Alors que les activités de certaines sociétés du Grand-Duché ont de graves conséquences sur les droits humains dans le monde, le gouvernement peine à légiférer face au lobbying des organisations patronales.
La mesure figure dans le programme gouvernemental de coalition, et plusieurs pas ont déjà été franchis, mais alors que cette législature entre dans sa dernière année, les 17 organisations membres de l’initiative Devoir de vigilance s’impatientent : le Luxembourg traîne des pieds pour voter une loi contraignant ses entreprises à s’engager contre les violations des droits humains.
Tandis que la France, l’Allemagne, la Norvège et la Suisse ont déjà adopté des législations en la matière, et que les Pays-Bas sont sur le point de le faire, le gouvernement luxembourgeois a bien du mal à faire passer ce cadre légal, face à la levée de boucliers qu’il suscite du côté du patronat qui plaide pour une loi européenne.
Ce qui agace le porte-parole Jean-Louis Zeyen : «C’est un faux débat», tranche-t-il, citant une étude de faisabilité menée par l’université du Luxembourg en 2021. «Nous défendons cette loi européenne, nous aussi, mais elle n’empêche en rien de prendre des mesures au niveau national, et toutes les bases existent pour le faire. À Bruxelles, le processus pourrait prendre une décennie or, les victimes ne peuvent pas attendre. C’est maintenant qu’il faut agir», assène-t-il, dénonçant au passage le lobbying acharné des organisations patronales contre cette directive.
En avril dernier, l’initiative Devoir de vigilance avait salué la création du comité interministériel ouvert dans le sillage de l’étude du Dr Basak Baglayan dont les résultats montraient que l’opportunité d’une loi nationale est «fondée et réalisable». Mais alors que le rapport final de ce comité était attendu fin 2021, il tarde un peu trop au goût des associations engagées : «Nous demandons que ce rapport soit publié et présenté», insiste Jean-Louis Zeyen.
«Notre proposition est parfaitement réaliste»
D’ailleurs, elles ont décidé de prendre les devants avec un document clé en main prouvant que seule la volonté politique manque. «Notre proposition est parfaitement réaliste. Nous impliquons uniquement les entreprises qui ont les moyens de mettre cette obligation de respect des droits humains en œuvre», annonce-t-il, rétorquant dans la foulée à ceux qui jugeraient cette loi obsolète que «le mythe du Luxembourg, pays de PME, a vécu : 168 grandes entreprises, dont des big players, sont aujourd’hui établies ici, et ce ne sont pas que des boîtes aux lettres. Donc cette loi compte.»
Pour prévenir toute violation des droits humains et tout dommage environnemental le long des chaînes de valeur, la future loi devra répondre à certaines exigences, estiment les 17 organisations. Pour elles, la loi devra imposer à toutes les grandes entreprises domiciliées au Luxembourg la mise en place d’un plan de vigilance, tandis que seules les PME dont les activités commerciales concernent des régions et/ou des secteurs économiques à haut risque y seraient soumises. Les sociétés de participations financières (SOPARFI) devront aussi être intégrées au dispositif.
L’obligation des entreprises visées porterait sur une diligence raisonnable conformément aux principes directeurs des Nations unies, avec des mesures concrètes, documentées et régulièrement évaluées. Et plus important, la loi devra prévoir une responsabilité civile pour les dommages envers les personnes affectées, ouvrant ainsi la voie à une réparation, devant les tribunaux luxembourgeois. Ce sera alors à l’entreprise de prouver qu’elle a tout fait pour prévenir les dommages.
Alors que le Grand-Duché siège depuis octobre dernier au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, et ce pour la première fois de son histoire, il devrait avoir à cœur de prendre ses responsabilités et de concrétiser cette loi nationale sur le devoir de vigilance pour le mandat 2022-2024.
initiative-devoirdevigilance.org
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Des violations qui se multiplient
L’initiative Devoir de vigilance a déjà dénoncé plusieurs cas concrets de violations des droits humains impliquant des entreprises du Luxembourg. Fin décembre, CAE Aviation avait ainsi été épinglée pour la fourniture de services et de matériel de surveillance permettant à l’armée égyptienne de cibler et de tuer des civils, au mépris du droit international.
L’entreprise NSO et son logiciel Pegasus déployé pour espionner des défenseurs des droits humains, des journalistes et des politiciens partout dans le monde compte pas moins de six entités au Luxembourg, pour le volet financier de ses activités, notamment auprès d’investisseurs. Or, ces investisseurs doivent, eux aussi, s’assurer que la nature de ce qu’ils financent ne constitue pas une violation des droits humains.
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On peut également citer la société Socfin, dont le siège se trouve au Luxembourg et qui gère des plantations de palmiers à huile dans les pays du sud, régulièrement pointée du doigt par les communautés locales pour accaparer des terres, alors qu’il s’agit du seul moyen de subsistance des populations rurales.
À cela s’ajoutent tous les dommages environnementaux, l’exemple typique étant le déversement de produits chimiques dans des cours d’eau, nuisant aussi bien à la pêche qu’à la santé des riverains, l’eau étant polluée.