La ministre de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région, Corinne Cahen, évoque les sujets qui font l’actualité de son ministère. Maisons de retraite, intégration, inclusion et work-life balance.
Quelles sont les nouveautés que comporte le projet de loi que vous venez de déposer sur la qualité des services pour personnes âgées ? La transparence des prix ?
C’est une loi qui concerne tous les secteurs relatifs aux personnes âgées. Il s’agit de redéfinir la qualité, de voir quelles sont les qualifications nécessaires pour le personnel, les formations requises pour être chargé de direction et pas seulement dans une maison de retraite mais aussi pour un réseau de soins ou un centre de jour. Concernant les tarifs, nous voulons avoir un registre pour pouvoir comparer les prix et savoir ce qui est inclus dans ce prix et combien coûtent les services supplémentaires. La qualité de l’encadrement des personnes âgées s’inscrit aussi dans une démarche de protection du consommateur. Nous voulons plus de transparence, mais ce n’est qu’une infime partie du projet de loi qui inclut la téléalarme, les repas sur roues, les centres de jour et les clubs seniors que nous rebaptisons club actif plus.
Nous ne voulons pas de sociétés parallèles
La population des maisons de retraite ne reflète pas la réalité démographique du pays. Est-ce un problème ?
Disons que les défis sont énormes car à l’avenir, il s’agit de voir comment cette diversité pourra se refléter. C’est aussi une question de tradition. Tout le monde n’a pas envie d’aller dans une maison de retraite et c’est pour cela que nous essayons de laisser le libre choix à la personne âgée d’aller en institution ou de rester chez elle et dans ce cas nous mettons un accent particulier à la lutte contre l’isolement social. Rester chez soi peut être une solution mais aussi un isolement. Nous avons 50% de la population d’origine étrangère et dans le temps, beaucoup retournaient dans leur pays au moment de la retraite. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui et nous devons tenir compte des différentes cultures.
Pourquoi avoir supprimé la notion de logement encadré ?
Nous voyons que beaucoup de logements portent un autre nom comme « résidence senior », ou « résidence troisième âge ». Dès que l’on vend un logement encadré, il faut un agrément du ministère de la Famille, mais s’il porte un autre nom, cela ne joue plus. Nous avons constaté que des promoteurs imposaient un réseau. Nous sommes d’avis que dès qu’une résidence ou un appartement est prévu pour des personnes âgées, il faut des critères de qualité en termes d’accessibilité, de téléalarme et surtout laisser le choix du réseau de soins et ne pas faire de contrat d’hébergement.
Après un an de Revis qui a remplacé le revenu minimum garanti (RMG), quel bilan pouvez-vous déjà dresser ?
Je remarque en allant auprès des prestataires comme la Croix-Rouge ou auprès des services sociaux que la loi fonctionne très bien et les retours sont positifs surtout en ce qui concerne trois points importants de la loi. D’abord le deuxième adulte dans un ménage a le droit d’être activé, c’est-à-dire de suivre une formation ou avoir un emploi ce qui n’était pas le cas avant. Ensuite, les enfants des ménages monoparentaux sont davantage pris en considération. Et enfin, en cas de non-respect des règles, il n’y a plus de coupure totale et brutale du Revis comme c’était le cas avec le RMG, mais on retire 20% du revenu et le bénéficiaire est prié de se mettre rapidement en conformité avec la loi. Nous arrivons à mieux encadrer les gens car nous avons donné plus de moyens aux associations, aux ONG qui accompagnent les bénéficiaires dans leur réinsertion.
L’Office national de l’accueil (ONA) a été rattaché au ministère de Jean Asselborn qui s’occupe dorénavant de l’hébergement des demandeurs de protection internationale alors que vous allez vous concentrer sur l’intégration et le vivre ensemble. Quel rôle pour le nouveau département de l’Intégration ?
Le nouveau département de l’Intégration est surtout là pour aider les communes à mettre en place des programmes d’intégration. Nous allons lancer des études parce que nous n’avons plus envie de travailler uniquement sur le perçu, mais sur les faits. Comment faire mieux en ce qui concerne l’intégration de tous les jours et à tous les niveaux ? On vient de parler des maisons de retraite, mais ça peut être les clubs sportifs, etc. Nous ne voulons pas de sociétés parallèles.
Beaucoup de communes sont bien conscientes que leur taux de chômage serait plus élevé sans le Luxembourg
Les communes jouent-elles pleinement leur rôle pour permettre cette intégration ?
Il y a des communes qui en font beaucoup et d’autres moins. Nous sommes là pour les aider parce qu’il y a des petites communes qui ont plus de difficultés à mettre en place des programmes d’intégration et nous pouvons les accompagner. Concrètement, il y a régulièrement des échanges de bonnes pratiques. Nous voulons par ailleurs développer le contrat d’accueil et d’intégration qui comprend des cours d’instruction civique et d’au moins une des langues du pays. L’intégration c’est un travail de tous les jours. Nous avons besoin des acteurs sur le terrain comme l’ASTI ou le CLAE. Dans deux semaines, il y a aura le festival des Migrations et j’invite tout le monde à venir y participer. Il montre aussi le vivre ensemble. La force du Luxembourg est que sa population a des backgrounds différents, mais on regarde dans la même direction.
En tant que ministre à la Grande Région, vous êtes souvent confrontée aux demandes de compensations financières de certains élus français et allemands, cela commence à vous agacer ?
Je pense que c’est un faux discours. Nous constatons que beaucoup de communes sont bien contentes et sont bien conscientes que leur taux de chômage serait plus élevé sans le Luxembourg. Elles peuvent conserver leurs habitants et même s’agrandir grâce aux frontaliers dont le Luxembourg a fortement besoin. D’ailleurs, quand on parle d’intégration, il faut aussi parler du vivre ensemble avec ceux qui viennent travailler au Luxembourg parce qu’ils font partie intégrante de notre pays. Nous améliorons les coopérations transfrontalières à tous les niveaux.
À quoi pensez-vous quand vous parlez d’intégrer davantage les frontaliers ?
Je pense à la diversité dans les entreprises. Celles qui connaissent la diversité ont de meilleurs résultats économiques. La diversité c’est l’appartenance religieuse, sexuelle, frontaliers ou pas frontaliers, etc., c’est un tout. Les gens ont envie de travailler dans un environnement qui favorise le vivre ensemble.
Vous mettez toujours en avant les avantages dont bénéficient les frontaliers comme notamment les chèques-services. Mais combien de frontaliers en profitent-ils ?
Nous avons actuellement 2 500 enfants de frontaliers dans les crèches au Luxembourg qui profitent directement des chèques-services.
Vous venez de présenter le plan d’action national de mise en œuvre de la convention relative aux droits des personnes handicapés…
Nous avons longtemps travaillé sur ce plan parce que nous l’avons établi avec la société civile, les personnes souffrant de handicaps et leurs représentants ainsi que les différents ministères. Chaque ministère est responsable dans ses attributions et le ministère de la Famille est le coordinateur. Par exemple, au ministère de la Santé, on parle d’une meilleure communication dans les services d’urgence, on parle aussi des policiers confrontés à une personne en situation de handicap mental pour être sûr qu’elle comprenne bien ses droits. Lors de la présentation, on a beaucoup parlé de communication. Ce qui est nouveau cette fois-ci c’est que l’on va faire une évaluation externe à mi-parcours et on se fixe des objectifs dans le temps.
Nous parlons de « congé parental plus », de droit au temps partiel…
Quels sont les prochains gros chantiers auxquels vous allez vous atteler ?
Celui qui nous préoccupe en ce moment avec Dan Kersch c’est la transposition de la directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, le work-life balance. Nous parlons de « congé parental plus », de droit au temps partiel, etc. Nous avons aussi des grands projets de housing first et de haltes de nuit pour lutter contre le sans-abrisme et l’intégration qui je le rappelle est un travail de tous les jours.
Avec le congé parental « plus » vous ne craignez pas de vous attirer les foudres du patronat ?
Je parle assez souvent aux patrons et ils me disent qu’ils ont du mal à trouver des gens pour travailler dans leur entreprise, mais on me dit aussi que dans les entretiens d’embauche, les candidats s’intéressent davantage à leur work-life balance et à l’engagement social de l’entreprise. Les entreprises doivent s’en préoccuper pour attirer les meilleurs salariés et pouvoir les garder.
Comment se porte la présidente du DP ?
Très bien.
Que répondez-vous aux critiques, notamment de la part d’Alex Bodry, qui accusent la coalition d’avoir atteint ses limites en termes de projet commun, qu’elle s’essouffle ?
Je n’ai pas du tout cette impression et mon travail au quotidien dans cette coalition me le prouve. Nous avons un projet commun qui est le programme de ce gouvernement, nous avons une très bonne entente.
Les verts râlent aussi, accusant les socialistes et les démocrates de freiner leurs ardeurs…
Une coalition reste une coalition. Ce qui est important pour le DP, c’est par exemple que les gens sachent ce qu’il en est lorsqu’il décide d’acquérir une voiture. On ne peut pas faire de rétroactivité en ce qui concerne des mesures que nous décidons aujourd’hui. Nous sommes à trois dans cette coalition et les groupes de travail fonctionnent bien, dans une bonne ambiance pour le bien de ce pays et de ses citoyens.
Entretien avec Geneviève Montaigu