Le président du Parti chrétien-social, Claude Wiseler, est missionné pour «remettre à flot le bateau CSV». Pas simple comme entreprise. En attendant, il trouve matière à critiquer le gouvernement.
Il y a eu l’affaire Frank Engel qui a entraîné d’autres mises en examen dans l’équipe de Claude Wiseler, élu président en avril dernier. Le parti essaye de se reconstruire avec ce dernier comme architecte. Il trouve plaisir à remplir cette mission, différente en tous points de son précédent statut de tête de liste.
Pour commencer avec une question qui fâche, que pense le président du CSV des difficultés judiciaires de membres de son équipe dans le cadre de l’affaire Frank Engel ?
C’est une affaire judiciaire en cours et je ne veux pas la commenter. La justice doit faire son travail. Je préfère travailler pour préparer l’avenir du parti. Je considère qu’un parti politique ne peut fonctionner de manière efficace que s’il est uni, sinon comment pourrait-il gouverner un pays ? Ce n’est pas évident de rassembler un parti populaire comme le nôtre avec énormément de gens, de talents, et mon rôle est de faire de tous ces talents individuels une équipe cohérente.
Les échéances approchent, avez-vous déjà des têtes qui émergent ?
J’y travaille. Pour rajeunir un parti au niveau des mandataires, cela dépend largement des décisions individuelles des parlementaires et des élus communaux. Le mandat est personnel et la démocratie étant ce qu’elle est, ils sont élus et il faut le respecter. Mais il y a d’autres façons de rajeunir un parti, par exemple doubler les postes à responsabilité au sein du parti pour donner une chance et plus de visibilité aux jeunes. La deuxième façon de faire est d’essayer au niveau des listes communales de placer beaucoup de jeunes. Dans les changements de statuts que nous allons opérer en septembre, il est prévu une modification indiquant que les listes aux élections nationales ne seraient finalisées qu’après les élections communales, qui seront un bon baromètre. Et on aura eu le temps de discuter avec les uns et les autres. Je demande toujours à un candidat ce qu’il compte faire de son mandat. En creusant un peu, on fait la différence entre ceux qui veulent travailler et qui ont des idées et ceux qui ne veulent qu’un mandat. Quand on fait de la politique, il faut avoir le souci des autres et aimer les gens et c’est pour cela que j’aime le système luxembourgeois du panachage qui se caractérise par la nécessité d’une relation très personnelle entre le candidat et les électeurs.
En 2018, vous avez dit toute votre frustration d’avoir déçu des gens qui avaient cru en vous…
Je ne suis pas tête de liste et mon rôle est de redynamiser le parti et de trouver les nouvelles têtes qui représenteront le parti et le rajeuniront au niveau de nos cadres. Ensuite, il s’agit de retravailler notre programme en ciblant quelques thèmes et non pas en abordant toutes les questions complexes comme nous l’avions fait auparavant. Surtout, il faut énoncer les choses clairement. Je préfère être clair sur nos idées, que vague et passe-partout. On gagnera en tant que parti si on est clair. Par exemple, je suis contre la légalisation du cannabis récréatif et ma position prend appui sur des raisons médicales. Je sais que je vais faire des mécontents autour de moi, mais ma position est claire et les gens savent à quoi s’en tenir. On ne peut pas contenter les uns et les autres, ce qui est difficile dans un grand parti. Il est par ailleurs important aussi de s’ouvrir sur d’autres groupes.
Lesquels ?
Des gens qui n’étaient pas a priori nos électeurs, mais qu’il faudra approcher de plus en plus. Des groupes que l’on n’a pas approchés précédemment, comme les nouveaux électeurs originaires d’autres pays et qui sont encore éloignés de la politique luxembourgeoise. Nous avons une chance à saisir. Nous avons une secrétaire générale adjointe qui est roumaine et qui va prendre ce volet en main.
Il y a eu la crise sanitaire et les temps de crise sont des temps gouvernementaux. L’opposition y trouve difficilement sa place
Allez-vous vous atteler à vos thèmes de prédilection, le logement, la mobilité et la croissance qualitative ?
Oui et je rajoute le thème de la santé et pas seulement à cause du Covid. Mais parce que le système de santé luxembourgeois nécessite aujourd’hui une modernisation de fond en comble. Je vois d’ailleurs qu’au sein de la « table ronde santé » (Gesondheetsdësch), on commence à y réfléchir aussi. J’ai demandé un débat à la Chambre sur le virage ambulatoire, qui pour moi signifie une décentralisation d’un système très hospitalo-centré pour que la médecine soit plus proche des gens. Cela demande une réflexion au niveau des infrastructures, de la présence des médecins et du cadre légal. Idem quand on parle de télémédecine. Il faut d’abord savoir qui est responsable de quoi. C’est une discussion qui devrait révolutionner la médecine luxembourgeoise. De même, nous engagerons également un débat sur l’Éducation nationale, où il est urgent de revoir les programmes et la façon de travailler. Nous présenterons également des propositions sur ce sujet.
Les sondages sont mauvais pour le CSV…
Je ne crois plus trop aux sondages depuis les dernières élections, mais on ne peut pas les ignorer. Je ne cherche pas d’excuse, mais des explications. D’abord, il y a eu la crise sanitaire et les temps de crise sont des temps gouvernementaux. L’opposition y trouve difficilement sa place, n’a pas les micros tendus et c’est difficile de percer, surtout si on commence à critiquer l’action du gouvernement et que l’on nous reproche de l’empêcher de travailler. Si on le laisse travailler tranquillement, on nous reproche de n’être plus présents sur la scène politique. Ensuite, les partis populaires comme le nôtre, à large spectre, s’érodent partout en Europe depuis une dizaine d’années, qu’ils soient de droite ou de gauche. Cela m’incite encore plus à vouloir mieux cibler une campagne électorale. Enfin, nous avons eu des problèmes internes largement répandus dans la presse, nous avons créé nos problèmes nous-mêmes. Trois causes différentes qui peuvent expliquer les sondages. Il faut dire qu’avec tout ce qui s’est passé au cours des six derniers mois, j’appréhendais ces sondages, mais on est au même niveau qu’en décembre dernier et cela aurait pu être pire. On s’est stabilisé à un niveau trop bas certes, mais je pense que la courbe va remonter avec le travail que l’on va abattre maintenant au sein du parti.
Les relations entre le parti et le groupe parlementaire se sont améliorées. Vous ne faites plus qu’un ?
Aujourd’hui, les relations entre le groupe parlementaire et le parti sont bonnes grâce à un effort commun. On fait beaucoup de réunions ensemble avec l’accord de Martine Hansen et de Gilles Roth et nous avons des discussions communes sur tous les grands sujets, ce qui nous donne plus de cohérence. Les conférences de presse sont communes, aussi, dorénavant. Il y a dans le travail du président du parti la mission de remettre à flot le bateau CSV. Avec tout ce qui s’est passé en interne ces six derniers mois, les gens ne sont ni très à l’aise ni très rassurés. Le Covid nous a empêchés d’avoir ce tête-à-tête avec la base et les sections locales n’ont plus vraiment eu l’occasion de travailler ensemble. Il faut remettre tout cela en route. Les élections communales avant les législatives, c’est plutôt très arrangeant, parce que cela permet de redémarrer les sections locales qui sont notre force. Le CSV est un gros bateau, parfois lourd à gérer, mais lorsqu’il fonctionne et qu’il avance, il a une grande puissance.
La perspective d’un Frank Engel qui envisage de créer un nouveau parti vous effraie-t-elle ?
Ce n’est plus notre problème. Frank n’est plus membre.
Il a gagné une élection à la présidence du CSV avec un peu plus de la moitié des voix quand même…
Il a démissionné, il est libre de faire ce qu’il veut. Cela ne me préoccupe pas plus. Je m’occupe de mon parti.
Corinne Cahen a péché par omission. Il était essentiel qu’un parti de l’opposition mette le doigt dessus, c’est notre travail
La politique menée par le gouvernement au cours de cette pandémie a été saluée par les électeurs dans ces derniers sondages. Vos critiques sur la gestion des maisons de retraite étaient-elles cependant justifiées à la lecture du rapport Waringo ? Vous a-t-il satisfait ?
La ministre de la Famille, Corinne Cahen, a péché par omission. Il était essentiel qu’un parti de l’opposition mette le doigt dessus, c’est notre travail. Je rappelle que l’ensemble des partis de l’opposition ont réclamé sa démission parce qu’ils ont fait la même lecture du rapport Waringo, qui n’est pas allé complètement au fond des choses. Il nous fournit cependant suffisamment de matériel pour déduire que la politique menée n’était pas correcte. Ce rapport nous apprend les erreurs à ne pas répéter en septembre en cas de reprise de l’épidémie. Malheureusement, la ministre de la Famille n’était pas présente pour le vote de la loi Covid (NDLR : jeudi dernier) et ne pouvait donc pas répondre à nos questions.
Pendant cette crise, n’y a-t-il pas eu de facto un glissement de compétences de la Famille vers la Santé, qui avait les bases légales pour agir ?
Si bien sûr, faute de mieux. Mais les maisons de retraite sont sous la tutelle du ministère de la Famille, qui aurait dû prendre ces mesures. Nous avons voté toutes les trois semaines une nouvelle loi Covid et rien n’empêchait Corinne Cahen, si elle estimait ne pas avoir de base légale suffisante pour agir, de se donner une base légale dans cette loi pour faire des ordonnances. Nous aurions été d’accord, on ne demandait que ça. Oui, nous avons critiqué, mais on ne pouvait pas ne rien dire sur ce qui n’a pas été fait au niveau des responsabilités ministérielles. En règle générale et surtout lors de la deuxième vague entre septembre et décembre, des mesures sont arrivées trop tard, ce que nous avons critiqué également, comme par exemple les rassemblements massifs, le « Black Friday » qu’on a laissé passer, le refus d’une application de traçage, etc. Il aurait fallu agir plus rapidement pour éviter les courbes élevées. Pendant cette deuxième vague, nous avons quasiment été champions d’Europe des infections et des décès et le gouvernement n’a pas réagi véritablement avant décembre.
Le CSV aurait-il introduit une obligation vaccinale pour le personnel soignant ?
Nous avons déjà réussi à ce que soit introduit un Covid Check pour les institutions pour personnes âgées dont le gouvernement au début ne voulait pas. Nous sommes toujours d’avis, comme notre proposition de loi l’indique, que le personnel doit se faire tester ou vacciner. Le gouvernement a pris à son compte cette proposition de loi introduite il y a un mois. L’obligation vaccinale pour le personnel s’occupant de personnes vulnérables est une question que l’on doit envisager si le système Covid Check se révélait insuffisamment efficace. La priorité pour nous est la protection des personnes vulnérables et nous avons besoin d’une étude épidémiologique pour savoir exactement ce qui s’est passé dans les institutions pour personnes âgées ces derniers mois et pour ainsi prévoir la suite en connaissance de cause.
Entretien avec Geneviève Montaigu