Persécuté puis menacé de mort dans son pays, Rami Alattar, 29 ans, a fui la Syrie en 2012 pour un long périple de 3 ans qui l’a mené en Jordanie, en Égypte, au Liban, en Turquie, en Grèce, en Macédoine, en Serbie, en Hongrie, en Autriche, en Allemagne et enfin au Luxembourg, où il est arrivé il y a deux semaines. Témoignage.
Rami est un réfugié comme tant d’autres, ou presque. Né à Damas, il a été contraint de fuir son pays à cause de la police secrète du président syrien, Bachar al-Assad.
Au Luxembourg depuis 14 jours, il espère obtenir le statut le reconnaissant comme un réfugié issu d’un pays en guerre. Rami Alattar a en effet déposé sa demande de protection internationale, le 8 septembre, dans les locaux du service des réfugiés de la direction de l’Immigration, sise route d’Arlon à Luxembourg. « J’ai poussé la porte de la direction de l’Immigration et j’ai été entendu durant deux minutes, dans le cadre d’une première audition, après avoir attendu quatre heures et demi », explique le réfugié syrien. Ses empreintes digitales sont relevées, son passeport et sa carte d’identité, classés.
Durant ses deux minutes d’audition, l’employé arabophone du ministère des Affaires étrangères qui suit son dossier, lui pose deux questions bien précises : « Quelle route avez-vous empruntée pour arriver au Luxembourg? », et, « Avec combien de passeurs avez-vous eu affaire au cours de votre migration? »
Un premier contact avec les autorités luxembourgeoises qui lui permet d’espérer un meilleur avenir, malgré une part de doute qui subsiste.
Convoqué mardi matin pour une 2e audition
Mais Rami reste confiant quant au sort que lui réservent les autorités. « J’espère que la procédure ne durera pas trop longtemps », explique-t-il, lui qui loge actuellement dans un chalet en bois attenant au foyer pour réfugiés de Bourscheid, après avoir passé cinq jours et cinq nuits dans le nouveau foyer Don Bosco de Luxembourg-Limpertsberg, à savoir la structure nouvellement dénommée foyer Lily-Unden. En attendant, le demandeur d’asile Rami prépare sa convocation à la direction de l’Immigration : «Je suis convoqué ce matin (mardi) à 10h30 au ministère.»
Le papier signé de la main du premier conseiller de gouvernement du ministère des Affaires étrangères, stipule que la demande de Rami fait l’objet de «l’application du règlement n° 604/2013 dit « règlement Dublin III » (NDLR : règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride)». Car Rami vient de loin…
Syrie-Jordanie-Égypte
La vie de Rami Alattar bascule en juin 2012. Enfant de la capitale syrienne, Damas, Rami crée en 2009 un site internet d’informations éco-financières. Un blog y est intégré et il attire rapidement des milliers de followers. « Environ 300 000 personnes échangeaient sur mon blog », explique-t-il. Lui-même y exprime des opinions personnelles sur la gestion des finances publiques du régime de Bachar al-Assad. Et cela ne plaît pas forcément au président syrien.
Un jour, Rami franchit la ligne rouge qui limite la «liberté d’expression» syrienne : il poste un message sur son blog qui décrit « la chute inexorable de la monnaie syrienne, la livre, si le régime d’al-Assad continue » sur la voie suivie à cette période. Il n’en faut pas plus pour que les miliciens qui soutiennent al-Assad, les «shabiha», débarquent à son domicile de Damas.
Perquisition par la police secrète d’Assad
Rami n’est pas présent ce jour-là, mais sa mère voit 12 militaires armés jusqu’aux dents saisir tous les ordinateurs présents. Des documents sont également confisqués. Témoin, la mère de Rami informe son fils de la perquisition musclée et du fait qu’il est activement recherché. Rami craint le pire et décide de fuir vers la capitale jordanienne, Amman. « J’y suivais parallèlement des études en finance et y avais un appartement à ma disposition », explique-t-il.
Il hèle un taxi et parcourt les 400 km séparant Damas d’Amman. Le taxi lui coûtera 10 euros. Rami précise qu’un passeport syrien permet de passer sans problème la frontière, car aucun visa n’est nécessaire. Il reste alors durant sept mois à Amman et contacte sa mère, afin qu’elle le rejoigne en Jordanie. Mais celle-ci prend la direction de l’Égypte, où la famille Alattar peut s’appuyer sur l’aide d’une tante : le rendez-vous est fixé dans la capitale égyptienne. Rami arrive au Caire, début 2013, mais il ne le sait pas encore : il ne reverra jamais sa mère.
Sa mère est embarquée, il ne la reverra plus
Pour rejoindre la terre des pharaons, il embarque sur un ferry à partir de la ville côtière jordanienne d’Aqaba et traverse la mer Rouge en direction de Nuweiba, qui se trouve sur la côte égyptienne. Le trajet lui coûte de nouveau 10 euros. Une liaison en bateau qui était, autrefois, autorisée pour un ressortissant syrien. « Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui », précise Rami.
Soit, il arrive au Caire et loue un appartement, avant de relancer son site internet, car la police syrienne n’était pas parvenue à identifier Rami comme étant le gestionnaire du site et le serveur n’a pas été censuré par al-Assad.
Mais Rami apprend alors, par le biais d’un voisin syrien, la dramatique nouvelle concernant sa mère : elle vient d’être arrêtée par la police d’al-Assad. Cette date, à savoir le 7 mars 2013, restera à jamais gravée dans sa mémoire. Car Rami n’a, depuis, plus aucune nouvelle d’elle.
« Un voisin m’a informé qu’une dizaine de policiers était arrivée au domicile familial du centre de Damas, avant que ma mère et sept membres de ma famille ne soient embarqués », confie-t-il, dépité.
Il paie un passeur 1 200 dollars
Face à cette situation, Rami décide de se rendre au Liban, où il relance son site internet (lire notre encadré en fin d’article), puis, un an plus tard, en Turquie. Craignant le pire, il fuit vers Istanbul, puis vers Izmir. Il décide alors de franchir le cap et de traverser la mer Égée en direction de la Grèce et donc de l’Union européenne et de l’espace Schengen.
Il effectue la traversée, de nuit, sur un canot pneumatique. « J’ai rejoint Mytilène sur l’île grecque de Lesbos dans un petit bateau pneumatique, le 26 août dernier, après avoir réglé la somme de 1 200 dollars à un passeur rencontré dans un café. Nous étions 32 personnes à bord du canot », relate Rami.
La traversée, qui a duré une heure, s’est faite sans problème, car « la mer était clémente, sans vagues ». « Je n’ai pas eu peur », confie-t-il.
Grèce-Macédoine-Serbie-Hongrie-Autriche-Allemagne-Luxembourg
Arrivé en terre grecque, Rami remet son passeport à la police hellène et reçoit, en retour, un document lui ordonnant de quitter le territoire grec dans les 24 heures. Il embarque alors sur un ferry à destination d’Athènes.
Une fois au Pirée, Rami prend place dans un bus à destination de l’ARYM (Ancienne République yougoslave de Macédoine). « À la frontière gréco-macédonienne, on m’a laissé passer comme dans du beurre », précise-t-il. Dans le bus, il y a environ 30 % de Syriens, selon lui. La voie est libre et il poursuit donc sa route en car vers la Serbie et atteint sa capitale, Belgrade, sans être contrôlé.
Il y passe deux nuits chez l’habitant et obtient le numéro de téléphone d’un passeur qui lui propose de l’emmener à la frontière hongroise en voiture. La proposition inclut l’accompagnement d’un guide, afin qu’il puisse franchir la frontière hongroise et le rideau érigé par le président magyar, Viktor Orban, à pied, dans les bois.
Le passage du mur d’Orban à 1 300 euros
Devant la frontière, il est pris en charge par « un gitan », à qui il remet 1 300 euros. Ce guide le dirige dans la forêt hongroise, lui, et une vingtaine d’autres prétendants à l’eldorado européen. Mais la police d’Orban est dans les parages. Le groupe passe 12 heures et une bonne partie de la nuit dans la forêt. « C’était effrayant! », se rappelle Rami, qui parvient enfin à passer en Hongrie. La voiture d’un passeur l’attend et le conduit au premier village autrichien, juste après la frontière austro-hongroise. Soit à une trentaine de kilomètres de la capitale, Vienne.
Rami est déposé par son passeur et erre dans la rue, lorsqu’il se fait arrêter par la police autrichienne qui l’emmène à la Croix-Rouge locale. Un petit-déjeuner lui est offert.
La police, elle, lui fait deux propositions : « Si vous voulez rester, vous êtes le bienvenu. Mais si vous voulez continuer votre route, alors on vous remet un document qui va dans ce sens. » Rami veut continuer sa route. Il est conduit vers la gare de Vienne. Il achète un billet de train pour Luxembourg, au prix de 145 euros. Et après une correspondance en gare de Coblence (Allemagne), le voilà qui foule le pavé d’un quai de la gare de Luxembourg, épuisé. Nous sommes le 8 septembre 2015 et il est 10 h 30 précises. Rami n’a subi aucun contrôle dans le train. « J’ai dormi dans le train et il y avait d’autres Syriens autour de moi, mais pas seulement », se souvient-il.
Son rêve? Un job de consultant au pays
Mais pourquoi donc a-t-il choisi le Grand-Duché? « Parce je connaissais le Luxembourg en tant que place financière vu que j’ai étudié dans ce secteur », justifie le Syrien. Une fois sur le parvis de la gare de la capitale, Rami consulte internet et trouve l’adresse du service des réfugiés de la direction de l’Immigration, car il ne connaît personne au Luxembourg. Il prend le bus n° 22 et ouvre la porte de l’administration. La suite? Il remet son passeport et pose sa demande d’asile…
Rami sera donc reçu pour la seconde fois au ministère, ce matin, en attendant un dénouement heureux à son périple qui aura duré trois ans. Il souhaite de tout cœur que les autorités le reconnaissent comme réfugié de guerre. En attendant, il tente toujours de savoir ce qu’est devenue sa mère dont il n’a plus de nouvelles. Cela dit, le fait d’avoir déjà rencontré d’autres Syriens, au Luxembourg, le rend « moins dépressif ».
Son objectif, à terme? S’intégrer dans la société luxembourgeoise et trouver un job dans une société de consultance. « Mon rêve! », souligne-t-il. Mais il n’oublie pas non plus sa fiancée Rasha, qui est restée à Damas et qu’il espère réussir à faire venir au Luxembourg.
Comment Rami voit le futur de la Syrie? « Mon vœu n’est pas de voir al-Assad assassiné. Je défends une solution diplomatique », se positionne-t-il, avant d’appeler à ce que « tous les prisonniers des geôles syriennes soient libérés ». Puis Rami de conclure qu’« il a fallu que les médias publient la photo du petit Aylan pour que les consciences s’éveillent, alors que des enfants crèvent depuis quatre ans! » Mais cela est un autre débat. Rami, lui, se concentre désormais sur son grand oral de ce matin, au ministère.
Claude Damiani
Les menaces de mort d’al-Assad
Après l’arrestation de sa mère, Rami se rend au Liban, puis en Turquie, où il est victime d’intimidations.
Rami reste huit mois au Caire et tente d’obtenir des informations par tous les moyens de la part de ses amis restés à Damas. En vain. Il quitte alors l’Égypte en avion, au mois de novembre 2013, pour Beyrouth, capitale du Liban. Et continue son combat en prêchant sa parole anti-al-Assad, via son site web. Il crée également une application dénommée «syria-stocks» sur les fonds publics syriens. Son site est entretemps devenu « notoirement connu dans toute la Syrie, car il fournissait de réelles informations sur la chute de la monnaie syrienne », selon Rami. Mais il sera rapidement censuré par le régime syrien.
Rami reste alors durant un an au Liban, avant de prendre la direction de la Turquie, en avion. Il débarque à Adana, dans le sud-est du pays. Il ouvre alors un bureau de gestion d’opérations de changes à partir de la Turquie, mais actif en Syrie.
Accusé de la chute de la monnaie syrienne
Rami passe alors huit mois entre Adana et une autre ville turque du sud-est, Gaziantep. Mais la réputation de Rami est telle que des journalistes du journal Al Watan et de Sham Times , inféodés au régime syrien, lancent une campagne de discrimination et de menaces de mort contre sa personne. « J’étais tétanisé », relate Rami qui apprend, sur la toile, que sa tête est mise à prix (capture d’écran ci-contre) . « On m’a décrit comme étant le Satan de l’économie syrienne, mais aussi comme quelqu’un entretenant d’étroites relations avec Recep Tayyip Erdogan, le président turc. Sans parler du fait qu’on m’a accusé d’être lié aux services secrets israéliens du Mossad », raconte-t-il.
Le summum de cette campagne est atteint lorsqu’il est personnellement accusé de la chute de la monnaie syrienne, par le directeur de la Banque centrale syrienne (BCS), en direct à la télévision nationale, au mois de mars 2015.
C. D.