Francine Closener (LSAP) a rejoint la Chambre des députés en décembre 2019. L’ancienne secrétaire d’État est en charge des questions d’éducation et depuis peu, d’accès à l’information.
La députée attend que le gouvernement tire un bilan de la loi sur la transparence dans les administrations et si elle n’est pas satisfaisante, alors il faudra la changer. Si Francine Closener s’est récemment exprimée sur cette question, ce sont bien les dossiers portant sur l’éducation nationale qui la préoccupent, tout comme le bien-être des enfants.
L’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels vient de lancer une campagne pour disposer d’un droit spécifique d’accès aux informations comme cela existe dans d’autres pays. En tant qu’ancienne journaliste, vous n’êtes pas insensible au sujet. Soutenez-vous cette campagne?
Francine Closener : Concernant cette question de l’accès à l’information, je dirais, pour citer Goethe que « Deux âmes habitent ma poitrine » (Zwei Seelen wohnen in meiner Brust). Je comprends les deux côtés. Les journalistes ont besoin et ont le droit d’obtenir des informations comme des statistiques par exemple, pour écrire leurs articles à paraître le lendemain et pas trois mois plus tard. En tant qu’ancienne journaliste, j’étais aussi dans le cas où on me répondait aux ministères ou administrations que je devais attendre l’aval du ministre. Évidemment, c’est parfois difficile de juger s’il s’agit d’une information politique ou non, et c’est doute ce qu’il faut clarifier. La loi sur la transparence dans les administrations va dans la bonne direction, mais il faut en faire le bilan avant de progresser. Je ne connais pas le bilan, mais les journalistes disent qu’elle ne fonctionne pas et qu’elle ne leur convient pas. Le LSAP, dans son programme de 2018, avait souligné l’importance de l’accès à l’information pour les journalistes.
On lit même dans l’accord de coalition de 2018 que l’accès aux informations des différents ministères et administrations est essentiel pour le travail des journalistes et que les moyens nécessaires seront mis en œuvre en étroite collaboration avec le Conseil de presse et les associations professionnelles des journalistes…
Je pense qu’il est temps d’avancer. Il faut maintenant que nous lancions la première étape et ça passe par un bilan. Je comprends aussi le point de vue du gouvernement. Bon, les journalistes ne peuvent pas s’attendre à ce que les administrations s’occupent d’eux toutes affaires cessantes et s’imaginer qu’elles n’ont rien d’autre à faire que de répondre dans la seconde à leurs questions. Souvent d’ailleurs, les réponses sont déjà publiques, mais il faut les rechercher dans des rapports ou des textes de loi. Sur cette question de l’accès à l’information, c’est aussi toujours le ministre qui a la responsabilité politique des informations publiées. Ce n’est donc pas aussi évident que cela. C’est vrai que la soif de transparence s’est accentuée ces dernières années, mais il faut trouver le juste équilibre. Dans tous les cas, il faut se mettre en marche.
«Si l’on a une relation de confiance avec un journaliste, alors tout fonctionne assez bien, mais si le journaliste rompt cette confiance, il aura des problèmes avec tout le monde.»
Quel regard portez-vous sur le métier de journaliste aujourd’hui, a-t-il changé depuis que vous l’avez quitté en 2013 ?
Oui, évidemment, à cause d’internet et des réseaux sociaux. La pression est plus grande et beaucoup d’articles sont moins fouillés pour être diffusés plus rapidement. Ce ne doit pas être gai de travailler avec une telle pression. La concurrence est grande à cause des médias sociaux. Je comprends les journalistes qui ont besoin de réponses rapides des administrations. D’un autre côté, je sais aussi qu’il faut bien réfléchir avant de donner cet accès à l’information à tout le monde. Le code de déontologie est aussi lié à cette question. Si l’on a une relation de confiance avec un journaliste, alors tout fonctionne assez bien, mais si le journaliste rompt cette confiance, il aura des problèmes avec tout le monde. Cette relation de confiance est et restera toujours importante, indépendamment de la loi.
Au sein du LSAP, vous vous préoccupez plus particulièrement des questions de politique éducative. Êtes-vous favorable aux écoles internationales ?
Oui, bien sûr. Nous venons d’avoir une grande discussion sur le nouveau projet d’école internationale à Mersch qui est très bien, à commencer par le concept d’école en continu. L’enseignant s’occupe vraiment de l’enfant, de son développement. Ce qui m’intéresse maintenant c’est de savoir comment intégrer ces aspects vraiment positifs et innovants des écoles internationales vers l’école traditionnelle luxembourgeoise, c’est un des grands défis. Le ministère nous dit qu’il y a une grande demande pour les écoles internationales. Si l’on veut garantir la mixité sociale et culturelle, éviter une ségrégation, il faut aussi faire la promotion de ces écoles auprès des Luxembourgeois et veiller à ce qu’elles aident à réduire les inégalités.
« J’aimerais voir un véritable système de rattrapage et des cours d’appui gratuits – c’est d’ailleurs inscrit dans notre programme de coalition, noir sur blanc. »
Craignez-vous des communautés scolaires et des sociétés parallèles ?
Disons que j’aimerais obtenir des informations plus détaillées sur la stratégie concernant ces écoles internationales par rapport au système luxembourgeois. De même, je ne connais pas les conditions d’admission dans ces écoles – il faudrait avoir plus de transparence. D’ailleurs, c’est valable pour toutes les écoles publiques. Il faut éviter à tout prix de faire des écoles pour les seuls expatriés et veiller à la mixité sociale.
La crise a creusé les inégalités et beaucoup d’élèves déjà affaiblis n’ont pas su rattraper le retard. Pourtant, le ministre avait promis des cours de soutien avec du personnel disponible. Vous avez des nouvelles ?
Le ministre de l’Éducation nationale vient d’annoncer de nouveau une « summer school ». D’accord, mais ça ne suffira pas. L’école reproduit les inégalités et la crise du Covid les a accentuées, elle a vraiment mis le doigt dessus. J’aimerais voir un véritable système de rattrapage et des cours d’appui gratuits – c’est d’ailleurs inscrit dans notre programme de coalition, noir sur blanc. De manière optimale, un système intégrant école et maison relais.
Justement, le rôle des maisons relais est énorme pour l‘aide aux devoirs, mais cela fonctionne-t-il comme prévu ?
Il y a de très bonnes maisons relais qui ont des concepts très intéressants et d’autres qui se contentent de faire garderie et où l’aide aux devoirs n’est pas prioritaire. C’était une décision politique de choisir la solution des maisons relais plutôt que l’école en continu. C’est dommage, car cela nous amène à avoir des structures de qualités diverses et cela crée encore des inégalités. Il y a des communes qui ont opté pour un concept qui, au final, fonctionne comme une école en continu avec la maison relais intégrée sur un même campus. Les enseignements formel et non formel doivent être davantage liés.
Le recrutement des enseignants, c’est l’autre grand problème ?
Oui. C’est vraiment un problème. Déjà maintenant, il n’y en a pas assez et la population scolaire augmente toujours. Il faut davantage former ceux qui s’engagent dans l’éducation et qui sont issus d’un autre cursus (« Quereinsteiger »). Le recrutement des enseignants est une question cruciale. Il faut rendre cette profession attrayante.
Les instituteurs sont déjà les mieux payés d’Europe et cela ne suffit donc pas à la rendre attrayante. Que faut-il faire de plus ?
Pas les attirer avec le salaire. Il faut attirer les gens qui sont intéressés par les enfants et leur développement, qui souhaitent plus que tout transmettre le savoir. Je pense aussi que les enseignants doivent avoir les moyens et le temps de se préoccuper du bien-être des élèves.
Effectivement, les jeunes eux-mêmes réclament plus d’attention de la part de leurs enseignants…
Les chiffres sur les tentatives de suicides des jeunes sont dramatiques. Ce n’est pas pour rien que le Parlement des jeunes a adopté une résolution qui traite de la dépression et dans laquelle il constate que la santé mentale est un domaine délaissé dans le secteur scolaire. Il faut parler avec les enfants et les jeunes. Souvent, à l’école, les personnes de confiance ont un programme trop chargé, la pression est grande pour les enseignants eux aussi. Bien sûr, il y a le SePAS (NDLR : Service psychosocial et d’accompagnement scolaire) au secondaire, mais le Parlement des jeunes regrette que ce service ne respecte pas toujours le secret professionnel et n’entretienne pas de liens approfondis avec les élèves.
Qui pour les écouter dans les établissements ?
Je pense que d’un côté, il faut intégrer la question de la santé mentale dans la formation de base des enseignants. Et d’un autre côté, il faut réfléchir à introduire des psychologues qui peuvent entretenir des relations de confiance avec les enfants. Pour moi, quand j’étais écolière, l’enseignant et les parents étaient les références. Si les enfants ont des problèmes à la maison, ils doivent pouvoir en parler à l’école. Mais comme je l’ai déjà dit, le programme à absorber ne laisse pas trop de choix aux enseignants. Souvent, c’est frustrant pour eux.
Justement, ce programme, n’est-il pas temps de le revisiter pour leur accorder plus de temps d’écoute ?
Nous avons enfin réussi à déterminer ce qu’étaient les matières essentielles et c’est la crise du Covid qui a forcé l’école à faire cet exercice. S’il ne s’agit pas d’une section linguistique, il n’est pas très utile d’enfoncer dans le crâne de l’élève l’imparfait du subjonctif qu’il n’utilisera que très peu dans sa vie je pense, sinon pas du tout. Il faut alléger les programmes et laisser de l’espace et du temps à l’enseignant pour qu’il s’occupe mieux des enfants. Je vois par exemple que dans la classe d’un de mes fils, l’institutrice a trouvé le temps le vendredi après-midi d’organiser un parlement des enfants et il adore ça. Les enfants y parlent de leurs problèmes et c’est très important. En Chine, le mot pour crise et chance est le même. Cette crise nous apporte aussi des solutions, comme alléger et adapter les programmes scolaires. Surtout, il ne faut pas perdre de vue que le bien-être des enfants est la condition sine qua non pour qu’ils apprennent quelque chose. Quand un enfant est mal dans sa peau, souffre à la maison, alors il se moque bien de son cours de maths!
Les enseignants doivent donc être aussi psychologues ?
On doit les soutenir pour qu’ils puissent jouer le rôle que la société attend d’eux. Ils sont devenus beaucoup plus qu’un transmetteur de connaissances et de savoirs. Donc, il faut leur donner les moyens – formation, assistance sur le terrain par experts en psychologie – et du temps – allègements des programmes, moins de bureaucratie – pour avoir une vue holistique de l’élève. Être à l’écoute de l’enfant qui compte sur eux, c’est vital.
Entretien avec Geneviève Montaigu
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