Le ministre du Travail luxembourgeois, Dan Kersch, s’est agacé dans nos pages jeudi, des élus français qui lui cherchent des « poux dans la tête » à propos de la fiscalité sur le télétravail « illimité » des frontaliers. Pourtant, les Belges s’y mettent aussi.
La phrase
«On demande au Grand-Duché, dans une situation de crise une compensation fiscale ! C’est vite oublier le sentiment de solidarité qui nous unissait quand nous avons soigné des patients français. Et maintenant que nous continuons à chercher des solutions qui arrangent tout le monde, on vient nous chercher des poux dans la tête.» Jeudi, Dan Kersch a déploré dans nos pages la sortie du sénateur français (socialiste comme lui) Olivier Jacquin, sur une juste fiscalité du télétravail illimité des frontaliers.
En résumé, le sénateur français s’interrogeait : « la fin des paliers fiscaux (NDLR : au-delà desquels le frontalier doit normalement déclarer dans son pays tous les jours télétravaillés supplémentaires) est une bonne nouvelle pour les frontaliers : ils n’auront pas à produire deux déclarations d’impôt sur le revenu […] Mais en vertu de quelle contrepartie pour les finances de l’état français ? »
La nouveauté
Ce vendredi, selon les révélations de nos confrères de Paperjam, ce sont les Belges qui s’y mettent aussi. L’administration fiscale, plus précisément. Toute une série de frontaliers, ceux qui sont patrons d’eux-mêmes pour résumer, seront exclus du télétravail « illimité ». Le fisc belge veille au grain : pas question que le palier fiscal (de 24 jours pour les résidents belges) saute sans discernement. Ceux qui sont patrons d’eux-mêmes et qui veulent dépasser les 24 jours le peuvent -rien n’interdit de dépasser les paliers pour rappel – mais en réglant la note des jours dépassés du côté belge. Des poux encore, des poux !
La situation globale telle qu’est vraiment
• Avant la crise : ce débat-là dépasse le télétravail et touche au sens de l’impôt. Le Luxembourg disait aux élus français qui argumentaient en faveur d’un juste partage de l’impôt des frontaliers : « pas de raison de partager, car l’article 15 des modèles de conventions bilatérales de l’OCDE suggère que l’on taxe le travail à l’endroit où il est effectué ». Ce modèle est repris par la plupart des pays du monde, l’argument pesait son poids.
• Cette position est objectivement biaisée dans le cadre du travail frontalier. Car l’article 15 (cf. interview de Pascal St Amans) est en fait calibré pour les travailleurs internationaux (six mois ici, six mois ailleurs, quel état prélève ?) et non pas pour ceux qui rentrent chez eux tous les soirs, et qui concrètement pèsent sur l’investissement public de deux états.
• Après la crise : en continuant dans l’application stricte de l’article 15 (=on impose là où la personne travaille), le Luxembourg se serait retrouvé avec un impôt du frontalier qui lui échappe largement. Aïe. Qu’a t-on fait ? Une dérogation totale de l’article 15, une relecture abrasive façon shampoing anti-poux : des salariés travaillant à 100 % du côté belge, français ou allemand restent imposés à 100% du côté luxembourgeois. Alors qu’avant la crise, un aménagement partiel (compensation fiscale de X % ) était caricaturé comme une honteuse façon de demander des « décorations de Noël » (Xavier Bettel l’avait perçu ainsi au micro de RTL France).
Aujourd’hui : en miroir inversé, à l’occasion d’une crise sans précédent, le Grand-Duché est mis face au caractère illégitime de sa première position. L’évidence apparaît dans une lumière crue : si les voisins avaient tenu une interprétation aussi stricte de l’article 15 en question, les finances du pays auraient été étouffées pour 2021. Cette prise de conscience devrait permettre d’ouvrir -mais ça n’en prend visiblement pas le chemin- les portes d’une négociation puisque cette période dérogatoire ne peut être que transitoire (fin décembre 2020). On pourra dénoncer comme on veut une chasse aux poux : les faits sont têtus.
Hubert Gamelon