A la veille du 1er mai, le président de l’OGBL attribue des bonnes notes au gouvernement sortant. André Roeltgen n’oublie cependant pas d’évoquer les dossiers qui restent à trancher.
Dans une société qui a tendance à devenir toujours plus égoïste et qui peine à se mobiliser pour une cause, quelle est encore la valeur de cette fête du Travail ?
André Roeltgen : Dans notre société, il n’y a eu aucun changement au niveau des intérêts objectifs. On assiste même à une plus importante spécification des intérêts personnels. Il faut donc plus que jamais passer par une forte organisation syndicale pour lutter en faveur de ces objectifs, le tout dans l’intérêt des travailleurs, des retraités et aussi des chômeurs.
Le rôle du syndicat n’a donc pas changé. On est toujours confronté à l’opposition entre capital et travail, toujours dans la défense d’un État- providence fort et de services publics de qualité. Les questions classiques se posent donc toujours, mais dans un contexte bien plus complexe. Le 1er mai reste donc le jour où on célèbre à travers le monde le travail et l’engagement de ceux qui luttent pour la liberté, la démocratie et une vie digne des travailleurs. Tous les syndicalistes prennent aussi en ce jour particulier l’engagement de continuer à défendre activement la cause des travailleurs. Toutes nos revendications sont actualisées chaque 1er mai. Cet exercice est encore plus particulier et important dans une année électorale.
La croissance économique continue de battre des records au Luxembourg. On mise sur une hausse de 4,6% pour cette année 2018. Or cette richesse n’arrive plus chez tous les citoyens. Les inégalités sociales ne cessent de croître. Voyez-vous la cohésion sociale menacée ?
Il ne s’agit pas seulement d’un problème luxembourgeois, mais d’un problème européen. Pendant de trop longues années, l’Europe a mené la mauvaise politique en misant sur l’austérité. Et cela continue, car l’économie de marché prime toujours sur l’État-providence, avec toutes les conséquences négatives que cela a apporté. Je citerais le dumping social, le dumping fiscal ou encore le dumping salarial. Il y a aussi eu des répercussions sur le service public et les infrastructures.
Cela est absolument contre-productif pour le développement positif d’une société. La mauvaise redistribution des richesses ne fait que creuser ces inégalités. Les conséquences politiques sont le Brexit ou la montée des mouvements extrémistes et populistes. On assiste à des discriminations des plus démunis ou même des réfugiés. Tout est lié.
Au Luxembourg, vous avez aussi haussé le ton ces dernières semaines. Quelles sont les mesures prioritaires à prendre pour éviter une détérioration de la cohésion sociale ?
On maintient notre revendication de procéder encore avant les législatives à une hausse de 10% du salaire social minimum. Si je vois que le principal parti d’opposition est favorable à une telle mesure, je pense qu’on dispose d’une base pour avancer dans cette direction. Le Premier ministre a signé en novembre dernier le socle européen. Il y est clairement mentionné que le salaire d’une personne qui travaille normalement doit être suffisant pour mener une vie décente. Quelqu’un qui travaille 40 heures ne doit en aucun cas être dépendant d’aides sociales pour subvenir à ses besoins. Cela est inacceptable.
Ce même Premier ministre a cependant déjà dit qu’une telle hausse du salaire minimum ne se ferait plus avant les élections…
Pourtant, plus personne ne conteste qu’il est devenu impossible de vivre au Luxembourg avec le seul salaire minimum. Mais tout le monde tergiverse ou renvoie vers le coût du logement. Sans vouloir nier la problématique du logement, on est confronté ici à une question purement salariale. Il s’agit de la redistribution de la productivité. On a de plus en plus de personnes qui vont travailler pour un très bas salaire. Elles figurent parmi les 20% avec les salaires les plus bas. L’écart entre riches et pauvres ne cesse donc d’augmenter. Même la Commission européenne constate que les salaires ont uniquement connu une évolution modérée au Grand-Duché. Cela confirme qu’on voit juste avec nos revendications.
Entretien avec David Marques