C’est fait. Le dernier acte de la séparation de l’Église et de l’État s’est joué mercredi avec le vote de la loi créant un fonds de gestion qui remplace les 285 fabriques d’église du pays.
Tout avait commencé dans le calme. Le rapporteur, Claude Haagen (LSAP), résumait le contexte et l’objet du projet de loi abolissant les fabriques d’église, marquant ainsi la dernière étape de la séparation de l’Église et de l’État. Après un an et demi de débats fougueux et de luttes intestines au sein de l’Église catholique, les premières interventions des députés à la tribune s’apparentaient à une promenade de santé.
Même Diane Adehm, qui s’exprimait pour le CSV, résolument opposé à ce projet, n’a pas haussé le ton en déroulant toute la liste de griefs que lui inspire le texte, même quand elle accuse le gouvernement d’avoir «divisé la société» et d’user «de manières rétrogrades», pour imposer son «idéologie». Pas de dialogue avec le Syndicat des fabriques d’église (Syfel) ni avec le syndicat des communes (Syvicol), aucune intervention du ministre des Cultes, regrette la députée. Les partis de la majorité «peuvent se taper sur l’épaule», ils ont réussi à «imposer» la séparation de l’Église et de l’État. «Pour nous, c’est toujours une commune, un conseil de fabrique, et si l’une se trouve en difficulté, alors une mutuelle des conseils de fabrique lui vient en aide», avance-t-elle comme alternative.
Comme le soulignait Claude Haagen, le gouvernement a choisi une autre forme de solidarité, celle d’un Fonds de gestion des édifices religieux qui remplacera tout bonnement les fabriques d’église tenues d’y verser leurs biens.
«Un pas» vers la séparation Église-État
Jusqu’ici, chacun campe sur ses positions. Même Lydie Polfer (DP) tempèrera le débat en relativisant le terme «séparation» pour lui préférer l’expression «nouvelle forme de relation». Elle en veut pour preuve que rien ne changera pour les paroissiens dans la capitale, puisque 21 des 23 églises sont la propriété de la Ville de Luxembourg à la «suite d’un dialogue serein avec les différents conseils de fabrique» et que ces mêmes paroissiens pourront suivre leur office comme avant.
Marc Baum, pour déi Lénk, ironisera sur l’attitude «très respectueuse» de la députée libérale et bourgmestre de la capitale qui démontre selon lui que le texte soumis au vote ne marque pas la séparation de l’Église et de l’État, mais «qu’il franchit un pas dans cette direction». Pour lui, Diane Adehm a tort de croire que le gouvernement peut se féliciter d’une «mission accomplie», comme elle l’avait déclaré, car il n’en est rien. Pour le député de la Gauche, le gouvernement est encore loin du compte.
Les verts, par la voix de Roberto Traversini, disent au contraire y avoir trouvé leur compte et surtout de la clarté. C’est aussi ce que désirait avant tout le ministre Dan Kersch : savoir à qui appartiennent les 493 églises que compte le pays. Aujourd’hui, chaque édifice a un propriétaire désigné, soit c’est le Fonds, soit c’est la commune. Il a fallu attendre l’arrivée de Gast Gibéryen à la tribune pour passer de la promenade de santé au saut à l’élastique. Le député ADR, qui estime que ce texte est «un manque de respect» pour les bénévoles des fabriques d’église, annonce que son parti votera contre. Et plus encore, il promet d’abolir le texte si l’ADR arrive au pouvoir en octobre prochain.
Il reste les juges
Après lui, Michel Wolter a trouvé la place encore chaud bouillante. Le député chrétien-social n’allait pas faire dans la dentelle et il a averti le gouvernement que cette loi risquait bien d’être tout bonnement annulée eu égard à ses faiblesses juridiques. Elle recèlerait des aspects anticonstitutionnels notamment en ce qui concerne l’expropriation et des actions en justice sont toujours en cours, menées tambour battant par le très opiniâtre Syfel.
C’est le socialiste Alex Bodry qui lui a répondu. Il n’exclut pas l’existence d’un risque, mais se félicite du changement. «Depuis 2009, nous disons que nous allons réformer les relations entre l’Église et l’État et il n’y a jamais eu l’ombre d’un avant-projet de loi dans les tiroirs», rappelle-t-il. Au contraire, même si le CSV déclare aujourd’hui qu’il a toujours été favorable à une réforme, Alex Bodry lui rappelle qu’il a toujours traîné des pieds, repoussant sine die une décision impopulaire.
Après quatre heures de débat, le ministre de l’Intérieur, Dan Kersch (LSAP), pouvait enfin prendre la parole et répondre aux députés. Lui aussi est chaud bouillant. À ce point qu’il se fera rappeler à l’ordre par le président de la Chambre, son camarade Mars Di Bartolomeo, qui tient le chronomètre en main, prêt à interrompre le discours tout préparé du ministre.
Dan Kersch lui aussi l’avait chronométré. Il faisait 19 minutes et des poussières selon lui, mais il fut souvent bousculé. «Un ministre qui arrive avec un discours tout préparé et dont les 12 premières minutes se résument à du CSV bashing sans aucune réponse aux députés, c’est du jamais vu au cours de mes 34 années de présence dans cette assemblée», témoigne Michel Wolter. Une demi-heure plus tard, la loi était votée, sans les voix du CSV et de l’ADR. Comme convenu.
Geneviève Montaigu