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Devoir de vigilance : les militants font le siège de cinq sociétés


Pour les militants, le Luxembourg, qui siège désormais au Conseil des droits de l’homme, ne peut plus faire l’impasse sur une loi nationale. (Photo : Hervé Montaigu)

Près d’une centaine de manifestants ont organisé jeudi des actions symboliques devant les sièges de plusieurs entreprises impliquées dans les violations des droits humains.

Le Luxembourg veut-il lutter contre les violences de genre?» «Le Luxembourg veut-il protéger les droits des enfants?» On serait tenté de répondre oui, à l’évidence. Mais pour les militants issus d’organisations de la société civile qui se battent pour que les entreprises respectent les droits humains, ces questions se posent véritablement. Ils estiment en effet que le Grand-Duché n’adopte pas la posture digne de sa nouvelle fonction de membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour laquelle il vient d’obtenir un mandat de trois ans.

Ils étaient près d’une centaine au total à s’être rassemblés jeudi, par petits groupes d’abord devant les sièges de cinq entreprises impliquées ou accusées de l’être dans des affaires de violations des droits humains (lire encadré), puis tous ensemble devant le ministère des Affaires étrangères. Afin d’interpeller (une fois encore) le ministre Jean Asselborn et de le convaincre d’adopter une loi nationale contraignante sur le devoir de vigilance des entreprises, les activistes ont déposé au ministère des objets symboliques représentatifs des crimes commis par ces entreprises ou leurs filiales.

«Il faut une loi»

«Cela fait dix ans que les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains ont été adoptés, et on ne peut que constater que le volontariat ne suffit pas. Il faut une loi pour obliger les entreprises à respecter les droits humains et leurs défenseurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement. On ne peut pas se permettre d’attendre l’adoption d’une loi européenne qui risque de prendre encore des années», a fulminé Antoniya Argirova, responsable plaidoyer au sein d’Action solidarité Tiers Monde (ASTM).

Nous avions retrouvé un peu plus tôt, boulevard Royal à Luxembourg, une vingtaine de représentants des organisations membres de l’Initiative pour un devoir de vigilance et de defenders.lu devant le très discret siège de MindGeek. Cette multinationale possède de nombreux sites pour adultes tels que Pornhub, RedTube ou Youporn.

Si dans le cadre de cette action les activistes ne s’opposent pas à la pornographie (dans sa forme légale), ils dénoncent par contre l’absence de consentement dans de nombreuses publications : des vidéos sont en effet régulièrement mises en ligne de femmes ou d’enfants violés, de personnes qui n’ont pas accepté la publication de leurs ébats, etc. Et de surcroît, il est très difficile de les faire retirer une fois publiées.

MindGeek, le porno quoi qu’il en coûte

«Ça fait des années qu’il y a des plaintes pour supprimer des vidéos, fait savoir Rosa Brignone, présidente de l’ASBL Time for Equality. Mais MindGeek a très longtemps refusé de le faire et elles ont donc continué à circuler, à être téléchargées, traumatisant d’autant les victimes.»

À la suite d’un article retentissant de Nicholas Kristof dans le New York Times en décembre 2020, Pornhub avait supprimé dans la foulée plus de la moitié de ses vidéos. Cela représentait plusieurs millions d’enregistrements. Une première étape. Par ailleurs, un procès mené par une quarantaine de femmes est en cours en Californie. Elles accusent le site de continuer à se faire de l’argent avec des vidéos publiées sans leur consentement.

Le problème, comme souvent, c’est que «ce groupe a une structure très complexe et opaque, avec des bureaux dans des États où est pratiquée une politique fiscale favorable, comme le Luxembourg. Chaque filière se renvoie la balle quand on leur demande de rendre des comptes», explique Rosa Brignone. «Mais ce n’est pas parce que les viols se déroulent dans d’autres pays que le Luxembourg n’a pas sa part de responsabilité, lui qui héberge la société mère. On parle de traite des êtres humains!»

La militante a donc déposé un peu de sable rouge sur le pas de porte de la société, pour «rendre visible ce qui est invisible».

Tatiana Salvan

Quatre autres entreprises visées

En sus de la société MindGeek, des actions symboliques ont été organisées par les militants devant les sièges de quatre autres entreprises impliquées dans des violations des droits humains :

ArcelorMittal : le groupe codétient Baffinland, qui exploite une mine de fer dans l’Arctique canadien. Les communautés Inuits impactées dénoncent les conséquences négatives de cette mine (qui doit être encore étendue) sur l’environnement et l’empiètement sur leurs terres ancestrales.

Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) : la branche luxembourgeoise de cette banque finance l’entreprise chinoise Minerals and Metals Group (MMG) qui exploite la mine de cuivre Las Bambas, au Pérou, en dépit des contestations sociales (sévèrement réprimées) dont cette mine fait l’objet depuis 2015 et de son grave impact environnemental (voir notre édition du 28/09/2021).

OSY Technologies SARL et Q Cyber Technologies (NSO Group) : la société israélienne est impliquée dans plusieurs affaires d’espionnage notamment à l’encontre de journalistes et des défenseurs des droits humains, comme dans l’affaire Jamal Khashoggi et plus récemment Pegasus.

Socfin, Société financière des caoutchoucs : cette société fait beaucoup parler d’elle en matière de violations, que ce soit au niveau de la pollution, de l’accaparement des terres, des (très) mauvaises conditions de travail…