Le psychologue Fränz D’Onghia dénonce un «problème structurel» au Luxembourg qui favorise la prescription de médicaments au détriment des psychothérapies.
Avec un peu plus de 53 cachets pour 1 000 habitants par jour en 2015, selon les derniers chiffres disponibles de l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques), le Luxembourg fait partie des vingt pays qui consomment le plus d’antidépresseurs au monde, après la Belgique et l’Allemagne, mais devant la France, la Grèce ou l’Italie. Si les médicaments sont parfois indispensables au traitement de la dépression, leur prescription ne devrait toutefois pas être automatique, et encore moins ne pas être accompagnée d’un suivi.
Or le Luxembourg a tendance à favoriser la prescription de médicaments au détriment du suivi thérapeutique. C’est en tout cas ce que dénoncent plusieurs psychothérapeutes du pays, dont Fränz D’Onghia, psychologue et chargé de direction du service information et prévention de la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale. «Au Luxembourg, nous avons un problème structurel : nous avons créé un système de santé où il est plus attractif de prescrire des médicaments plutôt que de prescrire une psychothérapie», s’insurge-t-il.
Plusieurs facteurs ont amené à cette situation, en premier lieu desquels le remboursement limité des psychothérapies.
«Aujourd’hui, c’est difficile de trouver un psychothérapeute. À la Ligue, il faut compter trois mois d’attente. Il y a des psychothérapeutes qui travaillent en libéral, mais leur activité n’est pas remboursée, donc pour des personnes en difficulté financière, se faire soigner de manière psychothérapeutique revient beaucoup trop cher. Elles ne peuvent pas se le permettre», souligne Fränz D’Onghia. Entre l’attente alors qu’on se trouve dans une situation de détresse et l’incapacité financière, il est beaucoup plus aisé pour nombre de patients de se tourner vers la voie médicamenteuse, prise en charge dans sa quasi-totalité par la CNS.
Trop de lenteur
Le coût des actes médicaux a également contribué à la situation actuelle, de nombreux psychiatres se trouvant financièrement perdants lorsqu’ils proposent une thérapie d’une heure plutôt qu’un rendez-vous pour une prescription qui ne prendra que 15 minutes maximum, comme l’explique Fränz D’Onghia : «Un psychiatre peut facturer par exemple 160 euros une heure de consultation. S’il prescrit des médicaments, il peut facturer cet acte entre 50 et 60 euros, un acte qui ne prend que quelques minutes. Lorsqu’il prescrit des médicaments, il peut donc voir cinq patients en une heure et ainsi gagner quasiment le double.»
Enfin, faute d’une solution rapide, les médecins de famille ont aussi tendance, pour aider leur patient, à prescrire des médicaments. «Quand les gens ne vont pas bien, ils vont voir leur médecin de famille, qui est généralement compétent pour diagnostiquer une dépression. S’il peut envoyer le patient vers un psychiatre ou appuyer pour une prise en charge rapide en cas de dépression sévère, lorsque celle-ci est légère ou moyenne, il va prescrire des antidépresseurs. Il sait que le patient a besoin d’une psychothérapie, mais celui-ci va devoir attendre trois ou quatre mois avant un premier rendez-vous. La lenteur fait que le médecin va privilégier à nouveau la prise en charge médicamenteuse», constate le psychologue.
Une loi a pourtant été votée en juillet 2015, qui prévoyait le remboursement des psychothérapies (pas seulement celles menées par des psychiatres), mais elle n’a pas encore été véritablement mise en œuvre. «Si nous avions plus de psychothérapeutes conventionnés, les généralistes enverraient déjà plus rapidement leurs patients chez un psychothérapeute au lieu de prescrire des médicaments. Et si la prescription de médicaments était moins attractive, la psychothérapie gagnerait en considération», conclut le psychologue de D’Ligue.
Tatiana Salvan