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Des selles dans les coffres de la biobanque de Luxembourg


Lorieza Castillo est la scientifique qui est en charge du séquençage de l'ADN des bactéries qui peuplent les selles des donneurs. (photo Hervé Montaigu)

L’Integrated BioBank of Luxembourg (IBBL) lancera l’année prochaine une collecte étonnante : elle va rechercher des selles de donneurs sains.

La recherche est l’un des nouveaux piliers du Grand-Duché et l’IBBL en est une excellente illustration. Voilà un institut récent (créé en 2008 et inauguré en 2010) qui, en une poignée d’années, s’est forgé une réputation internationale qui ne cesse de croître. À tel point que la biobanque va quitter ses locaux provisoires situés près du centre hospitalier de Luxembourg (CHL) l’année prochaine pour un nouveau bâtiment en cours de construction, où elle disposera de deux fois plus d’espace, près du Laboratoire national de santé (LNS) à Dudelange.

À l’intérieur du bâtiment actuel, on trouve des congélateurs à -80 °C, des cuves d’azote liquide à -196 °C, des laboratoires et une batterie de robots entièrement paramétrables qui peuvent soit séparer les différents constituants du sang, soit extraire et séquencer l’ADN et l’ARN. Il s’agit donc à la fois d’une bibliothèque qui conserve du sang, de la salive, des tissus, de l’urine et des selles, et d’un institut capable de créer une collection de très haute qualité.

Car tout l’intérêt d’un tel institut, c’est d’offrir aux chercheurs le meilleur matériel pour réaliser leurs études. «Il faut que tous les paramètres soient optimaux pour que les résultats des recherches soient aussi justes et reproductibles que possible», explique Fay Betsou, la directrice scientifique qui pilote les laboratoires.

Les bactéries sont aussi nos amies

Justement, il existe un domaine encore très peu connu mais qui semble être des plus prometteurs : l’étude du microbiome. C’est-à-dire «l’ensemble des organismes qui vivent dans notre corps», précise le Dr Betsou. On parle là des bactéries et des microbes qui peuplent nos intestins et notre estomac, et il y en a un paquet. «Notre corps contient dix fois plus de cellules bactériennes que de cellules humaines, illustre-t-elle. Nous sommes un vrai sac à bactéries !»

Si l’on croyait il y a quelques années que celles-ci étaient la cause de tous nos tourments et qu’il fallait observer la plus grande méfiance à leur égard, ce point de vue est en train de changer radicalement. «Nous nous sommes rendu compte ces cinq dernières années que les bactéries et les microbes pouvaient être nos amis, précise-t-elle. Leur rôle dans notre état de santé est bien plus important qu’on ne le pensait.» On ne parle pas là uniquement des maladies gastro-intestinales – même si des avancées en la matière sont à attendre, notamment pour la très pénible maladie de Crohn – mais de l’état général de notre corps et même de notre esprit. «Des résultats étonnants ont été découverts», souligne la scientifique.

Il est aujourd’hui acquis que l’état de notre microbiome a des conséquences sur l’obésité. Encore plus inattendu, il influe sur notre état mental. «Un type de bactérie sécrète un métabolite (NDLR : une petite molécule) qui va jusqu’au cerveau et peut provoquer des dépressions», avance Fay Betsou. Les chercheurs qui commencent à explorer cet axe intestin-cerveau promettent de belles découvertes, «notamment sur des maladies neurodégénératives comme Parkinson». Cela tombe bien, les scientifiques du Luxembourg Institute of Health (LIH) et du Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB) sont à la pointe dans ces domaines.

Pour être des acteurs majeurs de ces études, les scientifiques des instituts de recherche du Grand-Duché ont besoin du matériel qui leur permettra de comprendre les mécanismes de dysfonctionnement et, ensuite, les moyens d’y remédier. C’est ici que la biobanque intervient. Elle est même un des leaders mondiaux dans ce domaine. «L’IBBL est la première biobanque à être accréditée pour l’identification des composants du microbiome à l’échelle mondiale», se réjouit la scientifique.

Quatre donneurs sains pour un malade

La méthode d’identification mise en place est le fruit d’un travail de recherche mené par Fay Betsou et ses équipes. Microbiologiste de formation – elle a travaillé sur le vaccin de la coqueluche lors de sa thèse – elle met désormais au point les procédures de collecte, de préparation, d’analyse et de conservation des échantillons. «L’aspect préanalytique peut influencer les résultats des recherches, souligne-t-elle. En ce qui concerne les selles, les microbes sont très sensibles à la chaleur. Quelques degrés en plus ou en moins modifient complètement la composition de l’échantillon.» Pour parvenir aux meilleurs résultats, il a fallu réfléchir puis tester les options retenues. «Le plus difficile a été de choisir les tubes et les méthodes d’extraction, détaille Fay Betsou. Nous avons essayé sept tubes et trois méthodes d’extraction, puis nous avons croisé toutes les données pour trouver la combinaison optimale.»

C’est fort de ce savoir-faire, qui place la biobanque comme l’un des laboratoires de référence dans le domaine, que la nouvelle collecte débutera au cours de l’année prochaine. Un des objectifs de cette action est de récupérer des échantillons de selles de donneurs sains. «D’habitude, nous n’avons que des échantillons de patients, mais pour faire avancer les recherches, il est indispensable de pouvoir les comparer avec ceux de personnes qui ne sont pas malades, appuie la directrice scientifique de l’IBBL. Il faut au moins quatre échantillons de donneurs sains pour un malade si l’on veut obtenir de bonnes statistiques.» L’idéal serait même de suivre ces donneurs sur le long terme. «Le plus intéressant, c’est le suivi. Si le donneur sain développe une maladie plus tard, cela permettrait de trouver des diagnostics en amont pour développer des outils thérapeutiques.»

L’étude des selles n’a donc absolument rien de trivial. Il s’agit même d’un axe extrêmement prometteur. Alors que l’on ne s’intéresse au microbiome que depuis quelques années, une application thérapeutique a déjà été trouvée. Pour lutter contre le clostridium, une bactérie qui cause des inflammations intestinales, on peut dorénavant mettre en œuvre une transplantation fécale qui apporte les bactéries manquantes et rétablit l’équilibre nécessaire à une bonne santé. «Le microbiome joue un rôle essentiel dans la régulation de l’ensemble du système immunitaire. Ce qui est très intéressant, c’est que l’on peut facilement l’influencer en amenant des probiotiques, par exemple.» La biobanque le sait, elle ne manquera pas de travail ces prochaines années. Elle collabore déjà à de nombreux programmes de recherche au Luxembourg et dans le monde entier. Et de nouveaux frappent à la porte.

Erwan Nonet

A la maison, tranquillement

La biobanque a mis en place la procédure la plus pratique possible pour récupérer un maximum d’échantillons de selles de donneurs sains. «Lorsqu’une personne ira dans un laboratoire clinique pour faire une prise de sang ou des analyses d’urine, on lui proposera également un kit de prélèvement de selles», explique Fay Betsou, qui pilote les laboratoires de l’IBBL.

C’est seul, à la maison et en toute intimité que le donneur récupèrera quelques grammes de selles à l’aide d’une spatule afin de les introduire dans un tube à essai. Une fois le réceptacle fermé, il suffira de le remuer pour mélanger l’échantillon au stabilisant qui permettra de conserver parfaitement les bactéries. Il n’y aura plus qu’à mettre le tube dans le colis déjà affranchi, puis le poster. L’échantillon du donneur, placé sous le sceau de l’anonymat, sera alors collecté, traité et mis à la disposition de la communauté scientifique par la biobanque.

La décision de faire un don pour la recherche n’est pas irrévocable. Il est tout à fait possible de se retirer du panel, sur simple demande auprès du laboratoire clinique. L’échantillon sera immédiatement détruit.