Le secteur de la construction réclame d’urgence l’ouverture de nouvelles décharges pour déchets inertes. La problématique, qui perdure depuis des décennies, a été débattue, jeudi, à la Chambre des députés.
Il y a quelques semaines, la file qui se forme quotidiennement devant la décharge pour déchets inertes de Colmar-Berg a franchi un record. Pas moins de 140 camions se sont retrouvés à attendre leur tour pour vider leur benne remplie de terre excavée ou d’autres matériaux tels que du béton, des pierres, des briques ou des tuiles. Selon les acteurs du terrain, un chauffeur effectue tout au plus deux rotations par jour entre le chantier et la décharge. En cause, un problème qui préoccupe le pays depuis des décennies : le manque chronique de capacités pour stocker le déblai.
«Les trajets inutilement longs pour atteindre les quelques décharges qui sont encore opérationnelles causent 10 000 tonnes de CO2, ce qui correspond aux émissions annuelles de la ville de Diekirch», dénoncent le Groupement des entrepreneurs et la Fédération des entreprises de constructions et de génie civil. Selon une estimation, un camion effectuant un trajet aller-retour de plus de 20 km représente 8 095 tonnes de CO2 par an. Un trajet de plus de 35 km produit 14 165 tonnes de CO2 par an.
Un besoin de huit nouvelles décharges
Autre conséquence directe : la durée des travaux de construction s’allonge et les projets sont plus chers. «Pour une maison unifamiliale, les coûts de transport correspondent désormais au prix d’une cuisine», avancent les deux représentants du secteur de la construction. La fourchette de prix pour une cuisine équipée peut aller de 5 000 à 10 000 euros, voire plus.
«Comment espérer trouver une solution pour la pénurie de logements, si on ne trouve même pas de sites pour entreposer le déblai?», s’interrogent encore le Groupement des entrepreneurs et la Fédération des entreprises de construction et de génie civil.
La même question se pose pour les dizaines de projets de grande envergure. Près de 80 % du déblai provient de chantiers gérés par l’État ou par les communes. Une solution nationale pour les décharges est réclamée d’urgence par les acteurs du terrain.
Interpellée jeudi par Jean-Paul Schaaf (CSV), la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, renvoie en premier lieu vers la simplification des procédures pour choisir et autoriser de nouvelles décharges. «Les entrepreneurs estiment que le pays a besoin de huit nouvelles décharges pour pouvoir fonctionner à long terme», note le député-maire d’Ettelbruck.
La capacité existante (lire ci-dessous) diminue d’année en année. «Nous avons conscience que les sites existants sont presque saturés. D’où la décision de rendre plus rapide les processus d’autorisations. Jusqu’à présent, il fallait compter entre 5 et 7 ans pour débloquer un terrain», explique la ministre déi gréng.
Un fonctionnaire de l’administration de l’Environnement assure aujourd’hui la liaison avec le terrain. Carole Dieschbourg évoque aussi des échanges constructifs avec les acteurs du terrain.
Le cadre légal en place depuis 2021 prévoit neuf régions dans lesquelles doit fonctionner au moins une décharge pour déchets inertes. Actuellement, le sud du pays ne compte plus de décharge, d’où l’afflux massif vers celle de Colmar-Berg. Les procédures pour ouvrir une nouvelle décharge sur le crassier de Differdange sont en cours.
Une saturation à vitesse grand V
Si les procédures ont été allégées, de nombreux aspects techniques doivent être pris en compte : protection de l’eau et de la nature, distance de 500 mètres autour des habitations et absence de collision avec des exploitations agricoles, des routes ou des lignes ferroviaires.
Une fois la perle rare trouvée, une nouvelle décharge risque d’être saturée plus vite que prévu. Dernier exemple en date : à Strassen, le terrain le long de l’A6 a fonctionné deux ans au lieu des sept planifiés au départ.
Selon la ministre Dieschbourg, l’ouverture de nouvelles décharges n’est cependant pas la seule solution possible. Une des priorités consiste en la revalorisation des déchets inertes et en un style de construction nécessitant moins d’excavation de terrain (lire par ailleurs).
Une stratégie suffisante pour éviter la paralysie redoutée? Les entrepreneurs avancent une ultime option : vider leur benne devant la Chambre des députés, comme vient l’illustrer une annonce diffusée récemment sur les réseaux sociaux.
L’équivalent de deux pyramides de Gizeh par jour
Le Luxembourg croule sous plus de 7,5 millions de tonnes de déchets inertes (terres et cailloux) par an, soit la quantité la plus élevée par tête d’habitant à l’échelle de l’Union européenne. La moyenne de 20 000 tonnes de terres excavées par jour correspond, selon des calculs de l’administration de l’Environnement, à deux pyramides de Gizeh.
Ces énormes chiffres sont dus à plusieurs facteurs. L’activité économique du pays, et plus particulièrement du secteur de la construction, se trouve à la base du nombre de projets de construction, de rénovation ou de destructions qui sont réalisés annuellement.
La ministre de l’Environnement précise en outre que c’est aussi dû au fait que les maîtres d’ouvrage maximisent l’utilisation des terrains disponibles dans le périmètre de construction. Des sous-sols multiples en sont une conséquence directe, ce qui aurait pour conséquence une «saturation plus rapide des décharges qu’initialement prévu».
Au vu de la multitude de projets de construction en cours et à venir, la ministre Carole Dieschbourg plaide pour une gestion plus responsable et durable des déchets inertes, présentant un important potentiel de revalorisation.
Une capacité restante de 21,9 millions de mètres cubes
Fin 2020, 11 décharges pour déchets inertes étaient encore en activité au Luxembourg : Altwies, Brouch, Bridel, Schwebsange, Folkendange, Colmar-Berg, Gadderscheier, Hosingen, Nothum et Moersdorf. Selon le décompte rapporté à l’administration de l’Environnement, ces 11 sites disposaient encore d’une capacité restante de près de 21,9 millions de mètres cubes (m3).
En toute logique, ce chiffre continue de diminuer. Fin 2019, 31 millions de m3 de déchets inertes pouvaient théoriquement encore être stockés sur les différents sites. Il est à préciser que la disponibilité des capacités effectivement disponibles varie selon le type de décharge et de son fonctionnement. Actuellement, il existe trois types de décharges : 4 pour déchets inertes proprement dits, 2 remblais et 5 carrières.
En octobre 2020, la ministre Carole Dieschbourg estimait que les capacités restantes allaient suffire pour garder les décharges ouvertes pendant 10 ans encore. Les dates théoriques de saturation ont souvent changé. Un délai de 15 ans a même été avancé en novembre 2020. Aujourd’hui, la ministre déi gréng préfère ne plus avancer de date précise. Elle préfère attendre les autorisations pour l’extension et l’autorisation de nouvelles décharges.
Parmi les 11 sites existants, la décharge de Brouch disposait fin 2020 encore de la plus grande capacité (8 millions de m3), suivis de celles d’Altwies (4,8 millions de m3), de Folschette (3,5 millions de m3), de Bridel (3,05 millions de m3) et de Colmar-Berg (3 millions de m3). Cette dernière reste particulièrement fréquentée par les entreprises de construction, car il s’agit d’une des dernières à accepter les terres excavées.
Des procédures sont en cours pour élargir la capacité à Colmar-Berg de 3,9 millions de m3 et celle de Folkendange de 500 000 m3.
Une décharge majeure doit ouvrir à Differdange. Les procédures sont en cours pour débloquer un terrain pouvant accueillir 5,9 millions de m3 de déchets inertes, suffisant, toujours théoriquement, pour une durée de 10 ans.
En mode circulaire
Une priorité est accordée à la revalorisation des déchets inertes qui peuvent devenir briques ou mortier.
Pour la ministre de l’Environnement, il s’agit d’une des pistes prioritaires pour délester les décharges pour déchets inertes. Grâce au principe de l’économie circulaire, aussi bien les terres d’excavation, le béton, les pierres, les briques que les tuiles peuvent être transformés en de nouveaux matériaux de construction. À titre d’exemple, on peut citer du mortier et des briques de terre crues produits à partir de terres d’excavation. Les autres types de déchets inertes sont également à transformer en de nouveaux agrégats (roches, pierres, béton, briques).
«Par définition, les déchets inertes ne sont pas contaminés», précise la ministre Carole Dieschbourg dans une réponse à une question parlementaire d’Octavie Modert (CSV). «Pour autant que ces déchets puissent être concassés afin d’en faire de nouveaux agrégats, cette méthode (…) est appliquée, pour la plupart sur le chantier même. Ces matériaux sont alors réutilisés dans les travaux de construction et construction routière», développe la ministre déi gréng. Les terres d’excavation, dont la nature géologique ne permet pas une telle valorisation, sont soit réutilisées dans la réalisation de remblais, soit mises en décharge.
Le taux de revalorisation des déchets inertes est de 93 %. Les terres sont valorisées à hauteur de 40 %. «La géologie du Luxembourg fait que ces terres sont faiblement adaptées à des fins de construction. La recherche pour trouver d’autres filières de valorisation est en cours», indique Carole Dieschbourg.
Travail de sensibilisation
Si les déchets présentent toutefois un degré de contamination trop important, ils ne peuvent plus être considérés comme inertes. «Étant donné que le Grand-Duché ne dispose pas de décharge pour déchets contaminés non dangereux ni pour déchets dangereux, ces déchets ne peuvent pas être éliminés au Luxembourg. En règle générale, ils sont exportés vers l’Allemagne pour être déposés en décharge autorisée pour ce type de déchets», note encore la ministre. Quelque 1,3 million de tonnes de déchets inertes sont exportés annuellement.
Lancée il y a quelques années, la brochure intitulée «Besser planen, weniger baggern» («Mieux planifier, moins d’excavation) vise à sensibiliser tous les acteurs de la construction à la réduction de la quantité de déchets produits sur les chantiers pour en fin de compte faire diminuer la pression sur les décharges.
«Nous allons relancer ce travail de sensibilisation en se concertant avec le Syvicol, les architectes, les ingénieurs et les entrepreneurs, histoire de garantir la continuité du projet», a annoncé la ministre, jeudi, devant la Chambre des députés.