Claude Turmes, le ministre de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire, fait le point sur la transition énergétique en Europe et au Luxembourg en particulier. La France s’isole quand l’Allemagne s’envole.
L’Allemagne a donné l’exemple, il y a vingt ans, en légiférant en matière de transition énergétique. Un modèle largement suivi en Europe ?
Claude Turmes : Cette transition a été lancée par le gouvernement Schröder-Fischer avec Trittin à l’Environnement. Cette loi a créé le premier grand marché des énergies renouvelables et ce modèle est suivi par le Danemark, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne, le Luxembourg, l’Autriche les pays baltes, mais aussi la Grèce, Chypre et Malte.
C’est un modèle largement majoritaire en Europe et le modèle français, qui mise sur le développement du nucléaire, est suivi par très peu de pays, comme la Tchéquie et la Slovaquie et peut-être la Pologne dont on ne sait pas si elle va un jour construire du nucléaire vu son potentiel en énergie éolienne.
La sortie du nucléaire retarde aussi la fermeture de ses centrales à charbon dont elle dépend encore pour 23 % de l’électricité générée, contre 13 % en moyenne dans l’Union européenne, et ça, c’est un mauvais point ?
On prétend souvent que les Allemands sortent du nucléaire au profit du charbon, c’est complètement faux. Entre 2009 et 2020, il y a eu beaucoup de charbon et très peu de gaz parce que les prix européens des certificats de CO2 étaient retombés.
Si le prix du CO2 est bas, le charbon est avantageux et au contraire, s’il est élevé, c’est le gaz qui l’est. Maintenant, depuis le Pacte vert de l’Union européenne et son ambition de réduire ses émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030, le charbon sort très rapidement du système et l’Allemagne a démantelé des centrales à gaz dans la décennie 2010/2020, le Luxembourg aussi.
L’Allemagne est un gros exportateur net d’électricité et Il n’existe qu’un seul grand marché européen de l’électricité qui est régi par le signal prix du marché européen du CO2. Il y a trop de charbon partout en Europe parce que le signal prix était bas et maintenant qu’il a été rétabli à un prix normal, le charbon sort du système.
L’Allemagne n’a rien de particulier par rapport aux autres pays européens en ce qui concerne le charbon et le gaz.
Cette transition est néanmoins fragilisée par les changements politiques, en Allemagne comme ailleurs…
Il était important qu’un changement intervienne en Allemagne. Le nouveau ministre vert de l’Économie et vice-chancelier Robert Habeck est l’homme providentiel qui arrive au bon moment au bon endroit.
Il doit relancer une machine qui fonctionnait très bien dans les années 2000 et qui a été grippée par le gouvernement Merckel-FDP et le ministre Altmeier qui, sous la pression d’une frange de la CDU, a mis une limitation sur le développement solaire ces quatre dernières années et installé cette idée d’énormes distances entre les éoliennes et les habitations.
Il était temps que Habeck arrive. Je suis assez optimiste pour le nouvel objectif que s’est fixé l’Allemagne d’atteindre 80 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030. Cette politique va tirer vers le haut toute l’Europe où une majorité de pays ont déjà pris ce ticket des énergies renouvelables.
Pour atteindre ces objectifs, l’Allemagne, comme d’autres, devra développer encore son parc éolien alors que des sondages disent les citoyens saturés. Compromettant ?
L’Allemagne avait une grande adhésion de sa population à l’éolien, parce que plus de 80 % des éoliennes étaient aux mains de coopératives citoyennes, mais le ministre Peter Altmeier a cassé tout cet instrument qui proposait un prix garanti pour l’éolien.
C’est cette casse, organisée autour d’un système d’enchères, qui a rendu plus difficile le fait de construire une éolienne et découragé les citoyens.
Justement, l’énergie citoyenne est un levier essentiel de la transition énergétique allemande. Comment fonctionne le système luxembourgeois pour l’éolien ?
Au Luxembourg, notre système est différent. Les éoliennes sont développées avec les autorités locales, qui prennent une participation financière dans l’éolienne. Elles offrent à leurs citoyens la possibilité de racheter des parts de la commune quand l’éolienne tourne déjà.
Cela signifie zéro risque commercial pour le particulier. La bonne entente entre les investisseurs et les échevins permet d’installer des éoliennes dans un environnement optimal qui ne posera pas de problème aux habitants. Les maires savent très bien ce qui va engendrer des contestations ou pas.
Il y a un long travail de préparation entre le développeur de l’éolien et les autorités communales, mais c’est un modèle qui fonctionne et beaucoup de projets vont être mûrs d’ici deux ou trois ans. Les citoyens pourront y participer financièrement, comme c’est déjà le cas dans une bonne dizaine de communes. Nous réfléchissons d’ailleurs actuellement à une refonte de la loi.
Dans quel sens ?
Toute la législation sur l’énergie se base sur une loi de 1993 et nous étudions différents modèles comme, par exemple, le système écossais où aucune autorisation de construire une éolienne n’est délivrée s’il n’y a pas de participation citoyenne.
Il se peut que dans la loi nous donnions un cadre légal à ce qui se fait déjà sur le terrain naturellement.
Et pour l’énergie solaire, vous avez de nouveaux projets ?
Nous avons développé toute une batterie d’instruments ces dernières années, dont un cadastre solaire. Chaque maison au Luxembourg s’y trouve avec son potentiel de kilowatts-heure, une estimation du coût de l’installation, le prix garanti et dans combien d’années l’investissement sera amorti.
Pour favoriser l’autoconsommation, on a déjà modifié la loi pour que les concernés paient moins de taxes du système électrique. Pour augmenter la part autoconsommée, nous travaillons sur un programme de subvention de batterie pour stocker l’énergie solaire produite pendant la journée et la consommer quand on en a besoin.
L’année 2021 est le meilleur cru pour l’investissement dans l’énergie solaire
Nous allons faire une grande campagne de marketing autour de l’autoconsommation. Après, on a mis en place des enchères pour les très grandes installations industrielles sur les toits des bâtiments, les premiers projets sur les parkings et on a changé la loi sur les prix garantis concernant les installations sur les bâtiments agricoles.
Tout cela a fait que l’année 2021 est le meilleur cru pour l’investissement dans l’énergie solaire. En moyenne, dans les années 2013-2018, on produisait 5 mégawatts par an. On en est à 50 mégawatts aujourd’hui et on vise 80 à 100 mégawatts selon notre plan énergie-climat. Nous sommes en train de remonter la pente.
Nous avons encore le potentiel pour doubler la production d’énergie solaire ?
Oui, nous travaillons sur un projet-pilote avec le secteur agricole. Il s’agit de permettre aux agriculteurs d’investir dans le solaire sur champ.
Mais tout le monde a bien investi depuis 2021, que ce soit les citoyens individuellement, les agriculteurs ou les industriels. Nous avons aussi un programme qui encourage les communes à mettre leurs toits à la disposition de leurs citoyens.
Le sujet qui fâche en Europe et particulièrement au Luxembourg, c’est la question du nucléaire. La France se targue d’avoir produit 20 % d’électricité en plus que l’Allemagne, mais produit cinq fois moins de gaz à effet de serre… Que vous inspire cette comparaison?
La France a un énorme parc de chauffage électrique direct complètement inefficient et, chaque hiver, quand la température baisse, la France doit importer son électricité parce que son parc nucléaire n’est pas suffisant. Cette situation est encore pire cet hiver, car le parc nucléaire vieillissant a des problèmes de matériaux rongés par la corrosion.
L’Autorité de sûreté nucléaire a dû fermer plusieurs réacteurs pour cette raison, notamment à Penly. En décembre, il y avait quinze réacteurs hors réseau et ça montre que le parc existant a des problèmes de fiabilité. Normal, les réacteurs ont été construits pour 30 ans et c’est vraiment ignorer le stress que subit le matériel.
Avec Carole Dieschbourg (NDLR : la ministre de l’Environnement), nous avons écrit une lettre à l’Autorité de sûreté nucléaire parce que l’on sait que les quatre réacteurs de Cattenom sont de la même conception que Penly.
Nous avons besoin de garanties. La France rêve du nucléaire et ne fait pas assez de renouvelables et Macron promet maintenant du nouveau nucléaire.
Oui, justement, faut-il vraiment s’en inquiéter ?
Je secoue la tête quand un politique me dit qu’il a problème de climat à régler dans les dix années à venir, qu’il a un problème avec les prix de l’énergie et qu’en 2035 ou 2042, il aura la solution. C’est le délai pour construire du nucléaire.
La France a un modèle électrique qui montre toutes ses défaillances. Cet hiver, elle paie plus cher son électricité que l’Allemagne, qui va pourtant fermer ses centrales nucléaires en 2022. Le système allemand se porte mieux et je me demande vraiment ce qui va se passer en France avec une campagne électorale qui tourne le dos aux renouvelables, à part (Yannick) Jadot, le candidat écolo.
Ils sont en train d’organiser le black-out du pays et c’est aussi à ce titre qu’il faut s’en inquiéter, en plus des dangers que représentent le nucléaire et le stockage des déchets.
Le nucléaire dans la taxonomie verte, comment cela peut-il se produire ?
La présidente de la Commission européenne (NDLR : Ursula von der Leyen) a été influencée par le lobby gaz-nucléaire et a osé faire un abus de pouvoir monumental alors que le nucléaire a été refusé dans la taxonomie par la loi.
Elle veut le glisser dans un acte délégué, mais les traités lui interdisent une telle manœuvre dans ce domaine. Si la Commission européenne désire rouvrir le débat pour savoir si le nucléaire est vert, il faut faire un amendement à la loi. C’est de la responsabilité de tous les commissaires, qui devront se positionner.
Vous répétez à l’envi que la solution au changement climatique réside, outre le développement des énergies renouvelables, dans la mise en place de mesures ambitieuses d’efficacité énergétique afin de rendre les logements et les processus industriels moins énergivores. Où en est-on de la rénovation énergétique ?
Nous sommes surtout très forts sur les normes pour les nouveaux bâtiments et, dès 2023, il deviendra impossible de faire du fossile à la fois dans le résidentiel et dans les immeubles professionnels.
Toutes les aides à la construction favorisent l’emploi des matériaux durables et le recours à des procédés qui permettent de réduire les consommations énergétiques des bâtiments. Il y a effectivement un énorme chantier sur la rénovation des bâtiments et un problème de financement.
Nous réformons la « prime house« pour l’augmenter et nous avons trouvé un instrument avec le ministère du Logement pour attribuer une prime supplémentaire à ceux qui ont le moins de moyens pour réaliser cette rénovation.
Nous avons aussi créé un supercrédit pour le propriétaire qui procède à des rénovations énergétiques dans des biens qu’il loue. Tout cela crée aussi de l’emploi local dans l’artisanat pour les trente années à venir.
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