Le président du Syndicat des villes et communes luxembourgeoises (Syvicol), Émile Eicher (CSV), se montre très critique envers la réforme du pacte logement et attend des précisions sur les missions des communes.
Les communes s’attendaient à une simplification mais estiment, selon Émile Eicher, que la réforme du pacte logement rend les choses plus compliquées encore. La flambée des prix du foncier ne va pas non plus améliorer la situation sur le front du logement abordable. Enfin, pour les communes, il est temps de redéfinir leurs missions.
Le Syvicol se félicite que la proposition de révision constitutionnelle introduise le principe de connexité, selon lequel les communes ont droit aux moyens financiers pour remplir leurs missions légales. C’est une pure formalité ?
Émile Eicher : Plus ou moins. Toute nouvelle mission que les communes devront accomplir devra obligatoirement être financée par l’État. Le problème ce sont les missions mixtes, les missions qui ne sont pas clairement obligatoires. Les maisons relais n’ont jamais fait partie des missions obligatoires des communes, mais on ne peut en imaginer aucune qui se passerait de ce service qui est absolument nécessaire. Les communes doivent suivre les évolutions de la société et les compétences doivent être clairement définies.
Le logement n’est pas non plus une mission obligatoire des communes, mais, là encore, toutes les communes la remplissent. Peut-on imaginer des communes tourner le dos au pacte logement 2.0 ?
Oui, c’est une possibilité. Même si l’enjeu financier est secondaire, il faut le prendre en considération, mais c’est surtout la charge de travail, les difficultés et les obstacles que présente ce texte qui font réfléchir. Les communes savent que ce pacte va les obliger à se réorganiser, à trouver des partenaires qu’elles ne connaissent pas encore. C’est un nouveau métier pour certains.
Financièrement, le nouveau pacte cible davantage les logements, ce qui est plutôt une bonne chose, non ?
L’ancienne formule nous a servi à créer des infrastructures publiques afin de pouvoir accueillir des logements justement. Avant, on avait une certaine prévisibilité. On calculait le soutien financier à hauteur de 4 500 euros pour tout nouvel habitant dépassant une croissance annuelle de 1% de la population que l’on pouvait prévoir dans le budget. On était tous d’accord pour dire qu’il fallait davantage réinvestir dans du logement, mais on voit aujourd’hui que les conditions posées par le futur pacte sont très contraignantes, trop. Au niveau de l’enveloppe financière dont les communes pourront bénéficier, cela a été verrouillé. À part la dotation forfaitaire de base comprise entre 100 000 et 500 000 euros en guise de prime de démarrage du pacte 2.0, après tout se complique.
Comment ?
D’un côté les communes peuvent recevoir 10 000 puis 19 000 euros par logement acquis ou réalisé, mais sous condition que ce logement soit subventionné ce qui implique dès le départ d’inclure le ministère du Logement. Ensuite, on peut compter sur les 2 500 euros pour la gestion locative sociale, mais ce n’est pas grand-chose. Le mécanisme de la gestion locative sociale ne concerne qu’une petite part des logements sociaux, la commune ne joue qu’un rôle d’intermédiaire. Or, c’est la gestion du parc locatif social des communes qui représente le principal défi, surtout pour les petites communes, mais également pour les grandes si le parc locatif augmente. De l’autre côté, pour pouvoir dépenser cet argent, les communes devront encore remplir des conditions pour que les projets entrent dans une des trois catégories : acquisitions de terrains (l’aide à la pierre), cadre de vie et dynamiques sociales. L’État ne verse l’argent que pour des projets bien définis et validés. Le ministère du Logement vient d’imposer des nouvelles conditions applicables à partir du 1er juillet pour obtenir les subventions dans le cadre des aides à la pierre selon un cahier des charges qu’il a établi. C’est 40 pages de détails, ça peut aller d’une niche vestiaire par logement ou d’une place de vélo par chambre, certaines recommandations sont obligatoires, d’autres pas, mais ça va dans toutes les directions et cela va poser problème aux communes. Si elles veulent s’assurer d’avoir des subventions, elles devront dans la négociation tenir compte d’un acteur supplémentaire qui est le ministère du Logement et qui pose ses propres conditions. Pourtant, la seule réglementation urbanistique à respecter par le PAP est du PAG de la commune.
Diriez-vous que le projet de pacte logement 2.0 porte atteinte à l’autonomie communale ?
Les communes ont leur propre réglementation, leur PAG, c’est une partie de l’aménagement du territoire qui leur a été déléguée et qui entre dans leurs compétences, et maintenant il y a une ingérence de l’État dans cet aménagement communal qui gêne un peu. Nous nous attendions à une simplification du système et nous avons droit à encore plus de complexité. Je pense que ce faisant, l’État empiète sur une partie de notre autonomie, oui. Les communes peuvent proposer leurs propres idées en termes de logement, plus adaptées au niveau local. Le gouvernement répète à souhait qu’il œuvre pour les communes, mais au final, il se passe de leurs voix. Si nous avons été associés aux discussions préparatoires au projet de loi, il n’a été tenu compte d’aucune manière, de notre avis depuis son dépôt. Nous n’avons pas été consultés sur les amendements. Résultat, les communes ne peuvent plus disposer de leur argent comme elles le veulent, elles doivent rester dans des cases rigoureusement définies par l’État.
La seule mesure à mes yeux qui puisse nous aider c’est le remembrement ministériel
Financièrement, cette réforme va-t-elle avantager les communes et les inciter à créer du logement abordable ?
Avantager les communes, non, par rapport à qui? C’est plutôt l’initiateur privé qui va être favorisé. La fiche financière qui accompagnait la première version du projet de loi estimait le coût d’acquisition des terrains pour réaliser des logements abordables à 6,8 millions d’euros par an pour l’État. C’est beaucoup moins que les dépenses annuelles dans le cadre du premier pacte, qui a coûté à l’État 392 millions de 2008 à 2019. Le ministère du Logement représente 1,35 % du budget de l’État. Si on dit que la crise du logement est le plus grand défi qui se pose aujourd’hui, alors c’est un peu juste. Les inciter à créer du logement abordable, elles le font déjà autant qu’elles le peuvent. Mais ce sont les terrains qui manquent, les communes ne les possèdent pas. La seule mesure à mes yeux qui puisse nous aider, c’est le remembrement ministériel qui nous aiderait à avancer plus vite. Le propriétaire peut garder sa surface, mais on va lui proposer un autre terrain en compensation pour qu’il arrête de gêner le développement d’un PAP en refusant de vendre. Cette mesure aura des retombées immédiates au moins, mais elle figure dans un autre projet de loi.
La crise ne va pas arranger les finances communales non plus…
Il y a des communes qui vont avoir des problèmes financiers structurels, c’est certain. Quand on compare le programme pluriannuel avant et après la crise, on voit que les communes vont perdre entre 340 et 370 millions d’euros par an dans les quatre années à venir, donc plus de 1,3 milliard qui ne seront certainement pas récupérables et c’est précisément cette somme qui nous aurait permis de nous engager dans des missions qui ne sont pas obligatoires. Les communes vont maintenant se concentrer sur ce qui est nécessaire, leurs missions les plus importantes, comme les écoles, la voirie, leurs infrastructures, etc. Attention, ce n’est pas parce qu’une commune n’adhère pas au pacte logement qu’elle n’investit pas dans le logement.
Êtes-vous satisfait de l’évolution des travaux sur la réforme de la loi communale ?
En ce qui concerne la tutelle, nous avons bien réussi à nous imposer, puisque 80 % de nos idées sont reprises. Maintenant nous discutons de l’organisation d’une commune moderne, avec quel personnel fonctionner, quelles sont ses obligations, ses missions. Tout cela n’est pas encore clair. La question est de savoir si l’on conserve ce principe des missions obligatoires et facultatives, quelles sont-elles exactement, quid des missions mixtes, elles sont nombreuses, quel sera le rôle des communes dans ces missions-là? Des établissements publics reprendront-ils ces tâches ou seront-elles réalisées par les communes pour le compte de l’État? Les questions sont encore nombreuses. Les communes sont tenues de s’adapter à l’évolution de la société, je citais l’exemple des maisons relais tout à l’heure, mais c’est vraiment ça. Ce n’est pas parce que la mission n’est pas obligatoire qu’elle ne doit pas être subventionnée par l’État. Ce n’est pas comme cela que la société fonctionne. Il faut être plus flexible, plus réactif et redéfinir les missions en permanence pour répondre aux besoins de la société.
Le métier de bourgmestre évolue aussi. Ils sont nombreux à se plaindre de la charge de travail par exemple. Avez-vous des solutions ?
Les échevins et le bourgmestre sont chefs de l’administration, chefs du personnel. Dans les grandes communes, ils ont des professionnels pour gérer ces affaires. Nous avons besoin d’un coordinateur dans les communes et qui serait le premier contact pour le collège échevinal et le bourgmestre. Il pourrait aussi soulager leurs tâches.
Le congé politique est l’autre question délicate tant ils sont nombreux parmi les bourgmestres à le juger nettement insuffisant…
Le congé politique est directement lié à la question de la gestion journalière d’une commune. Évidemment que le congé politique ne suffit pas, même pour une petite commune. Élaborer un budget demande beaucoup de temps et d’efforts. Il n’y a pas de délégation de signature et on ne peut plus continuer comme ça. Il faudrait au moins qu’une direction puisse signer des dépenses jusqu’à un certain montant. Je me retrouve parfois avec un tas de documents à signer dont des virements de deux euros et ça prend énormément de temps. Nous attendons des propositions concrètes.
Quid de la responsabilité de l’élu local ?
Il est certainement responsable de ses actes politiques. Mais si vous sortez de cette pièce et que la porte vous claque sur la tête, je serai tenu pour responsable. Ce n’est pas normal. Oui, la question de la responsabilité des élus est également en discussion.
Entretien avec Geneviève Montaigu