Niché dans l’est du pays, le petit village de Givenich accueille une prison pas comme les autres. Sur ce domaine agricole, les personnes en fin de peine ou devant en purger une courte peuvent préparer leur sortie et leur retour dans la société. Actuellement ils sont 82, dont 11 femmes, à être accueillis dans ce centre pénitentiaire semi-ouvert.
Ils ont commis des crimes ou des délits. Certains ont récidivé. Aujourd’hui, ils ont quitté les barreaux de la prison de Schrassig. En pleine campagne, ils s’adonnent à un travail : élevage, jardinage, menuiserie, peinture… L’objectif? Favoriser leur réinsertion socioprofessionnelle.
«Ici on peut vraiment reprendre sa vie. Quand on regarde par la fenêtre de sa chambre, on voit la nature. Il y a également les animaux, les avions…» Depuis le mois de mai, date à laquelle elle a intégré la prison semi-ouverte de Givenich, Marie* (49 ans) indique avoir retrouvé le sens de sa vie. La quadragénaire a passé plus de 13 ans derrière les barreaux à Schrassig. «J’avais perdu le sens de la réalité. Aujourd’hui, je peux à nouveau toucher de l’argent, faire des courses et, surtout, regarder les prix dans les magasins et aussi ceux des logements…»
Dans ce petit village de l’est du pays, situé entre Mompach et Moersdorf, aucun muret ni barbelé à l’horizon. Ici, à Givenich, on donne la clé des champs aux détenus. Le centre pénitentiaire est en effet conçu pour permettre aux personnes en fin de peine ou devant purger une courte peine de préparer leur sortie lors d’un séjour relativement court.
«On parle de chambre, pas de cellule»
À notre arrivée, nous apercevons un homme sortir des brouettes de fumier de l’étable. Ici, le travail est obligatoire. Travaux agricoles, horticoles, menuiserie, artisanat, cuisine, nettoyage… À travers huit ateliers, les détenus mettent la main à la pâte sur le domaine agricole comportant 30 bâtiments et s’étirant sur 130 hectares. Par la suite, il y a ceux qui décrochent un contrat de travail à l’extérieur de la prison. Ces détenus partent le matin de Givenich. Ils reviennent le soir pour y passer la nuit. D’où le nom de prison semi-ouverte.
«C’est un régime progressif lors duquel on octroie de plus en plus de responsabilités, sorties et congés aux détenus», explique Claude Lentz, directeur du CPG. Et d’appuyer : «Ici on ne parle pas de cellule, mais de chambre. Car on veut être le plus proche de la société.»
Actuellement, Givenich accueille 82 détenus. Manuel* (59 ans) s’y trouve depuis deux mois, après en avoir passé sept à Schrassig. Ce n’est pas son premier séjour à Givenich. «Mais on ne peut se lamenter ici», estime-t-il. Il revient tout juste du jardin quand nous le rencontrons peu avant l’heure de midi. «Ce matin, j’ai récolté les derniers brocolis.» L’exploitation des terres agricoles occupe une grande partie des détenus.
Derrière le bâtiment principal, arbres fruitiers, poireaux et salades… attendent d’être récoltés. Des fruits et légumes qui sont préparés dans la cuisine. «Quand le chef de cuisine me demande 24 têtes de salade, je les coupe et les lui ramène», nous explique Manuel. «Ou bien on peut les acheter. Pour 0,50 euro, par exemple, vous avez un chou.»
«Un rythme à tenir»
En ce début d’automne, si certaines vaches ont trouvé refuge dans l’étable, les autres broutent toujours à l’extérieur. Dans un bâtiment à l’arrière, près de la menuiserie, un détenu est chargé de remplir des caisses de copeaux de bois.
«Les détenus ont un rythme à tenir», soulève Claude Lentz. Entre travail, école et d’autres rendez-vous… ils sont occupés. Lever à 6 h 30, café à 7 h, et à 8 h c’est le début du travail ou des cours. Jusqu’à 16 h. Autour de 21 h 30, c’est le couvre-feu, où chacun doit avoir regagné sa chambre. Pour des motifs d’ordre administratif, médical, socio-familial ou professionnel, le détenu peut se faire octroyer un congé pénal.
Si le détenu bénéficie de certaines libertés, il est soumis à des règles strictes : «On n’accepte pas de retard de plus de 5 minutes, autrement il faut nous le signaler. En cas de retard de train, il faut pouvoir l’attester.»
Il n’y a pas que la ponctualité qui compte dans la prison semi-ouverte, le personnel mise également sur la politesse (dire bonjour, merci…), le respect de l’autorité, l’hygiène… Un fait que nous confirmeront les détenus Marie et Manuel : «Il faut faire son lit et le ménage de sa chambre.»
Les détenus qui bénéficient d’une semi-liberté ont le droit de demander à avoir accès à leur propre voiture. «Mais au retour, si la conduite sous l’influence d’alcool est constatée, la police est appelée et un procès-verbal est dressé», rappelle le directeur.
Alors que nous traversons la cour, quatre cabines téléphoniques nous interpellent. «Aujourd’hui, seule une est encore en fonction. Ce sont avant tout les nouveaux arrivants qui s’en servent le temps qu’ils règlent les derniers papiers. Car pratiquement tous ont droit au portable (NDLR : sauf pendant les cours et activités)», indique Ramon Thielen, chef de service de surveillance.
«Rien à voir avec Schrassig»
Si c’est la réintégration socioprofessionnelle qui prime à Givenich, les détenus apprécient également d’être logés dans des chambres individuelles : «Les pavillons (NDLR : où peuvent habiter six personnes) sont très bien aménagés. Il y a la télé, une cuisine et une grande salle de bains où chacun a son propre lavabo.» Mardi et samedi matin, une épicerie sur roues s’arrête à Givenich. Les détenus peuvent effectuer quelques achats personnels. Mais les repas en réfectoire sont aussi appréciés. «À Schrassig, on mange seul dans sa cellule. Ici, c’est tous ensemble!», soulève Marie. «Rien à voir avec Schrassig. On est plus à l’aise, mais il ne faut pas oublier que cela reste une prison», poursuit-elle.
Pour leurs sorties en dehors de Givenich, ils doivent se débrouiller seuls avec les transports en commun. Autant dire que la plupart connaissent les horaires de bus pour rallier Echternach et Wasserbillig sur le bout des doigts. «Le dimanche, il faut être rentré à 18 h. En cas de congé pénal, c’est 20 h au plus tard, illustre Manuel. Si on fait un faux pas, on est sanctionné. Mais si on suit les règles du jeu, on arrive à ce qu’on veut.» «L’agent ne peut fermer l’œil sur l’un et pas sur l’autre. Dehors, il faut bien respecter la loi. Ici c’est la même chose.» S’il estime que la réinsertion est trop longue, Manuel compte désormais les jours jusqu’à sa sortie. Lundi, il lui en restait encore 20. «Fin novembre, je commencerai ma thérapie.»
Marie, affectée à la buanderie, devra, quant à elle, encore patienter un peu. «En principe, je dois rester encore deux ans. Mais je fais tout pour raccourcir cette période.» À l’en croire, ce regain de liberté à Givenich l’a motivée d’arrêter tous ces médicaments d’un coup. En attendant sa sortie, elle en profite donc pour régler des papiers pour ses parents. Toutes des choses qu’elle n’a pas pu faire durant les 13 dernières années à Schrassig. Les sorties régulières où elle va promener un chien à Gasperich ainsi que toutes les autres activités sportives et excursions lui permettent de sortir de son isolement. Le fait aussi de toucher le salaire minimum et de pouvoir être affiliée à la caisse de pension lui a redonné le sourire. Un pas important sur le long chemin de la réinsertion des détenus.
*Les prénoms ont été modifiés
Fabienne Armborst
Retour à la case prison si…
La prison semi-ouverte de Givenich effectue régulièrement des tests d’urine pour dépister les drogues sur les détenus. «En moyenne, on compte autour de 3 700 tests par an», illustre son directeur Claude Lentz. En cas de résultat positif, on en fait mention dans le rapport du détenu. En cas de sanction, le délégué du procureur général d’État à l’exécution des peines est également informé. Ce dernier peut ordonner le retour du détenu à Schrassig pour raisons disciplinaires ou médicales. Mais le détenu peut aussi à tout moment, de son plein gré, demander son retour.
«Intégrer la prison semi-ouverte de Givenich n’est pas un automatisme»
Meurtre, viol, infractions routières, vol… comme le Grand-Duché ne compte que deux prisons, Givenich doit «travailler avec tout le monde». La prison semi-ouverte accueille à la fois des personnes qui ne se sont pas acquittées de l’amende qui leur a été infligée (contrainte par corps) comme des détenus condamnés à la perpétuité.
«Intégrer la prison semi-ouverte de Givenich n’est toutefois pas un automatisme», prévient le directeur du CPG, Claude Lentz. Expertises psychiatriques et psychologiques, comportement, évolution personnelle, pronostic socioprofessionnel, dangerosité, attaches sociales, lieu de résidence… sont autant de critères qui entrent en compte lors d’un transfert depuis Schrassig.
À son arrivée à Givenich, le détenu est pris en charge. Même si elle dispose du dossier du détenu depuis son incarcération à Schrassig, l’équipe tient à se faire une image de lui. Quels sont ses souhaits? Quelles sont ses forces? Où se voit-il à sa sortie de prison? «En fonction de ses compétences et de nos besoins, il est affecté à un atelier. Cela n’empêche pas qu’il change par la suite», précise Jean Christian Meyer, directeur adjoint. «Le conseiller en insertion est un pilier important et un acteur de référence lors de son séjour à Givenich. C’est lui qui fait notamment le rapport sur le parcours du détenu.»
En moyenne, un détenu reste entre deux et trois ans à Givenich. «Mais tout dépend de la peine qu’il lui reste à purger et, bien évidemment, de son comportement», précise notre interlocuteur. Si son comportement est bon, des faveurs au niveau de l’exécution de la peine peuvent lui être accordées : congé pénal, libération conditionnelle, suspension de peine ou sortie avec bracelet électronique.
F. A.
De la prison du Grund à Givenich
Au tout début, Givenich était une colonie pénitentiaire agricole. En 1893, le propriétaire et ancien député à Givenich Mathias Theisen junior avait remis à l’État le domaine en donation philanthropique. Avant le début de la Seconde Guerre mondiale, certains prisonniers détenus dans l’abbaye de Neumünster dans le Grund y furent envoyés pour effectuer des travaux agricoles. Avec le début de la guerre, ils durent retourner à Luxembourg; après le conflit, des détenus furent renvoyés à Givenich pour reconstruire. Le site gagna en ampleur. L’année 1956 marque le début de la prison semiouverte de Givenich. «Le site tel qu’il se présente aujourd’hui n’a pas été construit sur la base d’un plan. C’est le résultat de tout un développement. Une caractéristique qu’on retrouve chez d’autres prisons semi-ouvertes à l’étranger à la campagne», explique son directeur. Encore aujourd’hui, le CPG continue d’évoluer avec les besoins de la société.
Une prison sans uniforme
À Givenich, les 37 agents pénitentiaires (26 hommes et 11 femmes) ne portent pas d’uniforme. Ils sont habillés en civil. Sur un site ouvert, c’est avant tout la confiance qui doit régner, nous explique-t-on. «Il faut agir, pas réagir. Sinon, il est souvent trop tard! Et beaucoup de détenus ont eu une expérience négative avec le personnel en uniforme. Il est important de supprimer ces barrières.»
Les femmes sont arrivées en 2010
Longtemps, le centre pénitentiaire de Givenich n’a accueilli que des hommes. Depuis 2010, des détenues y cohabitent. «Bien évidemment, hommes et femmes n’occupent pas les mêmes logements. Il y a aussi des séparations au niveau des sanitaires. Mais pour tout ce qui concerne les activités (école, travail…), c’est mixte», explique son directeur, Claude Lentz. En 2010, cela avait rendu le site unique en son genre. «Ce principe de la mixité permet aussi d’être proche de la société.»