En 15 ans, la quantité de déchets textiles a augmenté de près de 31 % au Luxembourg. Comment expliquer ce chiffre ? Peut-on réduire cette part au profit d’une consommation plus éthique ? Pendant un mois, nous enquêterons sur ce phénomène pour vous apporter des réponses concrètes et locales.
Les mots sont forts, mais les chiffres sont là : actuellement, l’équivalent de 95 t-shirts sont jetés chaque minute au Luxembourg. Chaque minute. L’industrie du textile, indispensable à notre société, fournit vêtements, chaussures, tapis, rideaux, meubles… Mais à quel prix? La façon dont nous concevons, produisons et utilisons des textiles a en effet des répercussions importantes, non seulement sur les travailleurs de cette industrie, mais aussi sur l’environnement et le climat.
Pour alerter sur ce phénomène, Caritas Luxembourg a publié récemment deux études distinctes, en collaboration avec le ministère de la Protection des Consommateurs et TNS Ilres. La première étude, publiée mi-février, porte sur les flux de textiles au Luxembourg, et dresse un constat simple : le pays surconsomme et jette beaucoup trop de textiles.
La seconde enquête, publiée début mars, décrypte plus en profondeur la consommation vestimentaire des résidents du pays : quels comportements, quel questionnement sur l’origine des produits, quel part de vêtements de seconde main dans les garde-robes… Une prise de conscience semble belle et bien actée depuis les récents évènements sanitaires et climatiques, mais les actes concrets se font encore trop rares.
Déchets textiles : de quoi parle-t-on ?
On appelle «déchets textiles» ces vêtements usagés, tissus en fin de vie ou autres chiffons dont nous nous débarrassons, soit dans des bennes caritatives prévues à cet effet, type Croix-Rouge, soit dans nos poubelles noires, c’est-à-dire avec nos déchets résiduels.
Ces deux types de déchets textiles se distinguent d’une manière assez simple : les vêtements collectés le seront dans un objectif de réutilisation, recyclage ou upcycling, tandis que ceux jetés seront davantage «à éliminer».
En 2018, tout textile confondu, le Luxembourg a produit pas moins de 7 454 tonnes de déchets textiles. Soit l’équivalent de 12,26 kilos de vêtements et textiles par habitant sur une année. C’est deux fois plus qu’il y a 15 ans.
C’est simple, près d’un résident sur quatre achète en moyenne un vêtement tous les mois. Selon Caritas, près de la moitié des textiles jetés aurait pu «être remise sur le marché en tant que seconde main» et le reste «recyclé pour fabriquer des chiffons et des matériaux d’isolation».
Pourquoi ça pose problème ?
Sur ces 7 454 tonnes, seulement 0,2 % est actuellement recyclée au Luxembourg. Une part plus que minime qu’Ana Luisa Teixeira, coordinatrice chez Caritas, tente d’expliquer.
«Repenser la filière textile, c’est repenser l’économie. Le système actuel de production, distribution et utilisation fonctionne de manière linéaire : il consiste à acheter pas cher, user très peu et jeter. Les prix des matières premières jouent un rôle : nous avons besoin d’une décision politique majeure pour mettre la seconde main sur un pied d’égalité avec l’industrie de la mode. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : on applique une TVA identique sur la seconde main que sur le textile neuf, ce n’est pas normal et pas pérenne pour ceux qui tentent d’upcycler un maximum.»
Actuellement, les déchets textiles produits au Luxembourg se divise comme suit : 1,8 % sont redistribués aux personnes dans le besoin au sein même du pays, (via les Kleederstuff par exemple) 19,8 % sont recyclés à l’étranger, notamment aux Pays-Bas, pour en faire des matériaux d’isolation, 25,8 % sont incinérés au Luxembourg, 5 % sont incinérés ou mis en décharge à l’étranger et pour 13 %, la destination est inconnue.
«On jette beaucoup trop de vêtements au Luxembourg. Il faut bien réfléchir avant d’acheter quelque chose ! Est-ce que j’en ai réellement besoin ? D’où est-ce qu’il vient ? Même chose lorsqu’on veut s’en débarrasser : les conteneurs associatifs sont une solution, mais rien n’est recyclé au niveau local, tout est envoyé directement à l’étranger, sauf pour Caritas et la Croix-Rouge qui cherchent d’abord à redistribuer le plus possible au niveau local. Alors oui, cela sert à financer des projets caritatifs au Luxembourg, mais on envoie tout de même nos déchets dans d’autres pays», détaille Sophie Garnier, responsable de la campagne «Rethink Your Clothes» de Caritas.
La filière du vêtement produit environ 20 % des eaux usées dans le monde et contribue à environ 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. En cause : ses longues chaînes d’approvisionnement et son mode de production à forte intensité énergétique.
Ce secteur consomme plus d’énergie que les industries de l’aviation et du transport maritime réunies. En exportant massivement ses vêtements usagés, le Luxembourg contribue, lui aussi, à cette pollution dans les pays du tiers-monde.
Si le Grand-Duché produisait lui-même les fibres textiles nécessaires à sa propre consommation, il devrait utiliser un tiers de sa surface agricole, soit plus de 42 000 hectares. Si rien ne change, d’ici 2050, l’industrie de la mode consommera un quart du budget carbone mondial.
Comment faire face ?
L’enquête réalisée en janvier 2022 au Luxembourg par TNS Ilres a permis de constater un nouvel engagement des citoyens pour une consommation plus raisonnable de la mode et une prise de conscience de l’impact de leurs achats vestimentaires sur les humains et la planète.
Si une majorité des résidents du pays recherchent des informations sur les marques de vêtements avant d’acheter ou, pour plus de deux tiers d’entre eux, disposent dans leur armoire d’au moins un vêtement de seconde main, le passage à l’acte en termes de consommation reste à concrétiser.
Pour les deux tiers des répondants à ce sondage, la qualité et le prix restent en effet les critères prioritaires lors de l’achat de vêtements, loin devant les labels et l’origine. La mode éthique et durable manque de visibilité au Luxembourg.
Le consommateur est un acteur essentiel qui a le pouvoir de faire évoluer la filière textile vers une production qui respecte des aspects environnementaux, sociaux et économiques.
Un avis partagé par 68 % des résidents luxembourgeois interrogés durant cette enquête, qui comprennent que se tourner vers des produits labellisés, issus du commerce équitable, a un impact positif sur les conditions de vie et de travail des personnes issues de la chaîne de valeur textile.
Plusieurs initiatives au Grand-Duché
Au Luxembourg, plusieurs initiatives sont déjà en place pour apporter cet éclairage au consommateur et lui proposer des alternatives locales. C’est notamment le cas depuis 2015 avec le centre de tri national «Spëndchen», qui recycle 60 à 70 % des textiles localement et qui nous a ouvert ses portes pour notre prochain épisode.
Nous irons également pousser les portes de l’ONG Faitrade Lëtzebuerg, qui a lancé le premier «Fair Fashion Lab» dans le pays, avec six artistes locaux pour proposer des vêtements et accessoires uniques en coton certifié fairtrade. L’association Benu sera aussi au cœur d’un prochain épisode, puisqu’il s’agit de l’une des rares ASBL engagée dans l’upcycling vestimentaire, ainsi que «Pardon my closet» de Caroline Poincelot.
Enfin, nous irons à la rencontre de la styliste Stylianee Parascha, coordinatrice de la Fashion Révolution Week au Luxembourg, qui se tiendra en avril prochain.
Un mois de reportage
Comment fonctionnent concrètement ces initiatives locales au Luxembourg ? En quoi consistent-elles ? Nous irons, pendant un mois, à la rencontre de ces acteurs locaux qui œuvrent pour le recyclage, l’upcycling, la seconde main au Luxembourg. Pour vous proposer des alternatives écologiques et responsables à la surconsommation actuelle de notre pays.
[Épisode 2] Déchets textiles au Luxembourg : l’alternative Spëndchen
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