Nicolas Henckes, directeur de la Confédération luxembourgeoise du commerce (clc), commente l’accord de coalition qui reste vague à ses yeux.
Quel est votre sentiment général d’un point de vue patronal sur l’accord de coalition ?
Nicolas Henckes : C’est un accord qui reste assez vague. Il y a des mesures précises comme les congés supplémentaires et l’augmentation du salaire social minimum, mais il y a aussi des dizaines d’études qui sont annoncées et des négociations entre partenaires sociaux. Ils ont fait des promesses, mais sans s’avancer de trop. De notre point de vue, il y a pas mal de risques, surtout quand ils parlent de négociations avec les partenaires sociaux. Chat échaudé craint l’eau froide et nous ne sommes pas très motivés à entamer des négociations dans le même état d’esprit qu’il y a cinq ans avec le gouvernement précédent. Nos politiques ont eu pour habitude d’imposer ce dont ils avaient envie avec de pseudo-négociations. Nous restons donc très en retrait et prudents sur ce qu’ils nous proposent comme négociations.
Vous avez déclaré à nos confrères de Paperjam n’avoir plus de relais politique. On a du mal à le croire…
Pourtant, c’est ce que je constate quand je vois des anciens syndicalistes élus au Parlement alors qu’il n’y a que Sven Clement et Tess Burton qui sont chefs d’entreprise et c’est tout. La ministre Corinne Cahen aussi, mais elle ne défend plus les intérêts des entreprises depuis cinq ans, elle a comme but principal d’équilibrer vie professionnelle et vie privée, hélas sans tenir compte des contraintes des entreprises. On voit maintenant que même la Poste et la police ont des problèmes avec les congés parentaux. Sur des grosses entreprises, ces congés les désorganisent, alors il faut imaginer une PME de 20 personnes qui se retrouve avec quatre ou cinq salariés en congé en même temps.
Même la Poste et la police ont des problèmes avec les congés parentaux
Ces personnels ne sont-ils pas remplacés par des contrats à durée déterminée ?
Nous ne pouvons pas les remplacer parce que nous ne les trouvons pas sur le marché. Résultat : des clients sont mécontents, car les dossiers prennent du retard. Ils se tournent alors parfois vers des entreprises frontalières qui n’ont pas ces contraintes luxueuses et sont plus flexibles.
Toutes les promesses contenues dans l’accord supposent une croissance soutenue. Avez-vous des doutes ?
Le Statec vient de réviser les chiffres à la baisse. C’est simple, si l’on a un ralentissement dans la zone euro, ce que j’ai lu ne correspond pas à une politique prudente. Dans un cycle haut avec des taux de croissance élevés, on ne devrait pas faire des promesses que l’on parviendra à peine à tenir avec les taux de croissance que l’on connaît aujourd’hui. On ne sera plus capable de financer tous ces cadeaux. Pour nos entreprises qui se battent à l’international, c’est quasiment impossible. Il existe alors un risque de voir certaines activités être déplacées dans d’autres pays européens, vers la Pologne ou ailleurs. Un mouvement semble d’ailleurs en train de se former.
Il y a une pénurie de compétences ici, les frontaliers restent bloqués dans les bouchons […]
Comment cela ?
Il y a une pénurie de compétences ici, les frontaliers restent bloqués dans les bouchons, les augmentations de salaires, les augmentations de congés dans tous les sens sont une accumulation qui pousse certaines entreprises parmi les plus grandes à faire leurs calculs et quand elles le peuvent, elles bougent. Les PME ne peuvent pas délocaliser aussi facilement donc elles doivent encaisser le choc. Reste à voir si ces mesures vont pousser les entreprises à investir dans l’automatisation et la digitalisation et dans ce cas on aura peut-être un arrêt de la croissance de la population active avec une hausse de la productivité. Mais si les entreprises commencent à se couper un bras ou une jambe, on se retrouverait dans une spirale négative. Si la croissance redémarre, on peut vivre encore comme ça pendant cinq ans. Mais c’est une fuite en avant. Dès qu’on aura un cycle bas, tout le monde va le ressentir.
Certains observateurs prévoient une nouvelle crise financière en 2019. Partagez-vous cette analyse ?
Si elle n’arrive pas en 2019, elle arrivera plus tard. Nous avons augmenté le coût du travail et c’est un acquis désormais, le dentifrice est sorti du tube, on ne le remettra pas dedans. Il y a toujours des tas de gens qui prétendent prédire l’avenir, mais la majorité se trompe. Nous, chefs d’entreprise, on se prépare pour le pire en espérant le meilleur et le gouvernement, lui, propose le meilleur en espérant éviter le pire. Les chefs d’entreprise ne peuvent avoir que de bonnes surprises.
Les classes moyennes avaient apprécié l’expérience de la tutelle du ministre de l’Économie, mais finalement il y a à nouveau deux ministres distincts…
C’est quelque chose que l’on ne comprend pas bien. Les classes moyennes devraient a priori rester dans le même bâtiment, mais avec deux ministres de deux partis différents, on ne voit pas la solution retenue. C’est le résultat d’une négociation politique. Le fonctionnement était bon et on craint une désorganisation et une lutte intestine entre les deux ministres qui n’ont pas des programmes identiques. On risque de se retrouver avec les soucis qu’on avait auparavant, mais peut-être qu’en pratique, ils vont garder la même organisation. Nous restons dans le doute, mais nous allons laisser une chance au jeune ministre qui arrive en espérant qu’il fasse aussi bien que Francine Closener.
Que pensez-vous du mouvement des « gilets jaunes » en France?
Cela fait partie de tous ces mouvements populistes que l’on voit fleurir partout. C’est de la courte vue et c’est inquiétant. Tout le monde voit son petit intérêt personnel immédiat et cela devient violent. Ce ne sont pas les « gilets jaunes » en tant que tels qui sont inquiétants, mais c’est l’état général de nos populations qui ne comprennent plus ce qui se passe. La politique, pendant des années, leur a caché certaines réalités et leur a mal expliqué le but de certaines réformes. Les politiques les ont caressées dans le sens du poil. Macron a mis en œuvre des choses qui auraient dû être réalisées depuis longtemps. Je prendrais comme parallèle chez nous les retraites. Nous demandons des petites réformes pour réajuster le tir et nous en avons eu une sous Mars Di Bartolomeo, mais on doit continuer. Les déclarations d’Étienne Schneider sont claires à ce sujet, mais le jour où ça va péter on aura nos « gilets jaunes » et ce sera compréhensible. Le gouvernement mène une politique « après moi le déluge » sur ce point. En Allemagne, il y a eu des prises de conscience sous Gerhard Schröder et le pays a fait un boom économique pendant 15 ans. Il l’a payé politiquement, mais il a fait progresser son pays.
[…]Entretien avec Geneviève Montaigu