L’avenir de la démocratie est en jeu, sont venus clamer, jeudi, devant la Chambre les pétitionnaires réclamant la tenue d’un référendum sur la future Constitution. Ils sont toutefois repartis bredouilles.
Les députés se sont vu raconter, jeudi après-midi, l’histoire d’un homme vivant en toute quiétude qui a accepté de «prêter sa voix» aux partis venus lui promettre en 2018 la tenue d’un référendum sur la réforme de la Constitution. «On a promis de lui rendre sa voix pour qu’il se prononce sur la Constitution. Mais, du jour au lendemain, cet homme a non seulement perdu sa voix, mais il reste aussi sans voix. On l’a mis sous tutelle, on est venu le museler.»
Luc Deitz, qui se qualifie lui-même d’homme «apolitique», est celui qui raconte cette histoire. Il a été choisi par Gérard Koneczny, l’auteur de la pétition, pour venir défendre devant la Chambre les arguments des 18 465 citoyens soutenant l’organisation d’un référendum sur la future loi suprême.
«Les partis se moquent du peuple»
L’heure du conte ne s’est pas arrêtée là. Luc Deitz avait décidé d’attaquer de front les élus des quatre grands partis (DP, LSAP, déi gréng, CSV), qui, contrairement à leur engagement antérieur, ont décidé de renoncer au référendum : «Les partis ont décidé de se moquer du peuple qui leur a accordé sa confiance. Ils font ce qui les arrange. Cette attitude est indigne d’un Parlement élu démocratiquement. Il s’agit d’une innommable infamie à l’égard des citoyens.» Le représentant des pétitionnaires ne tarde pas à en remettre une couche : «Si vous voulez qu’un seul citoyen vous fasse encore confiance, il vous faut initier un référendum.»
«J’aurais pu intervenir plus tôt, mais on a remarqué que les pétitionnaires en avaient gros sur le cœur. Je leur ai laissé l’occasion de s’exprimer», confie Nancy Kemp-Arendt (CSV), la présidente de la commission des Pétitions, qui a présidé le débat public de jeudi. «Votre parabole rhétorique a été bien trouvée, même si les messages lancés à des députés démocratiquement élus ont frôlé la limite de l’acceptable», renchérit Mars Di Bartolomeo (LSAP), le président de la commission en charge de la Révision constitutionnelle.
Ces deux réactions sont intervenues après le troisième chapitre de l’histoire racontée par Luc Deitz : «Il n’est pas souhaitable que d’ici 50 ans on retrouve sur la façade de la Chambre une plaquette avec l’inscription « Ici en novembre 2021, la démocratie du Grand-Duché de Luxembourg fut enterrée vive ».» Rien que ça. Dernière salve : «Pourquoi encore payer des impôts pour financer des mensonges? Le peuple souverain se fait duper. On prend les gens pour des idiots.»
La stupéfaction a régné après cette intervention musclée. Puis la confusion s’est installée. La pétition réclamant un référendum fustigeait aussi un manque de communication et d’informations sur le contenu de la nouvelle Constitution. Au fil du débat, les pétitionnaires ont laissé entrevoir que le fond de la future loi suprême n’était pas forcément à contester. «Ma seule et unique demande concerne l’organisation d’un référendum», souligne Luc Deitz.
Malgré tout, les députés des quatre grands partis, incriminés par les pétitionnaires, ont tenu à «enlever des craintes» parmi celles formulées par ceux qui réclament un référendum. Le gouvernement et la Chambre qui décideraient unilatéralement d’abolir la monarchie ou encore la perspective d’un État qui viendrait dicter comment les parents doivent éduquer leurs enfants font partie de ces «craintes» ouvertement propagées par l’ADR, seul parti à être ouvertement opposé à la nouvelle Constitution.
Marc Goergen (Parti pirate) et Nathalie Oberweis (déi Lénk), jamais visés lors du débat, ont toutefois tenu à dénoncer la formulation «manquant de neutralité» de la pétition. Gérard Koneczny a admis s’être «inspiré de la brochure que vous connaissez tous». Cette publication est signée par l’ADR. Un piquet de protestation du Parti réformateur, qui réunissait à peine six militants, était d’ailleurs posté devant la Chambre des députés.
Les issues possibles
Il est à «déplorer», selon Nancy Kemp-Arendt, que les élus présents jeudi n’aient pas expliqué aux pétitionnaires pourquoi il a été décidé de renoncer au référendum. L’élue du CSV oublie toutefois de mentionner que c’est son parti qui est venu briser, en juillet 2019, l’accord sur une révision globale de la Constitution accompagnée par un référendum.
Le compromis trouvé pour sauver la mise (révision ciblée, sans référendum) provoque l’ire des pétitionnaires. Ils sont toutefois repartis bredouilles, jeudi. Une majorité des députés présents ont fini par confirmer la voie parlementaire pour mener à bien la réforme de la loi suprême (lire ci-dessous). Par contre, l’unanimité a prévalu pour lancer une campagne d’information plus étendue afin de mieux informer les citoyens sur les tenants et aboutissants de la future Constitution.
La dernière chance de forcer un référendum est la collecte de 25 000 signatures dans les communes du pays (lire également ci-dessous). «Je doute que ce seuil soit atteint», note Nancy Kemp-Arendt. Avant la clôture de cette procédure, le gouvernement, représenté jeudi par le Premier ministre, «est bloqué au niveau légal» pour décider de la tenue d’un référendum. Rien n’indique toutefois que la majorité gouvernementale emmenée par Xavier Bettel s’engage dans cette voie.
David Marques
Les travaux parlementaires sur la révision de la Constitution se poursuivent. Les députés de la commission compétente sont même sur le point de boucler deux nouveaux chapitres. Le rapport final sur les dispositions ayant trait à l’Organisation de l’État devrait être adopté le 3 décembre. Le 13 décembre, le rapport sur le chapitre portant sur les Droits et Libertés est censé être validé par la commission. Le chemin sera alors ouvert pour un premier vote en séance plénière. Vu l’agenda parlementaire chargé (budget de l’État, loi Covid), ce vote ne devrait pas avoir lieu avant janvier, voire février 2022.
Il restera à achever les travaux sur le fonctionnement de la Chambre des députés et le Conseil d’État. Le premier chapitre consacré à la Justice a été adopté le 20 octobre en première lecture. Une procédure pour obtenir un référendum sur ce volet est engagée (lire par ailleurs). Selon les auteurs du texte, le chapitre régissant l’Organisation de l’État «n’entend pas opérer un changement brutal ou une cassure avec le texte constitutionnel actuel (…)». L’ambition serait de «donner plus de cohérence au texte de la Constitution en regroupant certaines dispositions, en modernisant le texte et en éliminant des formulations qui ne semblent plus en phase avec un État démocratique moderne».
Le chapitre sur les Droits et Libertés regroupe les droits fondamentaux, les libertés publiques et les objectifs à valeur constitutionnelle. Seront notamment inscrits dans la Constitution révisée le droit à l’intégrité physique, le renforcement du droit à fonder une famille et des droits de l’enfant. Les animaux se verront aussi accorder le statut d’être vivant non humain. En outre, le droit au logement, en tant que nouvel objectif à valeur constitutionnelle, rejoint la protection de l’environnement et le droit au travail déjà actuellement ancrés dans la Constitution.
Avec l’abandon, a priori définitif, de l’option de passer par une pétition publique pour forcer un référendum sur la Constitution, il ne reste plus que la voie de la collecte d’un minimum de 25 000 signatures auprès des communes pour obtenir gain de cause. Initiée par un comité de citoyens, cette procédure est engagée depuis le 19 novembre. Elle porte uniquement sur le chapitre Justice de la révision constitutionnelle.
Seuls les électeurs (Luxembourgeois majeurs) ont le droit de signer les listes accessibles dans leurs communes respectives. Tout électeur désirant signer doit le faire en personne lors des plages horaires arrêtées par les communes. Les listes doivent être accessibles au moins six heures par semaine, avec une ouverture obligatoire le samedi.
La date limite pour la collecte de signatures est fixée au 20 décembre. Au plus tard après trois semaines, les résultats de l’initiative citoyenne doivent être communiqués.
Si le seuil de 25 000 signatures est atteint, un référendum, dans ce cas sur le seul chapitre de révision ayant trait à la Justice.