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Forêts en mauvaise santé et inexploitées : le grand gâchis


Si un tiers du pays est couvert de forêts, celles-ci ne respirent pas toujours la santé. Inquiétant lorsque l'on connaît leurs bienfaits. (photo Isabella Finzi)

Le Luxembourg faisait partie de l’ancien département des Forêts de la France napoléonienne. Grande réserve sylvicole à l’époque, ce caractère lui est resté aujourd’hui… mais on a oublié de l’exploiter. Lundi, la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, a tiré la sonnette d’alarme tout en dressant les contours d’un plan pour renverser une tendance inquiétante, celle de la mauvaise santé des arbres.

L’avenir des forêts est bien sûr une question environnementale, mais il s’agit aussi d’un enjeu politique. Notamment avec la création d’un code forestier au Luxembourg.

Fort d’une superficie de 258 000 hectares environ, le Grand-Duché est recouvert par plus de 88 000 hectares de forêts, soit plus d’un tiers de sa surface. Aujourd’hui, la forêt est bien connue : elle est complètement inventoriée et 88 % de sa superficie est concernée par un plan de gestion pluriannuel. Près des deux tiers des bois sont d’ailleurs protégés en tant que biotope, 4 800 hectares sont protégés au titre de réserve naturelle, dont 1 257 en réserve forestière intégrale.

Voilà pour l’inventaire, place au constat. Carole Dieschbourg n’y va pas par quatre chemins : « Seul un tiers des arbres est en bonne santé. Depuis le milieu des années 1990, l’état sanitaire des forêts s’est stabilisé… mais à un mauvais niveau .»

La situation est avérée puisque l’état de santé des forêts est étudié depuis 1984 par l’administration de la Nature et des Forêts (ANF). Elisabeth Freymann, ingénieur forestier, explique la méthode : « De la mi-juillet à la mi-août, nous avons observé 1 200 arbres situés dans des localisations précises à travers tout le pays sur lesquels nous effectuons des relevés réguliers. » Les cinq ingénieurs qui ont réalisé l’étude étudient la densité et la coloration du feuillage ainsi que la présence de parasites (insectes et champignons).

Sécheresse, pollution, parasites…

À l’aide de ces données, ils ont placé ces arbres tests sur une échelle de dégâts comportant quatre niveaux. Les résultats sont inquiétants : 30 % des arbres sont «sans dommages», 37 % son «légèrement endommagés» et 33 % sont «nettement endommagés». Les causes du marasme de nos forêts sont multiples, « la sècheresse des étés, le changement climatique, la pollution de l’air, les parasites voire la mauvaise gestion des bois sont autant de sources de problèmes», indique Elisabeth Freymann.

Cette situation problématique est d’autant plus critique que la forêt est de moins en moins entretenue. Parfois surexploitée au XIX e siècle, lorsqu’elles permettaient de fournir le combustible aux hauts-fourneaux, leur exploitation a pratiquement cessé quand la houille, plus efficace et meilleur marché – est arrivée. C’est la raison pour laquelle 9 500 hectares de hêtraies issus de cette génération ont aujourd’hui dépassé l’âge optimal de récolte.

Pour la ministre, la solution viendra d’une gestion durable de la forêt. « Il n’est pas question que de paysage, la forêt a également un rôle social puisqu’elle est pourvoyeuse d’emploi – 650 au Luxembourg –, garante du maintien de la biodiversité et des qualités de l’air et de l’eau .» Si l’entretien des bois a un coût, elle insiste sur le fait qu’« ils sont un capital précieux qu’ils faut entretenir et conserver ». Le ministère planche d’ailleurs actuellement sur l’évaluation monétaire des bénéfices engendrés par une forêt en bonne santé.

Valoriser le bois localement

Pour que l’avenir de la forêt soit pérenne, il faut lui redonner une place dans la vie du pays, notamment en promouvant « une sylviculture respectueuse basée sur une exploitation locale du bois », selon Carole Dieschbourg. Une utilisation rationnelle de la forêt permettrait son rajeunissement, « en enlevant petit à petit les arbres plus âgés », précise le directeur de l’ANF, Frank Wolter.

Le souhait de la ministre est de voir repartir une industrie du bois peu présente sur le territoire national, malgré une matière première abondante. « Depuis le mois de décembre, nous avons engagé une étude pour définir les axes de valorisation locale du bois, notamment via l’économie circulaire .» Son utilisation en tant que source d’énergie est, par exemple, évoquée.

Mais à côté de cette volonté d’exploitation raisonnée, le ministère indique également qu’il sera nécessaire de garantir des sanctuaires forestiers que la main de l’homme n’atteindra pas. Les arbres morts sont, en effet, des habitats aussi prisés que rares pour une foule d’espèces menacées.

Erwan Nonet

Un hectare de forêt, c’est…

• Entre 15 et 30  tonnes d’oxygène produits par an selon que l’on prend une forêt de feuillus (15 tonnes) ou une forêt de conifères (30 tonnes).

• 10,6  tonnes de CO 2 stockés par an lorsque la moyenne d’âge des arbres est optimale  : 55  ans. Leur volume de stockage de CO 2 correspond à sept ans d’émissions de dioxyde de carbone. Lorsque le bois est transformé durablement, pour faire des meubles par exemple, c’est idéal  : le CO 2 est alors piégé pour longtemps.

• Entre 50  000 et 160  000  m 3 d’eau potable filtrés par an, 14  300  hectares de forêts sont situés sur une zone de protection d’eau.

• 50  tonnes de poussière filtrée par an dans l’atmosphère.

• 19,7  m 3 de bois mort dans lesquels se développent une très riche biodiversité. Dans un hectare de forêt, on trouve 50  mammifères différents, 500  types de plantes, 3  800  espèces d’insectes et 700  variétés de champignons.

• 5,9  stères de bois pour le chauffage . Alors que l’accroissement annuel d’un hectare de forêt se monte à dix mètres cubes par an, seuls 59  % sont récoltés.

• 0,0007  poste de travail . La forêt fait travailler environ 650  personnes au Grand-Duché.

• Jusqu’à 40  mètres de chemins forestiers sont créés chaque année. Sans accès, il est impossible d’exploiter et d’entretenir les forêts.

Un code forestier bientôt débattu à la Chambre

La législation concernant les forêts est un véritable capharnaüm dont il est pratiquement impossible de se sortir, à moins d’être un spécialiste chevronné. Certains textes toujours en vigueur ont été rédigés entre 1700 et 1900, autant dire qu’ils ont fait leur temps! Parfois, ils sont d’ailleurs en totale contradiction avec les résolutions internationales signées par le Luxembourg…

« Nous devons créer un tout nouveau code forestier pour regrouper l’ensemble de la législation dans un corpus plus moderne, adapté à notre époque et transparent », milite la ministre de l’Environnement Carole Dieschbourg. Des consultations ont déjà eu lieu dans le cadre du Programme forestier national avec les différents acteurs du secteur. Les lignes directrices sont déjà ressorties  : tout le monde s’accorde par exemple sur la gestion durable des forêts, le maintien de la couverture actuelle, l’équilibre entre gibier et forêt, l’interdiction de l’utilisation des pesticides ou le soutien de l’État aux propriétaires privés.

« Nous désirons que ce projet fasse consensus et que tout le monde se sente concerné, relève la ministre. C’est pourquoi nous avons demandé à la Chambre des députés un débat de consultation qui aura lieu dès le mois de mars. Nous espérons, bien sûr, une suite rapide .»

E.N.