toujours pas votée. Mais en dépit de ce fait, mon modèle présente des avantages par rapport à une simple rétrocession fiscale. Si on répartissait 100 millions d’euros à travers la Lorraine, les communes disposeraient certes d’un peu plus de moyens financiers, mais on ne parviendrait jamais à réaliser des grands projets de mobilité, qui apportent un plus à l’ensemble de la Grande Région. Le Luxembourg peut servir de levier pour inciter Paris, Berlin ou Bruxelles à s’investir également de leur côté.

A3 /A31 bis : ne pas uniquement déplacer les bouchons

L’autre projet majeur est l’élargissement de l’A3 à 2×3 voies. Alors que le début des travaux est prévu en cette année 2020 au Grand-Duché, quels sont les derniers échos que vous recevez depuis la France ?

Le problème est qu’il n’existe pas d’accord entre les autorités locales, régionales et nationales en France. Les uns veulent un péage, les autres pas. Très sincèrement, je pense qu’un péage n’aurait pas de grand apport. Introduire un péage sur le tronçon Thionville-Zoufftgen équivaudrait à installer un tel système sur une portion limitée du périphérique de Paris. Dès qu’on disposera d’un réseau ferroviaire pleinement adapté aux besoins, on pourra toutefois réfléchir à un péage pour ceux qui refuseront toujours d’opter pour l’alternative des transports publics. En attendant, il serait important que les autorités françaises s’accordent enfin sur un système qui réserverait la troisième voie aux bus et au covoiturage. Car se contenter de construire une troisième voie permettra uniquement de déplacer les bouchons de deux sur trois voies.

Faut-il redouter un problème de coordination semblable à celui qui s’est présenté avec le projet de covoiturage entre Arlon et Sterpenich ?

On a trop tardivement eu connaissance du projet belge. Leur projet était déjà entamé au moment où nous avons pu décider de nous lancer également sur une voie de covoiturage. Le problème, côté luxembourgeois, est que notre axe autoroutier comprend de nombreuses voies de sorties et entrées. Les travaux d’aménagement sont plus importants. Nous restons toutefois engagés à finaliser le projet pour 2023. Mais au-delà de ce tronçon, il est dans nos plans d’ouvrir l’ensemble des bandes d’arrêt d’urgence au covoiturage.

L’année 2019 a aussi été marquée par le remaniement gouvernemental déclenché par l’accident cardiaque de Félix Braz. Vous occupez depuis octobre le poste de vice-Premier ministre. Deux mois plus tard, avez-vous réussi à prendre vos marques ?

La charge de travail est devenue plus importante. Je suis donc soulagé de pouvoir entretemps compter sur le soutien d’Henri Kox comme ministre délégué à la Sécurité intérieure et à la Défense. Je dois avouer en toute sincérité que je touche tout doucement à mes limites. Or je pense que je réussis toujours à faire avancer des projets qui sont utiles pour le développement du pays. Tant que je prends du plaisir, je suis prêt à supporter cette pression.

Votre annonce de ne plus postuler à un nouveau mandat de ministre en 2023 ne risque-t-elle pas d’affaiblir votre position ?
Je vais tenir ma promesse de ne pas rester plus de dix ans au gouvernement. Mais d’ici là je vais poursuivre ma mission avec plein d’élan.

Dans le même temps, le gouvernement s’apprête à perdre son vice-Premier ministre Étienne Schneider. Une autre pointure comme Alex Bodry vient de quitter la Chambre. La fraction déi gréng est, à la suite de l’affaire Traversini, la plus jeune du Parlement. La coalition tricolore ne sort-elle pas fragilisée de ce jeu de chaises musicales ?
Il faut au moins reconnaître que nous sommes sincères. Par le passé, les politiciens se sont vu reprocher de rester collés à leurs sièges. Exercer en continu un mandat pendant dix ans constitue une chance énorme. Cela est d’autant plus vrai pour un ressort comme la mobilité, où il est important de pouvoir assurer une certaine continuité et mener des projets à bien. Mon credo est le suivant : si après dix ans en tant que ministre vous n’avez pas réussi à mener à bien vos objectifs politiques, il est préférable de démissionner, car vous ne disposez alors pas du courage politique nécessaire.

Le gouvernement n’est donc pas menacé à vos yeux ?
Ces changements ne vont rien changer à la cohésion de ce gouvernement. Je suis plutôt d’avis que les partis formant cette coalition ont le courage de se renouveler en faisant partie d’un gouvernement. On a toujours affirmé que cela n’était pas possible. Mon parti démontre pourtant que le contraire est vrai, même si on a été confronté à une dose importante de misères, d’abord causées par l’accident cardiaque de Félix Braz et ensuite provoquées par l’affaire Traversini. J’aurais préféré que Félix Braz reste parmi nous au gouvernement. Il se porte mieux aujourd’hui, ce qui me réjouit particulièrement, mais il a encore un long chemin à parcourir. Mais indépendamment de ces circonstances, il n’est en rien dramatique qu’un politicien annonce dans le courant d’une législature qu’il souhaite ouvrir le chemin à quelqu’un d’autre.

Entretien avec David Marques