Les hôpitaux souffrent. Alors que les cas positifs au Covid-19 se multiplient, les soignants tirent la sonnette d’alarme. Le Dr Philippe Turk joue les équilibristes pour éviter que la situation ne bascule.
Jean Reuter, médecin au service réanimation – soins intensifs du CHL, est l’invité des médias luxembourgeois depuis quelques jours à la suite d’un tweet au travers duquel il veut alerter sur la situation actuelle et future dans les services de réanimation. «La moitié de la réa est prise par des Covid-19. Moyenne d’âge 60. Tous avec une PCR positive entre le 14 et 20/10. Au Luxembourg : 1 861 PCR positives entre le 14 et 20/10. 3 629 positives entre le 21 et 27/10. Vous voyez le mur qui nous attend ? Le confinement, c’est pour quand ?» Les hôpitaux luxembourgeois manqueraient cruellement de personnel pour affronter la vague qui se prépare. Sommes-nous face à un désastre sanitaire programmé ? Le Quotidien a posé la question au Dr Philippe Turk, spécialiste en médecine interne et coordinateur de l’action dans les hôpitaux contre le coronavirus au Grand-Duché.
La moitié des lits dans les services de soins intensifs sont actuellement occupés par des patients Covid. Selon le Dr Reuter, ce ne serait qu’un début. Comment comptez-vous éviter le mur qu’il prédit ?
Dr Philippe Turk : Ces derniers jours, nous avons constaté une hausse régulière du nombre de personnes atteintes du Covid-19 admises en soins intensifs et dans les services de soins normaux. Je dirais que leur nombre a augmenté de 50 % en une semaine, ce qui est significatif. Nous nous orientons selon un plan en quatre phases en ce qui concerne les capacités dans les hôpitaux. En matière de soins normaux, nous avons déjà en partie dépassé la phase 3. Mais notre préoccupation principale, depuis le début de la crise, reste les places en soins intensifs. Quand la phase 4 sera franchie dans ces services, cela aura un impact sur les autres activités des hôpitaux. Nous voulons éviter leur arrêt complet. Notre but est donc par tous les moyens de ne pas laisser les soins intensifs atteindre cette phase. Si nous n’y parvenons pas, nous aurons un grave problème de ressources humaines ainsi que de santé publique à gérer après la crise du Covid. Dans les semaines à venir, nous devrons tenter de conserver cet équilibre précaire. Le taux élevé de nouvelles infections me préoccupe beaucoup.
Si le système de santé ne survit pas à la situation, des personnes mourront du Covid-19 ou d’autres pathologies
Comment procédez-vous pour maintenir cet équilibre et éviter de basculer en phase 4 ?
La cellule de crise travaille sur des solutions en amont de l’hôpital, comme le fait de soigner les malades du Covid-19 dans les maisons de soins et le CIPA ou d’hospitaliser les malades à domicile. Nous devons protéger les hôpitaux au maximum. Nous essayons pour cela de rendre les séjours en leur sein aussi compacts que possible.
Nous avons tiré des enseignements de la première vague, comme une réduction de la durée des hospitalisations par de nouveaux protocoles de soins, entre autres. C’est notamment la raison pour laquelle nous pensons pouvoir soigner les personnes âgées dans les maisons de soins directement.
Le Luxembourg manque de personnel médical et il n’est pas question d’en recruter chez ses voisins comme la Belgique. Comment les services s’organisent-ils pour continuer à fonctionner au mieux ?
Que ce soit dans le secteur de la santé ou des soins, les ressources humaines sont limitées. Si la situation sanitaire venait à nous dépasser, nous devrions faire des compromis avec les traitements d’autres pathologies. Les chiffres de ces derniers jours sont préoccupants et le secteur hospitalier est relativement anxieux. D’où ce message aux décideurs politiques de se décider à prendre de nouvelles mesures si les chiffres continuent d’augmenter dans les prochains jours.
Êtes-vous en faveur d’un confinement ?
Nous espérons de nouvelles mesures. Confinement, semi-confinement, c’est au gouvernement de décider ce qu’il trouve approprié.
Vous parlez de compromis à faire entre les traitements de différentes pathologies. Si la vague de Covid-19 venait à laminer notre système de santé, ne faudrait-il pas faire des sacrifices?
La société devra accepter que de nombreuses personnes meurent. Si le système de santé ne survit pas à la situation, des personnes mourront du Covid-19 ou d’autres pathologies. C’est brutal, mais c’est la réalité.