Voilà dix ans que la loi sur l’euthanasie est entrée en vigueur au Grand-Duché. Le patient peut décider seul si sa souffrance est « inacceptable », lors d’une consultation spéciale avec son médecin appelée « colloque singulier ». Mais l’adoption de cette loi avait suscité bien des débats à l’époque. Retour sur le dossier avec quatre personnages clefs.
Nancy Kemp-Arendt (CSV) : petite voix dissidente
Le parti conservateur au pouvoir ne voulait pas entendre parler d’une loi autorisant l’euthanasie et de l’assistance au suicide. Le bloc chrétien-social à la Chambre a voté contre. Sauf une.
Voilà dix ans que la loi sur l’euthanasie est entrée en vigueur. C’est le 18décembre 2008 qu’elle a été définitivement entérinée lors du second vote à la Chambre des députés après une première lecture en février de la même année. Pour Nancy Kemp-Arendt, seule de son camp à voter en faveur du texte, la pression fut énorme. Témoignage.
«Si je m’en souviens? Je crois que ne n’oublierai jamais ce moment!», lâche Nancy Kemp-Arendt dans un éclat de rire, amusée par la question concernant les souvenirs qu’elle conserve de cette journée du 18 décembre 2008. C’est à cette date que la Chambre des députés votait en faveur de la loi sur l’euthanasie à 31 voix pour, 26 contre et trois abstentions.
Autant dire que le «oui» de Nancy Kemp-Arendt a sacrément pesé dans la balance, seule petite voix dans le camp chrétien-social qui s’est élevée pour défendre la proposition de loi Err/Huss, nageant à contre-courant en dépit des pressions qu’elle subissait pour la faire changer d’avis. Mais la triathlète élue à six reprises «sportive luxembourgeoise de l’année» a affronté les vagues, déterminée à franchir la ligne d’arrivée sans se laisser perturber.
Non, elle ne pourra jamais oublier ce que certains dans son parti ont qualifié de trahison. Mais elle, en ce 18 décembre 2008, n’a pas rasé les murs. Au contraire, elle se sentait plutôt à l’aise dans ses baskets et surtout dans sa tête. «Je n’ai jamais vécu autant d’émotions au Parlement que ce jour-là», nous confie-t-elle. Car elle touchait au but. «J’avais toujours dit que je me battrais jusqu’au bout, jusqu’à la dernière seconde, pour offrir ce choix de fin de vie.»
Surtout, le texte était bétonné. Il liait les soins palliatifs et l’euthanasie en offrant toutes les assurances nécessaires à une bonne application de la législation. «J’ai voté en mon âme et conscience. Beaucoup se sont fait des soucis pour ce texte, mais j’en suis arrivée à la conclusion que ce n’est pas une loi qui doit dicter aux autres ce qu’ils doivent faire face à la mort. Mais j’ai participé à donner un cadre juridique pour l’exercice de cette liberté. Pour moi, ces deux textes sont complémentaires et cela aurait constitué une discrimination si l’on avait seulement voté favorablement pour les soins palliatifs», avait déclaré à chaud la députée il y a dix ans en quittant la séance.
Aujourd’hui, elle se revoit encore à la tribune de la Chambre des députés défendre sa position, tentant de convaincre les plus récalcitrants pour expliquer son choix, dire que toutes les barrières avaient été érigées pour éviter les abus et encadrer le plus humainement possible cette fin de vie sans souffrance.
«J’étais la seule de mon parti à approuver cette proposition de loi et ce combat que j’ai mené me permet aujourd’hui encore de me regarder dans la glace, de regarder mes parents, mes amis dans les yeux parce que nous avons souvent débattu de ce sujet dans l’intimité et je n’aurais pas pu voter contre mes convictions.» Nancy Kemp-Arendt ne regrette pas d’avoir usé de cette liberté que le Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker, avait défendue en ne donnant aucune consigne de vote. Les députés devaient se prononcer en leur âme et conscience même si le CSV bataillait farouchement aux côtés de l’évêché pour barrer la route au droit de mourir dans la dignité.
«Je me souviens des discours où les orateurs ne parlaient que des exceptions en ce qui concerne l’euthanasie. Mais c’est quoi une exception? Entre un malade branché sur des tas de tuyaux mais qui veut vivre et un malade atteint d’un cancer incurable désireux d’en finir avant l’acharnement, comment définir l’exception?», interroge-t-elle.
Six mois difficiles
La pire période pour Nancy Kemp-Arendt fut sans doute celle qui a séparé les deux votes à la Chambre. Car si la loi a été définitivement adoptée le 18 décembre 2008, un premier vote avait eu lieu en février sur les deux textes, soins palliatifs et euthanasie. Le coup de théâtre est venu du Conseil d’État, quelques semaines après le premier vote, en refusant la dispense du second vote. Les députés devaient se prononcer encore une fois sur les deux textes, le projet de loi sur les soins palliatifs et la proposition de loi sur l’euthanasie. «Pendant ces six mois, je crois que tout le monde a essayé de m’influencer pour que je change d’avis. La pression était énorme», témoigne la députée.
Elle s’est réfugiée derrière le discours de Jean-Claude Juncker qui laissait le libre choix aux membres de la majorité et surtout elle n’allait pas retourner sa veste alors que les amendements qu’elle avait soutenus étaient tous passés. Nancy Kemp-Arendt n’oubliera pas le regard de ses pairs dont certains auraient voulu qu’elle fut renvoyée devant le conseil de discipline du parti. Elle tint bon, seule dans cette puissante fraction présidée à l’époque par Michel Wolter.
D’autres membres du parti, en revanche, sont venus l’encourager, lui dire leur reconnaissance et saluer son courage. «Je trouve encore aujourd’hui que c’est une bonne loi et je ne regrette pas de l’avoir défendue contre vents et marées», conclut-elle.
Xavier Bettel (alors député-bourgmestre de Luxembourg) : «la danse de la mort»
À l’issue de la bataille au Parlement, il nous livrait son sentiment : «On a vu le CSV et tous ses satellites qui se sont mêlés de cette question. Je recevais des courriers terribles. Le plus flagrant, c’était les lettres ouvertes envoyées aux rédactions. Le groupe Editpress qui publiait les courriers pro-euthanasie et le groupe Saint-Paul qui publiait les anti-euthanasie. Il y avait un manque d’objectivité dans cette question. Quand on parlait de la « danse de la mort », j’étais effrayé et surtout déçu. L’euthanasie, ce n’est pas être pour la vie ou contre la vie, c’est laisser le choix aux gens de leur fin de vie.»
Le cas de conscience du Grand-Duc
La surprise est venue de la très catholique famille régnante le 2 décembre 2008, deux semaines avant le deuxième vote de la loi sur l’euthanasie. Le Grand-Duc Henri a annoncé à cette date qu’il ne signerait pas la loi pour des raisons de conscience. Une première au Luxembourg. Or la loi ne peut entrer en vigueur que si elle a été sanctionnée et promulguée par le chef de l’État. Le gouvernement se retrouve face à une crise institutionnelle. Ou presque, puisqu’il a réussi à la déjouer.
Jean-Claude Juncker nous déclarait dans une interview quelques jours avant le vote des deux lois sur l’euthanasie et les soins palliatifs que le gouvernement avait tout fait pour éviter la crise institutionnelle. «Pour l’éviter, j’ai dû devoir faire état en public d’un désaccord grave avec le Grand-Duc, ce qui n’était jamais arrivé à aucun de mes prédécesseurs. D’un commun accord avec le Grand-Duc, le gouvernement et les groupes parlementaires ont décidé de procéder à une révision constitutionnelle ayant pour résultat que le Grand-Duc ne devra plus sanctionner les lois mais les promulguer. Si cette disposition tient la route, il n’y aura pas de crise institutionnelle», déclarait-il. Dans un temps record, un amendement a été déposé pour modifier la Constitution qui devait être adopté par la majorité des deux tiers et surtout avant le deuxième vote de la loi sur l’euthanasie. Ce fut chose faite le 11 décembre.
Marthy Putz, militante de la première heure
Elle fut une militante de la première heure au sein de l’association pour le droit de mourir dans la dignité (Mäi Wëllen, Mäi Wee) et cela remonte à 30 ans. L’association a célébré cet anniversaire la semaine dernière lors d’une séance académique que Marthy Putz n’a pas manquée. À 88 ans, elle coule de paisibles journées à Monplaisir, maison de retraite à Mondorf-les-Bains. «Je suis devenue un peu indolente, cela me manque de batailler», admet-elle dans un doux sourire.
Entourée de quelques pensionnaires dans le vaste hall d’accueil, Marthy Putz sirote son apéritif avant le déjeuner, heureuse de vivre et de se faire dorloter par un personnel attentif. «Je dois faire mon mea-culpa, car j’aurais dû être plus énergique ces dernières années. Après le vote de la loi, je ne me suis plus assez occupée de ce combat et c’est vrai que l’on devrait en parler davantage, même si nous n’avons plus besoin de nous battre», poursuit-elle. Elle reconnaît que le sujet est rarement évoqué, sinon jamais, au sein de la maison de retraite mondorfoise. «Je ne sais pas pourquoi», répond-elle. Cela reste encore un tabou.
La directrice de l’établissement, Nadia Goedert-Junkes, reconnaît qu’un faible pourcentage des pensionnaires a pris des dispositions pour leur fin de vie, mais les chiffres sont en hausse.
Geneviève Montaigu
je me rappelle très bien ces débats, le plaidoyer de Nancy Arendt pour le choix personnel de chaque malade avec pathologie lourde incurable… elle était brillante! Et je suis furieuse j’usqu’à la fin de mes jours proche (suis statistiquement déjà morte avec maladie rare grave systémique) que Henri se mêle de ma mort, de ma fin de vie insupportable avec son refus de signer la loi sur l’euthanasie. Ma vie, ma mort, ma conscience, et celle de mes proches sont seules décideurs, pas un duc « par la grace de dieu » !!! quel dieu? Qu’il se mêle de son euthanasie, ou pas, mais PAS de celle des autres malades! C’est inadmissible!