Dan Kersch quitte le gouvernement pour ménager sa santé. Il siègera désormais à la Chambre des députés, où il compte remplir pleinement son rôle. Il part avec le sentiment du devoir accompli.
Le vice-Premier ministre, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire et ministre des Sports tire sa révérence. Dan Kersch lève le pied pour raisons médicales, mais ne compte pas tout arrêter.
Il dit pouvoir encore être utile pour son pays et son parti, le LSAP. Il est attendu de pied ferme à la tribune de la Chambre des députés.
Vous avez annoncé votre démission du gouvernement comme deux autres ministres. Y avait-il urgence?
Dan Kersch : Parfois on ne peut plus faire ce qu’on veut et mon état de santé m’a poussé à prendre cette décision. On ne joue pas avec la santé. Ma succession s’est bien déroulée, dans la sérénité. Il n’y a pas eu de grandes discussions au sein du parti, tout le monde s’entend sur la qualité des successeurs. Ce ne sont pas des néophytes, mais des gens expérimentés dans la politique et c’est ce dont le pays a besoin.
Pourquoi ne pas avoir saisi l’occasion pour propulser des jeunes?
Il y a deux aspects dans cette discussion. D’abord, il y a des gens au gouvernement qui ont annoncé ne plus être à 100 % de leurs capacités et qui prennent du recul. Ensuite, nous avons eu des élections et il faut respecter l’électeur. Donc, on demande au suivant sur la liste s’il accepte le mandat. Il ne faut pas brûler les étapes.
Le fait d’être jeune ne qualifie pas une personne pour faire de la politique. Ce n’est pas un critère unique. Nous avons démontré par le passé que nous avons toujours placé des gens de qualité dans tous les mandats. C’est une question de formation et d’expérience et cela fonctionne très bien dans notre parti. Je ne vois pas pourquoi on devrait aujourd’hui s’excuser parce qu’on respecte la volonté de l’électeur.
Au poste de vice-Première ministre, on retrouve Paulette Lenert, qui n’a pas été élue et qui a un parcours fort différent du vôtre…
Elle est tout à fait exceptionnelle et c’est la raison pour laquelle elle a rejoint le gouvernement sans avoir participé aux élections. C’est un cas à part, il y en a en politique. C’est l’exception qui confirme la règle, celle d’avoir un parcours politique derrière soi avant d’accéder à des mandats d’envergure nationale. J’ai commencé à 12 ans, je suis né dans le syndicalisme. On ne peut pas comparer les parcours, car chaque politicien a le sien. C’est bien d’ailleurs.
Quand vous avez quitté le Parti communiste, vous avez déclaré que jamais vous ne vous laisseriez dicter votre pensée. Le cap n’était pas trop difficile à tenir dans une coalition à trois qui demande beaucoup de compromis?
Oui, c’est vrai, j’ai dit cela et cela restera valable jusqu’à la fin de ma vie (il rit). Et non, cela n’a pas gêné dans la coalition. J’ai toujours dit clairement et distinctement les choses auxquelles je tenais en sachant que tout ne pourrait pas être réalisé. Nous avons eu des discussions politiques entre partenaires où nous n’étions pas sur la même longueur d’onde, c’est certain.
Qu’est-ce que la realpolitik pour vous?
C’est un terme péjoratif pour moi. C’est un pléonasme, surtout. La politique est forcément réelle, sinon elle n’est pas acceptée par la population. Pour moi, la politique, c’est d’abord avoir une certaine conviction et ensuite tout faire pour la réaliser en sachant qu’il faudra passer par des compromis, et ça, c’est du pragmatisme, le terme que j’ai toujours utilisé.
Il est valable en politique au sein d’une coalition, mais aussi en tant que représentant du gouvernement face aux syndicats, aux patrons. Tout ce que j’ai réalisé, je l’ai fait avec pragmatisme, connaissant les sensibilités des gens qui pensent différemment. Le compromis doit être acceptable pour tout le monde.
Vous allez rejoindre la Chambre des députés et contrôler le gouvernement. Cela vous réjouit-il?
D’abord, je n’ai jamais vécu une séance en tant que député. J’ai été élu deux fois à des élections législatives et je pourrai enfin remplir ce mandat et c’est surtout cela qui me réjouit. Comme je l’ai dit précédemment, il faut savoir ce qu’on peut encore faire ou non. Je crois que je pourrai encore être utile au pays et à mon parti. En accord avec ma famille et mes médecins, j’ai accepté de continuer.
Vous ne serez pas pour autant sur le devant de la scène…
Non, je ne serai pas sur le devant de la scène, c’est vrai. Nous avons désigné Yves Cruchten comme président et je vais tout simplement essayer de remplir mon mandat comme le veut la Constitution, donc prendre des décisions en mon âme et conscience. Les députés de l’opposition racontent ce qu’ils veulent et personne ne contrôle leurs propos. Si je le juge utile, je vais les contredire, et assez offensivement comme on me connaît.
Vous aurez une parole libérée?
Oui, j’aurai une certaine liberté dont je ne dispose pas actuellement. Je ne regrette rien, j’ai beaucoup appris au gouvernement, y compris à dire les choses différemment.
Vous quittez le gouvernement avec le sentiment du devoir accompli. Celui d’avoir su gérer cette crise surtout?
Nous avons des bases solides, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de danger. Nous n’avons pas encore vaincu cette pandémie. Nous avons pu gérer les premières vagues et retrouver un niveau de chômage d’avant-crise, toutefois attention aux défis qui nous attendent. Nous sommes néanmoins bien préparés.
Nous avons commencé un débat structuré au sein du CPTE (NDLR : Comité permanent du travail et de l’emploi) concernant la formation initiale et continue, où je crois que tout le monde a conscience que les efforts dans cette direction doivent être soutenus. La formation continue, c’est la clé pour éviter une augmentation substantielle du chômage et donc des problèmes sociaux. Pour le reste, le chômage partiel est toujours en place.
Nous n’avons jamais arrêté de soutenir l’économie luxembourgeoise et nous étions bien inspirés de le faire, contrairement à d’autres pays qui ont limité leurs aides. Il faudra continuer, mais le vaccin va changer la situation par rapport à 2020 et 2021. Tous les efforts que l’on fournit au niveau législatif, c’est pour éviter un nouveau confinement qui serait dommageable. Les règles actuelles sont sévères, vont poser problème à certaines personnes, mais nous n’avons pas d’autres solutions.
Vous resterez l’homme de la séparation de l’Église et de l’État. Comment le ressentez-vous?
Il faut avoir une certaine sensibilité, comprendre les opinions des autres et leurs convictions et si ce principe est respecté, on peut trouver des solutions ensemble, vivables pour tout le monde. En tant qu’athéiste, c’était pour moi une expérience très intéressante. C’est une discussion politique qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a mené à une décision fortement combattue par certaines forces de l’Église catholique.
Mais à aucun moment du dossier, l’une ou l’autre partie n’a essayé de mettre son interlocuteur dans l’embarras et c’était essentiel. Dans certaines phases du dossier, l’Église catholique aurait pu facilement me mettre politiquement dans l’embarras et l’inverse était vrai aussi. Le dialogue a bien fonctionné.
Le ministère s’est beaucoup concentré ces derniers temps sur les conséquences de la pandémie, mais de grands dossiers sont encore à mener à bien
Quels conseils donnez-vous à votre successeur, Georges Engel, et quels sont les dossiers qui l’attendent en haut de la pile?
Cela fait huit ans qu’il préside la commission parlementaire du Travail et de l’Emploi, il a donc une grande expérience des dossiers. Je n’ai pas de conseils à lui donner, sauf s’il m’en demande. Je suis persuadé qu’il est un successeur à la hauteur des défis qui l’attendent, un ami politique et un collègue que je respecte beaucoup. Il y a des dossiers difficiles à prendre en main, dont la formation continue inscrite dans le programme gouvernemental qui prévoit un compte personnel de formation.
C’est un dossier compliqué qui va demander un gros investissement financier, mais qui est primordial pour combattre le chômage. Il y a aussi une réforme sur le maintien dans l’emploi, une réforme sur le chômage partiel qui doit arriver rapidement pour gommer les insécurités juridiques du texte actuel. C’est un instrument qui a toujours profité à une vingtaine d’entreprises en temps normaux alors que maintenant ce nombre a explosé et il faut moderniser la loi.
Une réforme des plans sociaux l’attend aussi et, enfin, c’est un vœu personnel, il faut repenser tout le système des conventions collectives. Georges Engel a du pain sur la planche. Le ministère s’est beaucoup concentré ces derniers temps sur les conséquences de la pandémie, mais de grands dossiers sont encore à mener à bien, il le sait d’ailleurs.
Un mot sur les frontaliers, qui participent grandement au succès économique du pays et qui ces dernières années se sentent discriminés. Il y a d’abord eu les bourses d’études, puis les allocations refusées aux enfants non biologiques…
Sans les frontaliers, tout le système luxembourgeois ne pourrait pas fonctionner, mais il faut nuancer. Il y a des problèmes particuliers pour les frontaliers et d’autres problèmes pour les résidents et je ne citerais que le coût du logement. Il y a des avantages et des désavantages de part et d’autre. On ne peut pas tout avoir, cependant on ne peut pas parler de discrimination.
Le marché très actif de l’emploi assure le modèle social luxembourgeois. Pour combien de temps encore, pensez-vous?
Il ne faut pas mélanger les choses. Le Luxembourg est un pôle économique important et stratégique de la Grande Région et c’est un bon modèle. Ensuite, il faut trouver des solutions pour garantir le niveau actuel des transferts sociaux et là il faudra de nouvelles sources de financement que celles qui sont aujourd’hui en place. Dans ce domaine, je suis persuadé que l’on va connaître des changements qui iront très loin. Je le dis depuis une vingtaine d’années : il faut faire payer plus ceux qui en ont les moyens et imposer davantage le capital que le travail.
Geneviève Montaigu
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