Luxtransplant informe les familles sur le don d’organes au moment du décès. Elles le refusent dans 45% des cas, quand le défunt n’a pas exprimé son choix clairement. Le point avec Jorge de Sousa, l’un des trois coordinateurs de Luxtransplant, membre du réseau Eurotransplant qui regroupe les donneurs et receveurs de huit pays européens.
Comment a démarré le programme Luxtransplant ?
Jorge de Sousa : C’est en 1981 que l’ASBL a été créée, puis les prélèvements d’organes ont commencé en 1982, d’abord en collaboration avec l’hôpital de Liège. Depuis 2000, des prélèvements multiples (plusieurs organes sur un même patient) se font aussi au Luxembourg. Une équipe est actuellement formée au Luxembourg pour être indépendante.
Dans quelles circonstances une personne est-elle éligible pour donner ses organes ?
Tout d’abord, il faut savoir que les médecins réanimateurs feront dans un premier temps tout pour sauver la personne. Une vieille idée selon laquelle les médecins ne s’acharnent pas trop pour préserver les organes a cours : ce n’est pas vrai du tout, le rôle des médecins est d’abord de sauver des vies. Il faut donc que la personne se retrouve en mort encéphalique et que deux médecins constatent cet état, deux médecins de spécialités différentes. C’est seulement à partir de là qu’elle devient un donneur potentiel. C’est à ce moment-là que Luxtransplant est contacté, l’un des trois coordinateurs de garde vérifie que tous les examens ont bien été faits pour attester la mort cérébrale de la personne.
Ensuite, le médecin appelle la famille pour annoncer la nouvelle, puis ce praticien évoque le don d’organes, ce qui laisse peu de temps à la famille pour digérer la nouvelle et comprendre les enjeux. Si la famille est perdue, nous pouvons intervenir pour les informer en prenant rapidement rendez-vous avec elle.
Le tout en quelques heures… Que dit la loi au Luxembourg ?
La loi garantit qu’une personne est donneuse par défaut. Le coordinateur est là pour indiquer à la famille les suites des procédures et doit vérifier que la personne ne s’est pas opposée de son vivant au don d’organes. Dans tous les cas, c’est la famille qui aura le dernier mot. Et on enregistre 45% de refus, c’est beaucoup. En 16 ans de coordination, je n’ai vu que cinq cartes de donneurs portées par les personnes. C’est donc qu’en plus de la carte, il faut parler et parler encore de son choix auprès de ses proches. Les proches prennent en grande majorité leur décision en tenant compte de l’avis de la personne de son vivant. Si la famille s’oppose, on essaie de savoir si elle ne s’oppose pas en réalité à la volonté de la personne.
Combien de personnes sont en attente d’une greffe au Luxembourg ? Combien y a t-il eu de donneurs l’année dernière et cela est-il suffisant ?
Difficile à dire, car il n’y a pas de statistiques fiables dans le pays, mais on peut estimer qu’il y a entre 60 et 65 personnes qui attendent actuellement un organe. Elles seront environ un tiers à se faire greffer au cours de l’année dans les hôpitaux de Bruxelles, Liège, Paris, Strasbourg, Anvers.
En 2014, nous avons eu quatre donneurs au Luxembourg, vu que plusieurs organes sont prélevés sur chaque donneur, cela donne un total d’environ 20 organes prélevés au Grand-Duché. Les chiffres sont en baisse. Mais sur environ 16 appels, malgré quelques cas où médicalement le prélèvement n’est pas possible (en cas de VIH, infection du sang, certaines maladies chroniques etc.), cela donne un grand nombre de refus des familles…
Comment expliquer cette désaffection à l’égard du don malgré les campagnes de sensibilisation ?
Un scandale en Allemagne a entaché deux centres, des médecins « aggravaient » la situation médicale des malades sur le papier pour qu’ils soient les premiers de la liste et obtiennent leur greffe plus rapidement. Du coup, cela a eu des répercussions dans l’opinion publique, sur le réseau Eurotransplant dont nous faisons partie, et ici les Luxembourgeois regardent beaucoup les médias allemands. Cette année, nous avons eu jusque-là deux donneurs sur sept appels. Même si les choses peuvent s’accélérer d’ici la fin de l’année, c’est peu… Le principe d’Eurotransplant est d’être équitable, or nous recevons plus d’organes que nous n’en donnons. Cela pourrait poser problème à terme.
Entretien avec Audrey Somnard
Retrouvez également notre dossier spécial dans Le Quotidien de ce jeudi 29 octobre