En 2014, le conseil communal s’était transformé en zone de conflit. Le DP s’entredéchirait sur la question de la succession de Claude Meisch, allant jusqu’à en perdre la tête. Depuis, la rancune est restée et les libéraux n’ont pas pardonné à Roberto Traversini. Mais la nouvelle coalition a eu le temps de prendre ses marques…
Est-ce que les querelles de personnes pourraient profiter aux autres partis ? C’est bien sur cela que comptent, notamment, les socialistes, qui visent désormais ouvertement l’hôtel de ville.
Depuis la Saint-Sylvestre 2014, Differdange est un terrain politiquement miné. Il n’est sans doute pas inutile de s’offrir un petit retour en arrière. Alors que le DP sort grand vainqueur des élections législatives du 20 octobre 2013, Xavier Bettel – alors bourgmestre de Luxembourg – est chargé de former un nouveau gouvernement avec les socialistes et les verts.
Claude Meisch, pilier des libéraux, est nommé ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse. Differdange doit donc se trouver un nouveau leader et, à ce moment-là, personne ne doute qu’il sortira du DP. Le parti est largement majoritaire et les verts sont des alliés solides.
Mais les libéraux ont prouvé en quelques jours leur habileté à saborder leur propre navire. Le choix du clan Meisch de placer John Hoffmann à la tête de la commune ainsi que Pascal Bürger et Marcel Meisch (père de Claude) à l’échevinat ne passe pas dans les propres rangs des sympathisants et même de certains élus du conseil communal.
Il y a de l’eau dans le gaz et la cocotte finit par exploser lorsque, le 8 janvier, un élu DP (Michel Braquet) retourne sa veste à la surprise générale et vote «non» aux nominations imposées en haut lieu. L’opposition se pince pour y croire, mais toutes les portes s’ouvrent devant elle pour qu’elle déloge le parti tout puissant depuis douze ans, sans avoir pratiquement rien fait.
«Ce qu’un bourgmestre ne devrait pas faire»
Pourquoi remonter ainsi dans le temps ? Parce que, finalement, un hara-kiri ne se soigne pas facilement et que le contexte actuel, à la veille de nouvelles élections, baigne toujours dans cet éther surréaliste. Il est impossible de comprendre la campagne actuelle sans avoir en tête cet incroyable épisode. Car le DP se sent toujours trahi par ses anciens partenaires écologistes et s’est lancé dans une bataille personnelle contre son ex-meilleur ami, Roberto Traversini. Pour preuve, cette page complète du Demokrat Déifferdeng de ce mois intitulée «Ce qu’un bourgmestre ne devrait pas faire!». Dans ce laïus, le parti assène – entre autres – la pique suivante : «Ce bourgmestre ne s’intéresse pas à ses paroles ni à ses actions du passé. Il ne s’intéresse qu’à son intérêt politique personnel, et ceci à très court terme.» Difficile de faire plus frontal.
La rancœur est tenace alors que, factuellement, ce n’est pas Roberto Traversini qui a coulé les ambitions du parti. Lors du fameux vote du 8 janvier, lui et tous les verts avaient voté pour la nomination de John Hoffmann au fauteuil de bourgmestre. La veille du conseil, il avait déclaré au Quotidien : «Je suis un homme de parole. Nous avons signé un accord de coalition avec le DP et tant que nous sommes en position de gérer la commune en suivant la politique que nous avons définie il y a deux ans, rien ne changera.» C’est devant la difficulté du DP de parler d’une seule voix dans ce chaos qu’il décidait finalement de fonder une nouvelle coalition avec les socialistes et les chrétiens-sociaux. Une association qui sera entérinée rapidement, dès le lundi 13 janvier.
Bourgmestre : Roberto Traversini (déi gréng).
Échevins : Erny Muller (premier échevin, LSAP), Tom Ulveling (CSV), Georges Liesch (déi gréng), Fred Bertinelli (LSAP).
Conseillers : Carlo Bernard, Pascal Bürger, Jos Glauden, Martine Goergen, Marcel Meisch, Christiane Saeul, Arthur Wintringer (DP). Fränz Antony, Pierre Hobscheit (LSAP), Robert Mangen, Pierrette Schambourg (CSV), Fränz Schwachtgen (déi gréng), Gary Diderich (déi Lénk), Ali Ruckert (KPL).
Aujourd’hui, le DP est-il vraiment remis de ce psychodrame ? La façade dit oui, mais l’arrière-ban est plus mesuré. Le choix de mettre en première ligne François Meisch, frère de Claude et fils de Marcel, en a étonné plus d’un. Certes, il peut se targuer «d’être membre du DP depuis 1995» et d’avoir écumé tant le comité régional que national du parti. Il n’empêche, s’il est bien connu à Differdange, c’est surtout en tant qu’ancien responsable du département culturel de la commune, président du comité des fêtes et coordinateur du centenaire de la ville en 2007. François Meisch est également chanteur, fan de blues. «J’ai plus de 1 000 concerts à mon actif au Luxembourg et dans la Grande Région», fait-il valoir en évoquant un de ses meilleurs souvenirs de scène au festival Rock um Knuedler.
Populaire, il l’est assurément, mais le voir en haut de l’affiche reste toutefois une vraie surprise. Le 7 janvier 2014, lorsque l’on évoquait à son père l’existence d’une dynastie Meisch à Differdange, Marcel Meisch répondait ainsi : «La politique coule également dans le sang de mon troisième fils, Michel, qui est membre de la JDL (NDLR : les Jeunes Démocrates).» Mais de François, il n’était alors pas question.
«Le DP m’a attaqué personnellement»
De son côté, Roberto Traversini accuse le coup car, visiblement, il ne s’attendait pas à une campagne aussi rude. Du moins, il ne voulait pas y croire. «Le DP m’a attaqué personnellement, ils ont franchi une ligne que nous nous étions promis de ne pas transgresser. Nous avions même signé une charte en ce sens.» De là à exclure de facto une éventuelle prochaine collaboration à l’hôtel de ville, comme au bon vieux temps ? Oui. «Avec ce qu’il vient de se passer, cela va être difficile de travailler avec eux», lance-t-il, amer.
François Meisch, lui, assure d’abord ne pas être opposé à l’idée. «Notre ambition est de rester le parti le plus représenté au conseil et de construire une coalition pour retrouver une majorité.» Avec les verts ? «Pourquoi pas, nous pouvons travailler de manière professionnelle avec tout le monde.» Même après avoir tancé le bourgmestre dans une page entière du Demokrat Déifferdeng ? «Il n’y a aucun mensonge dans ce que nous avons écrit, ce n’est que la vérité. Alors évidemment, ce sera difficile de travailler avec Roberto Traversini s’il reste tel qu’il est aujourd’hui. Il faudra qu’il change ses habitudes et ses manières de faire.»
S’il y a une fraction qui regarde le spectacle avec un petit sourire en coin, c’est bien celle des socialistes. En 2011, le parti a frôlé de près les cinq sièges et il est numériquement le plus puissant de l’actuelle coalition. Si, dans le fatras de 2014, laisser le fauteuil de bourgmestre aux verts qui n’avaient que trois représentants n’avait pas posé de problème, cette fois, Erny Muller ne s’en cache pas : «J’ai l’ambition de devenir bourgmestre.» Il n’y a pas besoin de sous-titre : en cas de coalition identique, le cadeau d’il y a quatre ans ne sera pas reconduit.
Mais Differdange reste Differdange et personne ne peut prédire ce qui sortira des urnes. Tom Ulveling – l’échevin CSV, troisième parti de l’actuelle coalition – évoque une donnée très intéressante : «Un tiers des électeurs inscrits sont nouveaux et n’ont pas participé aux dernières élections communales. Personne ne sait comment ils vont voter.» À Differdange, on peut tirer des leçons du passé, mais de là à tirer des plans sur la comète…
Erwan Nonet
Ce qu’en pense Claude Meisch
L’ancien bourgmestre et désormais ministre garde plus qu’un œil sur sa commune.
À la demande du Quotidien, Claude Meisch avait fait part de ses sentiments sur ces élections le 5 septembre dernier :
«Faire un pronostic sur le résultat des communales à Differdange ? Je peux peut-être vous donner les résultats du loto allemand du week-end prochain (il sourit). Ce sera plus clair et plus facile… Plus sérieusement, n’étant pas le porte-parole de la section locale du DP de Differdange, mais étant quand même membre du comité, je sais très bien que le DP s’est fixé deux objectifs principaux : le premier est de rester le parti le plus fort à Differdange et le second est de faire partie d’une majorité pour pouvoir développer la commune. Suivant cette volonté, nous avons plein d’idées pour l’avenir de la ville, une ville qui s’est bien développée ces dernières années, mais qui connaît encore pas mal de problèmes. Je pense au chômage, aux problèmes sociaux, à la structure de la population, aux problèmes d’infrastructures, de circulation… Cela étant, je crois que le DP a les bonnes réponses, car il a démontré, au cours des dernières années, qu’il est en mesure de ne pas uniquement proposer des choses, mais également de les implémenter. Pour cela, nous avons prouvé que nous méritons toujours la confiance des électeurs.»