Transparency International Luxembourg juge que les lanceurs d’alerte ne sont pas suffisamment protégés au Grand-Duché. L’association faisait, hier, le bilan d’un projet contre la corruption.
Un médecin qui réclame des honoraires illégaux. Un politicien qui ferme les yeux sur des méfaits pour aider une connaissance. Des dessous de table et autre pots-de-vin… La corruption peut prendre de multiples formes.
Depuis 2012, l’ONG Transparency International Luxembourg participe au projet « Speak Up », financé par la Commission européenne et qui vise à encourager les citoyens à signaler tout fait de corruption. Son principal outil d’action, la hotline anticorruption (26 38 99 29), a vu ses moyens renforcés grâce à ce projet.
L’avocat et président de l’association, Yann Baden, rappelle les conditions du soutien aux lanceurs d’alerte : « Dès le premier contact avec le lanceur d’alerte, nous rassurons la personne sur le degré de confidentialité qui entoure ses propos », chaque employé de TI Luxembourg ayant signé un accord de confidentialité spécifique, et aucune mesure ne sera prise sans le consentement préalable du lanceur d’alerte.
Ainsi, l’association a eu « connaissance d’une bonne cinquantaine de cas divers et variés » constate-t-il. Les instances majoritairement visées sont les instances locales et communales. Le domaine le plus souvent visé « semble être celui du développement immobilier et, dans une moindre mesure, celui des marchés publics », poursuit Yann Baden.
Un phénomène qui n’est pas anodin
Et de donner l’exemple d’un cas soumis à la hotline en 2012, et qui concernait une commune dont un membre du conseil communal était soupçonné de conflit d’intérêts dans le cadre d’un projet immobilier. Ce conseiller faisait apparemment partie du personnel du groupe appartenant au promoteur immobilier et avait pris part au vote concernant le projet immobilier de son employeur.
Afin d’éviter un conflit d’intérêts officiel, qui l’aurait privé de son droit de vote, le conseiller a vendu sa parcelle de terrain avant le vote au conseil communal, mais au prix que la parcelle allait avoir après un vote favorable du conseil communal… Des faits qui s’apparentent à une infraction de corruption; le lanceur d’alerte a donc été assisté par TI Luxembourg dans sa recherche d’un avocat, et l’association suit actuellement l’affaire.
Le secteur financier « présente également des défis particuliers, notamment dans un contexte international de grande corruption ». Et il est clair que « le phénomène de la corruption n’est pas inexistant ou anodin au Luxembourg », glisse-t-il.
Reste que, malheureusement, les lanceurs d’alerte contactent l’association souvent trop tard, déplore Yann Baden. C’est-à-dire lorsqu’ils sont en désespoir de cause car ils ont épuisé tous les recours judiciaires – alors que l’association aurait pu davantage les aider avant cela.
De même, l’association admet qu’elle n’a souvent pas pu entreprendre grand-chose, les affaires étant soit prescrites, soit insuffisamment étayées par des preuves.
En conclusion, Yann Baden plaide pour que la fin du projet Speak Up ne signifie pas pour autant celle de la hotline. L’ONG en appelle donc au public, à l’État et aux entreprises pour soutenir cet outil de lutte contre la corruption.
De notre journaliste Romain Van Dyck
Le Luxembourg à la traîne
En matière de protection du lanceur d’alerte, la législation d’autres pays européen est beaucoup plus aboutie que la loi luxembourgeoise du 13 février 2011, constate TI Luxembourg, qui demande donc une « mise à jour ».
On pense évidemment à Antoine Deltour, l’ex-auditeur de PwC Luxembourg, qui risque jusqu’à 10 ans de prison pour son rôle dans le scandale LuxLeaks.
TI Luxembourg propose donc plusieurs pistes, comme la protection de l’identité du lanceur d’alerte, y compris par l’employeur; le protéger lorsqu’il contacte une association agréée comme TI Luxembourg ; le protéger contre les infractions de diffamation et de calomnie ; ou encore nommer au sein du parquet et de la police judiciaire une cellule consacrée à la lutte contre la corruption. « Il faut améliorer le système luxembourgeois» afin de «lever toute ambiguïté, tant auprès du lanceur d’alerte que de l’opinion publique », plaide Yann Baden