Marc Fischbach, ancien ministre CSV et actuel président de la Copas, revient sur la tragique multiplication des décès dans les structures pour personnes âgées. S’il ne cache pas des divergences de vues avec le gouvernement, il refuse d’accabler Corinne Cahen, la ministre de tutelle du secteur.
Fort de son vécu de ministre, mais aussi de premier médiateur au Luxembourg, Marc Fischbach reste très serein au moment d’évoquer le tragique bilan des décès que les infections au coronavirus ont provoqués dans les maisons de soins et de repos du pays. Le président de la Copas, confédération qui représente la quasi-totalité du secteur des structures pour personnes âgées, ne cache pas des divergences de vues avec le gouvernement. Il refuse toutefois d’accabler Corinne Cahen, la ministre de tutelle du secteur.
La récente multiplication des décès liés au coronavirus a fortement secoué le secteur des structures pour personnes âgées. À quoi ressemble actuellement la situation sur le terrain?
Marc Fischbach : Il nous faut être préoccupés en permanence par ce qui se passe dans le secteur. Nous avons déjà dû faire face à des pics de décès, notamment pendant la deuxième vague d’infections en fin d’année dernière. Le plus récent pic a été plus largement thématisé. Aujourd’hui, les clusters sont heureusement sur le déclin, grâce aussi à la vaccination des résidents, qui est désormais achevée dans toutes les maisons de soins et de repos. La situation est donc sur le point de se normaliser.
Jeudi, à la Chambre des députés, il a pourtant été question d’un nouveau foyer dans une structure à Luxembourg. Pouvez-vous en dire davantage?
On a été obligé de constater que la vaccination n’empêche pas encore de nouveaux clusters. Une vingtaine de résidents de la Fondation Pescatore, pleinement vaccinés depuis plus de deux semaines, ont été testés positifs au virus. La très grande majorité est toutefois restée asymptomatique, sans tomber malade.
Disposez-vous entretemps de plus amples informations sur le taux d’adhésion du personnel à la vaccination? Le dernier chiffre avancé faisait état de 51 % à peine.
Nous remettons ce chiffre en doute. Un quota détaillé par structure fait défaut, ce que nous déplorons fortement. Il nous a également été signalé qu’une frange du personnel n’a pas reçu d’invitation à se faire vacciner. Si nous étions en possession d’informations plus détaillées, la Copas pourrait cibler davantage sa campagne de sensibilisation, accompagnée par des médecins et des virologues.
Ces dernières semaines, les appels pour obliger le personnel de soins à se faire vacciner se multiplient. Quelle est la position de la Copas à ce sujet?
Nous n’avons pas établi de position par rapport à une telle obligation. Il s’agit d’un sujet très sensible. D’un point de vue éthique, il faut évaluer quelles pourraient être les conséquences d’une telle décision. Je peux soutenir la position de la Commission nationale d’éthique qui appelle les décideurs à ne pas perdre de vue les répercussions qu’une telle obligation risque d’avoir au niveau du droit du travail. Avec la meilleure volonté du monde, vous ne pouvez pas licencier quelqu’un qui refuse la vaccination, un acte qui constitue une atteinte au droit à l’intégrité physique. Il s’agit d’une des questions à trancher avant de songer à décréter une obligation.
La Chambre a invité jeudi, dans un contexte délétère, le gouvernement à commander une étude indépendante et externe pour faire toute la lumière sur les foyers d’infection qui se sont déclarés dans les structures pour personnes âgées. La Copas a déjà attiré l’attention sur le fait qu’une telle enquête est difficile à réaliser. Ne s’agit-il pas d’une position pour se dédouaner de sa responsabilité?
Non. La Copas veut faire preuve d’une transparence intégrale. Il ne nous revient pas de commenter cette revendication politique émanant des rangs du CSV. Il est toutefois à rappeler que les directions des structures étaient en contact permanent avec le ministère de la Santé dès qu’un foyer d’infections se déclarait. Des hygiénistes et virologues ont été dépêchés sur les lieux. Le directeur de la Santé (NDLR : Dr Jean-Claude Schmit) affirme qu’il est très difficile de retracer l’origine du foyer dans une structure pour personnes âgées. Le passage dans les maisons de nombreux intervenants externes est une cause. Mais il ne faut pas non plus oublier que dans les structures résident des personnes qui en raison de leur état de santé – je citerais ceux atteints de démence – ne sont pas en mesure de vous nommer leurs récents contacts étroits.
L’implication des ministères de la Santé et de la Famille dans cette enquête externe a été fortement fustigée par le camp de l’opposition, jeudi. Une position compréhensible à vos yeux?
Qui voulez-vous qui réalise cette enquête? Cela ne peut être que des gens qui connaissent la matière. Il s’agit d’experts de la Santé et de spécialistes qui doivent avoir une certaine connaissance du secteur. Vous ne pouvez pas charger un cabinet d’audit des Big Four de mener ce genre d’enquête.
Vous venez de mentionner l’important va-et-vient dans les structures. Dans ce contexte, la Copas a condamné le choix de ne pas vacciner en priorité le personnel sous-traitant, dont les agents de nettoyage. Avez-vous entretemps obtenu un retour du ministère de la Santé?
Nous avons adressé une lettre au ministère pour réitérer notre revendication. Rien n’a bougé jusqu’à présent. On se focalise toujours sur le statut et non pas la fonction du personnel intervenant dans les structures. Il est toutefois un fait que beaucoup de personnels sous-traitants, que ce soit pour le nettoyage ou la restauration, travaillent dans une maison de soins et de repos. S’y ajoutent d’autres personnes comme les kinésithérapeutes, podologues ou pédicures qui se trouvent en contact permanent avec les résidents. Eux non plus n’ont pas été ciblés pour pouvoir se faire vacciner en priorité.
La stratégie du cordon sanitaire a-t-elle été défaillante?
Nous avons compris qu’au tout début la pénurie de vaccin a nécessité de faire des choix. Mais au moment où on est entré dans les phases 2 et 3 de la vaccination, on aurait pu offrir une priorité à ceux qui fréquentent les structures et qui n’ont pas été considérés lors de la mise en place du cordon sanitaire initial.
Une autre faille identifiée par la Copas est l’absence de priorité accordée aux résidents de logements encadrés pour la vaccination.
Les résidents des logements encadrés sont également vulnérables, malades et dépendants. Nous avons plaidé pour qu’ils puissent aussi être vaccinés en priorité. Après avoir reçu une première fin de non-recevoir, la situation a été réévaluée et aujourd’hui la vaccination des résidents par les équipes mobiles est lancée.
La logistique mise en place pour permettre aux équipes mobiles de vacciner les résidents de la structure Um Lauterbann, touchée par 22 décès depuis la mi-février, a été remise en question dans un récent article de nos confrères de reporter.lu. Quelles ont été les consignes données par les autorités sanitaires pour la vaccination à l’intérieur des maisons?
Les équipes mobiles dépendent de la Santé. Notre coopération a été et reste constructive. En amont de leur déploiement, les lieux ont été inspectés. La distanciation est le facteur clé. De grandes salles ont donc été choisies pour procéder à la vaccination. Si certains estiment maintenant qu’il aurait été préférable de vacciner les résidents dans leurs chambres, la circulation plus élevée à l’intérieur de la maison aurait aussi pu constituer un risque. Il est très compliqué de se positionner par rapport à ces critiques.
L’accumulation de critiques contre la gestion de la crise sanitaire dans les structures a-t-elle pu affecter les directions et le personnel encadrant?
La Copas réceptionne surtout des échos émanant des familles de résidents. Je ne peux donc pas vous en dire davantage sur le ressentiment du personnel. J’ai toutefois entendu que dans l’une ou l’autre structure la direction a été amenée à réconforter les salariés. Si quelqu’un doit être visé, cela doit toujours être le responsable de la structure. Personne ne peut lui enlever la responsabilité. Ni un acteur extérieur ni un ministre ne peuvent être tenus responsables de ce qui se passe dans une structure. Si problème il y a, cela doit être réglé en interne.
Jeudi, la responsabilité politique de la ministre de la Famille, Corinne Cahen, a toutefois été clairement engagée par l’opposition parlementaire, notamment en raison de l’absence d’un cadre sanitaire strict imposé aux structures. Ces virulentes critiques sont-elles partagées par la Copas?
Dès le départ, nous étions demandeurs de recommandations claires et qui pouvaient être adaptées en fonction des caractéristiques des structures. Les profils des structures peuvent fortement se différencier. Dans une maison pour personnes atteintes de démence, vous ne pouvez enfermer les résidents ni les retenir lorsqu’ils souhaitent se balader dans les couloirs. Ces mêmes résidents enlèvent aussi leurs masques. Il existe aussi des contraintes architecturales et structurelles. Un concept qui tient la route dans une structure moderne ne peut pas être recopié dans une structure plus ancienne. Des décisions ponctuelles doivent pouvoir être prises, le tout en respectant au mieux les gestes barrières décrétés par le ministère de la Santé.
Des voix s’élèvent aussi pour isoler et donc protéger davantage les résidents des structures pour personnes âgées.
Un confinement strict avec une fermeture intégrale de la structure semble simple à décréter. Or les premiers qui réclament aujourd’hui des règles plus contraignantes ont été les mêmes qui, au printemps dernier, ont fustigé le fait que les personnes âgées étaient enfermées dans leur structure. Je connais des politiciens qui tiennent aujourd’hui un tout autre discours que par le passé. Je ne vois pas à quoi pourrait ressembler un cadre plus strict, ancré légalement. La Copas a toujours été demandeuse de disposer d’une certaine marge de manœuvre et émettre ses propres recommandations. L’exemple le plus récent est la procédure à suivre pour une ouverture contrôlée des maisons au moment où la vaccination des résidents est achevée. Les résidents peuvent désormais sortir de la structure sans devoir respecter une quarantaine à leur retour. Les visites en chambre seront aussi à nouveau autorisées, mais à condition de respecter la distanciation et le port du masque.
L’arrivée des tests rapides et autotests peut-elle soulager davantage le secteur?
Nous l’espérons. Depuis jeudi, la distribution d’autotests est lancée. Ils sont destinés aussi bien au personnel qu’aux membres de famille qui veulent rendre visite à un résident.
Le manque de matériel de protection fourni par le gouvernement est un autre point de critique majeur, émanant tant de l’OGBL que du camp politique. Avez-vous été confrontés à une pénurie?
Non, à aucun moment une pénurie de matériel n’a été constatée. Il y a un mois, nous avons même encore pu bénéficier d’équipements issus du stock national qui risquaient de périmer. Des centaines de milliers de masques restent disponibles. Si besoin, on est livrés à tout moment. Dans aucune, je répète, dans aucune structure, on n’a eu affaire à une pénurie de matériel. Il s’agit d’une affirmation gratuite. Je constate d’ailleurs que l’OGBL n’est plus revenu à la charge.
L’énumération des défaillances ponctuelles suffit-elle à demander la démission de la ministre de la Famille?
Il est sûr qu’un ministère de la Famille ne peut être paré au même titre que la Santé pour affronter une telle pandémie. Nous avons eu des doléances adressées à la Famille qui ont pu donner lieu à des interprétations divergentes. Or la coopération a toujours été très constructive. Nous connaissons bien la problématique et savons à quel point il est difficile de prendre des décisions rapides, qui en plus doivent pouvoir être appréhendées par tout le monde. On est donc les derniers à pouvoir accuser quelqu’un.
Un an après le début de la pandémie, quels sont les premiers enseignements que le secteur peut déjà tirer?
Les connaissances sur le virus évoluent en permanence et il faut s’adapter rapidement. Notre implication dès le départ dans la cellule de crise a permis au ministère de la Santé de mieux connaître le secteur des soins. Cela nous donne satisfaction, car avant cette pandémie, seuls les hôpitaux et les médecins comptaient. Aujourd’hui, l’apport du domaine extrahospitalier est davantage valorisé. Notre proposition d’une hospitalisation à domicile se trouve sur la table du Gesondheetsdësch.
Un autre enseignement majeur est notre très forte dépendance aux pays voisins pour satisfaire notre besoin en personnel. Nous devons revoir la formation et le recrutement afin de gagner en autonomie. Un travail de sensibilisation concret et durable doit être mis en place pour donner aux jeunes le goût des métiers de soins de santé.
Entretien avec David Marques