Ils ont fait montre d’une grande solidarité, ces enfants et ces jeunes pendant la pandémie. Pour l’ombudsman Charel Schmit, c’est à la société tout entière aujourd’hui de les protéger et surtout de les écouter.
Le déclenchement de la pandémie a causé un tel bouleversement dans le quotidien des jeunes et des enfants qu’il était difficile pour l’OKaJu de ne pas consacrer une grande partie de son rapport aux conséquences des décisions politiques sur cette population en devenir. Pour Charel Schmit, Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher, ce virus a eu «des effets particulièrement intrusifs et incisifs sur le bien-être et les droits de l’enfant».
Le médiateur est en mesure de recenser à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant (CRDE) qui sert de cadre et de principe directeur, l’impact de la pandémie sur le bien-être des enfants et des jeunes.
Contacté par des parents, des professionnels du secteur scolaire et social, mais aussi par des enfants et des jeunes, l’OKaJu a pu compiler toutes ces informations, les trier et les analyser pour rédiger son rapport 2021. Le pavé de 260 pages ne prétend pas pour autant être complet, les données sur la situation des enfants et des jeunes au Luxembourg étant souvent «confuses, disparates, incomplètes», quand elles ne sont pas «inexistantes», comme le relèvent les auteurs du rapport. Ce n’est pas la première fois que l’institution recommande de mettre en place un mécanisme national de collecte des données sur la situation et les conditions de vie des enfants et des adolescents au Luxembourg.
Ce déficit de moyens n’a pas empêché l’OKaJu de présenter une analyse des différents domaines de vie en termes d’impact de la crise et des mesures sanitaires sur les droits de l’enfant et de formuler des recommandations.
Dans le domaine de l’éducation, la scolarisation à distance pendant 10 semaines au total en 2020 a montré ses limites surtout pour les enfants déjà défavorisés. Il faut s’attendre à une augmentation des écarts des résultats entre les élèves, en déduit l’OKaJu. L’ombudsman plaide pour un suivi des conditions d’apprentissage des élèves et la mise en place de mesures de soutien ciblées et de solutions adaptées. Entre avril 2020 et octobre 2021, 40 000 élèves ont été placés en quarantaine stricte et autant en quarantaine moins stricte.
En plus des inégalités que les mesures sanitaires ont creusées, s’ajoutent des discriminations que Charel Schmit juge «inacceptables et injustifiables». Il fait référence aux enfants placés en institution qui ont dû respecter des conditions plus strictes ou plus mauvaises que celles applicables en famille ou dans les écoles. Ou ceux vivant en foyer ou en garde alternée qui ont été privés de leur droit de voir leurs parents, sinon virtuellement, lors des premières semaines de la pandémie.
Santé mentale
On ne répétera jamais assez combien les jeunes générations ont fait montre de solidarité envers les plus vulnérables et les personnes âgées, mais l’OKaJu n’oublie pas que les enfants aussi ont été malades et qu’aujourd’hui, ce sont eux qu’il faut protéger. Au 19 septembre 2021, plus de 14 000 enfants avaient contracté le covid au Luxembourg, et depuis janvier 2021, leur proportion parmi les personnes infectées augmente, environ un tiers, selon les chiffres livrés par l’institution.
Pour Charel Schmit, il ne faut pas banaliser les effets de la maladie sur le bien-être des enfants et des jeunes, et aujourd’hui, ce sont eux les plus exposés, les enfants de moins de 12 ans n’ayant pas la possibilité de se faire vacciner. «C’est maintenant à chacun d’entre nous de prendre ses responsabilités et de les protéger au maximum», déclare l’ombudsman pour les droits des enfants et des jeunes.
Et que dire des conséquences de la crise et des mesures sanitaires sur leur santé mentale : diminution de la satisfaction de vie, bien-être émotionnel significativement plus faible pour certains groupes (enfants issus de milieux défavorisés et filles), dégradation des problèmes de santé préexistants, augmentation des crises d’angoisse, dépressions et autres troubles, etc. «Il y a urgence d’agir, les offres en psychothérapie doivent être développées rapidement avec un accès garanti à travers le pays. Il est incompréhensible que les coûts d’une psychothérapie ne soient pas toujours pris en charge», regrette Charel Schmit.
Pourtant, la pandémie n’a pas que des mauvais aspects, relèvent les auteurs du rapport en pensant aux adultes «qui ont démontré un engagement et une ingéniosité extraordinaires afin d’atténuer les effets les plus graves de la crise du covid sur les enfants».
Ils font aussi référence aux enfants et aux jeunes, en particulier, qui ont fait preuve «d’une remarquable résilience, d’une immense compréhension et d’une grande solidarité avec leur entourage, et ce, malgré les restrictions, dans certains cas considérables». Une attitude qui leur a valu «le respect et la reconnaissance des adultes», estime l’OKaJu.
Geneviève Montaigu
Le bilan en quelques chiffres
Entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021, l’ombudsman et son équipe ont été beaucoup sollicités pour des demandes d’informations ou des consultations par téléphone, enregistrant un total de 1 121 appels. Entre le 4 mai 2021 et le 27 octobre 2021, 597 appels supplémentaires ont été réceptionnés par l’accueil de la Mënscherechtshaus. En ce qui concerne les réclamations individuelles, 102 nouveaux dossiers ont été ouverts lors de cette même période.
Ils n’ont pas été entendus
Selon l’article 12 de la Convention relative aux droits des enfants, ces derniers ont «le droit de donner librement leur avis sur les questions qui les concernent. Les adultes doivent les écouter avec attention et les prendre au sérieux». Or ils n’ont pas été consultés pendant cette pandémie, pas plus que les jeunes. À titre d’exemple, la première invitation de l’UNEL en consultation avec le ministère de l’Éducation nationale a eu lieu six mois après le début de la pandémie, pour discuter des conséquences de la crise du covid sur la santé mentale. L’Union nationale des étudiants luxembourgeois n’a pas davantage été consultée par les décideurs politiques dans le cadre du projet de législation covid et a pris position de sa propre initiative.
L’OKaJu rappelle que l’État a l’obligation de créer des plateformes où les enfants et les jeunes peuvent faire entendre leur voix sur les décisions politiques qui les concernent.
L’ombudsman salue les initiatives telles que le Jugenddësch du 20 mai 2021, mais il est essentiel de développer ou de créer de véritables opportunités de participation où les enfants et les jeunes peuvent réellement participer à la prise de décision.
D’autre part, l’OKaJu recommande une évaluation régulière de l’impact législatif sur le modèle de Jugendcheck.de en Allemagne et une consultation systématique, par exemple, du Jugendrot en tant que plateforme représentative de la jeunesse au Luxembourg.
Celle-ci pourrait aider à mesurer et à rendre compte de l’impact des lois sur les jeunes. L’objectif est de déterminer si une loi est adaptée aux enfants ou aux jeunes et si elle viole les principes de la Convention relative aux droits de l’enfant, à la rendre adaptée aux enfants. «Nous ne pouvons reconstruire le bien-être des enfants et des jeunes qu’en renforçant le respect de leurs droits», martèle Charel Schmit pour qui les jeunes générations «doivent revenir au premier plan de nos préoccupations».
L’OKaJu estime en outre que la meilleure approche pour assurer le suivi des dossiers et pour garantir la mise en œuvre des droits de l’enfant serait de les inscrire dans une véritable stratégie nationale de coordination à l’aide d’un plan d’action national des droits de l’enfant. Ce plan d’action devra inclure la mise en place d’un tableau de bord avec des indicateurs clés sur la situation et le bien-être des enfants et des jeunes.