Ce dimanche, les électeurs sont amenés à élire leurs conseillers communaux. Si certaines villes semblent promises à la stabilité, pour d’autres, le suspense reste entier. À un an des élections législatives, ce scrutin représente-t-il un test d’envergure nationale ?
Par Guillaume Chassaing, Hubert Gamelon et Erwan Nonet
Des bastions imprenables ?
Il y a plusieurs communes qui ont la même couleur (politique) depuis des décennies. C’est le cas de la plus grande du pays : Luxembourg. Depuis près d’un demi-siècle, la capitale est aux mains du DP, allié au CSV ou à déi gréng depuis 2005. Privés de Paul Helminger, bourgmestre de la Ville de 1999 à 2011, et de Xavier Bettel, grand vainqueur du scrutin en 2011 et bourgmestre de 2011 à 2013, les Bleus, emmenés par Lydie Polfer, 21 années de bourgmestre à son actif (de 1982 à 1999 et depuis 2013), partent favoris du scrutin de dimanche. Mais beaucoup ne cachent pas leur envie de faire chuter l’indéboulonnable DP. C’est le cas de déi Lénk, qui a lancé, cette semaine, par la voix du conseiller communal Guy Foetz, sa volonté «d’une coalition déi Lénk-déi gréng-LSAP».
Esch-sur-Alzette est une terre rouge. Et pour ce dimanche, le LSAP, dont la tête de liste se nomme Vera Spautz, a les faveurs des pronostics. Mais les Rouges, qui étaient alliés à déi gréng ces six dernières années, sont défiés de toute part par déi Lénk, le DP et le CSV entre autres.
À Dudelange, c’est la même chanson. Le LSAP règne en maître sur la Forge du Sud depuis l’après-guerre. Mieux, les Rouges ont passé les six dernières années avec une majorité absolue des sièges au conseil communal. Le CSV ou encore déi gréng aimeraient bien mettre fin à cette «hégémonie» ce dimanche. À Pétange, Pierre Mellina (CSV), installé dans le siège de bourgmestre depuis 2004, part largement favori du scrutin de ce dimanche. À moins que…
Basculera, basculera pas ?
Certaines communes seront davantage scrutées que d’autres, tant l’issue du scrutin semble indécise. Sans doute que la principale interrogation est Differdange. Roberto Traversini (déi gréng) restera-t-il sur son siège de bourgmestre ? Ce serait un petit exploit car cela signifierait que son parti gagnerait plusieurs sièges au conseil. De nombreux observateurs s’attendent à ce que le DP chute sévèrement après son implosion en 2014. Mais qui récupèrera les places qui – éventuellement… – seront vacantes ? Les socialistes sont également à l’affût, la tête de liste Erny Muller se déclare prêt à porter l’écharpe.
Käerjeng méritera aussi un intérêt particulier. Certes Michel Wolter (CSV, ancien ministre de l’Intérieur) a profité de la manne venue de la fusion de Käerjeng et Clemency (25 millions d’euros) pour mener une politique de grands travaux. Mais la réduction du nombre de conseillers et l’intégration de Clemency brouillent les cartes. Le LSAP d’Yves Cruchten (largement majoritaire au conseil) et le DP de Gary Kneip sont très ambitieux et prêts à s’entendre.
En 2011, à Bettembourg, le LSAP a perdu la majorité absolue en récoltant 42,38% des voix et le CSV, le DP et déi gréng en ont profité pour former une coalition qui leur a permis de prendre les rênes de la commune. Le LSAP, emmené par Roby Biwer, reviendra-t-il aux affaires ?
Déi Gréng, l’heure de la confirmation ?
Les verts avaient opéré une «réelle poussée» aux communales de 2011, plaçant de nombreux élus dans les coalitions phares du pays : Luxembourg, Esch-sur-Alzette, Differdange… Mais entretemps, les idées écologiques ont gagné tous les autres partis. Déi Gréng se retrouvent concurrencés sur leur propre terrain. Sur leur droite, le CSV a poussé le vice jusqu’à mettre des jolis vélos sur certaines affiches de campagne ! Un parti qui a si souvent freiné des quatre fers quand il fallait voter des projets écolos… Sur leur gauche, déi Lénk revendique désormais le vote écologique, alternatif et sans compromis.
Quel score possible pour déi gréng dans ce contexte ? On peut faire cette analyse : les élus qui ont réalisé des projets ambitieux peuvent espérer sortir du lot. On pense ici aux verts en Ville, à qui l’on doit le tram et la passerelle sous le pont Adolphe, pour ne citer que ces deux projets. Les autres, qui n’auront fait «que» proposer des projets écolos plus classiques (rénovation du Déierepark à Esch), vont certainement rencontrer plus de difficultés à se démarquer.
Des «petits» vont-ils percer ?
Les «petits» croient en leurs chances. Le premier d’entre eux se nomme déi Lénk. Que ce soit à Luxembourg ou Esch-sur-Alzette, où elle a deux sièges dans chaque conseil communal, la Gauche se voit bien opérer une percée ce dimanche, et pourquoi pas prendre des responsabilités en s’alliant à d’autres partis.
Dans la capitale encore, les pirates présentent pour la première fois une liste. Et ils comptent bien réussir leur première, comme le clame leur tête de liste dans la capitale, Sven Clement : «On veut entrer au conseil communal pour proposer nos visions et que le débat soit plus large.»
À l’abri du populisme ?
La dernière fois que l’on a voté au Grand-Duché, c’était pour le référendum constitutionnel de 2015. Les électeurs luxembourgeois avaient alors fait comprendre aux résidents étrangers que tout ne pouvait pas se mélanger. Depuis, en Europe et dans le monde, les votes populistes se sont multipliés. Jusqu’au choc d’il y a 15 jours, en Allemagne, où l’extrême droite qui végétait depuis l’après-guerre est devenue une force politique majeure.
Le Luxembourg n’a encore jamais connu de tels épisodes. L’ADR a beau surfer sur cette vague populiste qui préfère l’entre-soi à l’ouverture, son influence, jusqu’ici, reste mineure. Et encore plus dans les communes qu’à la Chambre des députés. Une percée venue de la droite ne semble pas à l’ordre du jour. D’autant que la campagne du parti conservateur et réformiste n’a pas été transcendante, loin de là. Néanmoins, garder le siège de la capitale, obtenu en 2011, semble possible. Le député Roy Reding comptera d’ailleurs davantage sur son nom que sur son implantation et implication.
À Käerjeng, Fernand Kartheiser pourrait signer le retour de l’ADR dans la commune, ce qui n’arrangerait sans doute pas Michel Wolter.
Peut-on taxer le Parti pirate de populiste ? La question se pose. Il est en tout cas difficile de sortir une ligne claire de ses listes de candidats disparates. Les pirates compteront essentiellement sur Sven Clement – sans doute le plus posé d’entre eux – pour briguer le premier mandat de son histoire à Luxembourg.
Et si les gens s’en foutaient ?
C’est malheureux à dire, mais vu du terrain, les communales n’ont pas forcément passionné. Il faut relativiser… on parle ici de propos de comptoir, entendus ici et là à Esch-sur-Alzette, où Le Quotidien a sa rédaction.
Une restauratrice nous glisse : « Moi, la campagne, je n’ai pas vraiment suivi. J’aimais bien Juncker, mais maintenant qu’il est parti… » On ne voit pas le rapport : même si l’ancien Premier ministre revenait, ça ne serait pas pour se présenter à Esch.
Autre écho, de la part d’un livreur eschois : « Les seules fois où ça parle des communales dans les cafés, c’est sur le sujet des parkings. Les gens en ont marre de tout le temps payer, certains vont voter juste pour le candidat qui propose la gratuité entre midi et deux. » Il ajoute, dépité : « Globalement, les gens confondent tout. Ils ne connaissent pas forcément le nom de leur bourgmestre. Ils se disent : les employés de la commune vont voter LSAP, moi je vais voter CSV pour équilibrer. Au fond, c’est bonnet blanc et blanc bonnet… »