Durant la crise sanitaire, Vania Das Dores s’est coupée en quatre pour que les personnes âgées dont elle s’occupe au CIPA d’Esch-sur-Alzette gardent le moral. Elle raconte.
Éducatrice responsable de l’animation au CIPA d’Esch-sur-Alzette depuis 13 ans, Vania Das Dores prépare le matériel pour le cours de «danse assise» qui va débuter dans quelques minutes dans la salle des fêtes. Une dizaine de résidents se sont inscrits pour y participer, heureux de pouvoir enfin profiter d’activités en groupe : «Ils ont tous été vaccinés, donc on peut désormais reprendre certains ateliers à plusieurs. Ils sont très contents», constate-t-elle.
Un semblant de retour à la normale après une année extrêmement compliquée pour cette cheffe d’une équipe de cinq personnes : «Du jour au lendemain, il a fallu fermer les portes. Des familles venaient pour voir leur proche, on ne savait pas si on pouvait les faire entrer ou non. C’était un peu la panique», se souvient-elle.
Dès les premiers jours du confinement, la jeune femme comprend qu’elle va devoir totalement réinventer son métier : «J’ai eu peur qu’on ne puisse plus rien faire du tout, ce qui aurait été une catastrophe, car notre travail auprès des résidents est essentiel pour leur bien-être, tant physique que psychologique. Je me suis demandé comment faire pour continuer et on a trouvé des parades.»
Tous les jours, avec son équipe, Vania assure alors les appels visio des 167 pensionnaires à leur famille via des tablettes mises spécialement à leur disposition; multiplie les visites individuelles dans les chambres, prend des nouvelles; distribue des petits jeux et bricolages pour passer le temps; crée des vidéos avec les pensionnaires à partager avec l’extérieur; et surtout passe du temps auprès de chacun d’entre eux, pour parler et apaiser les angoisses.
Des souvenirs de la guerre
Car pour les aînés, cette période s’est accompagnée d’une sévère perte de repères, allant jusqu’à raviver des plaies du passé : «Ils ont vraiment très mal vécu le confinement. Ils ne savaient pas comment réagir, comment garder le lien avec leurs proches. Chez certains, cela a ranimé des souvenirs de la guerre. Beaucoup pleuraient aussi. On a assisté à des scènes à vous briser le cœur, quand des familles venaient au pied du bâtiment pour échanger quelques mots avec les résidents depuis leur fenêtre.»
Pour leur permettre de traverser cette épreuve le plus sereinement possible, Vania et ses quatre collègues se donnent pour mission de rester joyeux quoi qu’il arrive et de faire en sorte que cela se transmette : «On a appris à communiquer d’une autre façon. Même dans les moments les plus durs, quand il y avait des nouveaux cas tous les jours, il a fallu garder notre sourire derrière le masque», se souvient l’éducatrice.
Et pas question de prendre du recul, l’investissement a été total tous ces mois : «Ici, on est une famille. Ce n’est pas comme une firme qui ferme ses portes chaque soir. On passe plus de temps ici que chez nous, y compris les jours de fêtes, on est avec les résidents. Donc oui, il y a un investissement affectif important. Et c’est obligatoire, sinon on ne fait pas ce métier.»
Si bien qu’au moment où les familles ne pouvaient plus entrer dans l’établissement, l’équipe s’est tout naturellement substituée à elles : «On s’est sentis encore plus responsables que d’habitude. On a porté attention à chacun, et ils étaient toujours heureux de nous voir arriver avec un jeu, un bricolage ou la tablette pour une visio. On a appelé tous les jours ceux qui étaient hospitalisés pour leur insuffler un peu d’énergie», raconte-t-elle.
Pour tenter de garder la vie la plus normale possible à l’intérieur de la maison malgré le contexte anxiogène, les membres du personnel se sont aussi improvisés coiffeurs ou manucures, en regardant des tutos sur internet : «Des petits riens qui ont eu beaucoup d’importance», note la jeune femme, prête désormais à reprendre le programme d’activité hebdomadaire qu’elle orchestre.
«Elle était toujours à mes côtés»
Il y a de l’ambiance dans la salle des fêtes : le cours a commencé, on entend résonner La Ballade des gens heureux. Maracas en main, Alice, 94 ans, s’applique à suivre les mouvements indiqués par Vania et sa collègue. Elle rit avec Jeannie, assise à côté d’elle, qui chante le refrain.
«Ça fait un bien fou de se retrouver ensemble après tout ça. Vania est formidable ! Elle était toujours à mes côtés, avec toute l’équipe, même quand j’ai été hospitalisée durant dix jours. Le moral a baissé, c’est sûr, surtout que je suis encore très active : ne plus pouvoir rien faire a été dur», confie la dame, entre deux chansons.
Pour sa copine Jeannie, la crise a été plus supportable : «Je vis ici avec mon mari, donc à deux nous nous sommes soutenus. On a eu la chance de ne pas tomber malade et l’équipe d’animation nous a bien changé les idées !», souligne-t-elle.
Lentement, le CIPA s’ouvre à nouveau vers l’extérieur et reprend ses habitudes. Même si les tables du restaurant sont encore largement espacées et que le port du masque reste obligatoire (sauf pour les résidents vaccinés), l’atmosphère a changé et chaque personne âgée que nous avons croisée – après avoir effectué un test rapide comme chaque visiteur –, affichait un grand sourire. Mission accomplie pour Vania et son équipe.
Christelle Brucker
«On sent le poids des responsabilités»
Trois questions à Claude Gerin, chargé de direction du CIPA Op der Léier à Esch-sur-Alzette.
Comment réagit-on quand on dirige un CIPA et qu’un virus ciblant les personnes âgées devient une pandémie ?
On sent le poids des responsabilités sur ses épaules. On l’a senti dès le 13 mars 2020 et on le sent encore actuellement. Toute cette période, on a essayé de garder le plus de vie possible à l’intérieur du centre. De faire en sorte de garder le lien avec l’extérieur malgré la fermeture.
Votre CIPA a-t-il été particulièrement frappé ?
On a été touchés, oui, comme beaucoup de centres pour personnes âgées. De nombreux résidents ont été infectés et d’autres sont décédés.
Maintenant que la quasi-totalité des 168 résidents est vaccinée, vous pouvez souffler, non ?
Surtout pas! Il faut rester très vigilant ! Je suis vacciné, mais comme vous le voyez, je porte un masque FFP2. Les gens ont tendance à relâcher leur attention sur les gestes barrière et ça me cause beaucoup de souci. Certains visiteurs ne portent pas de masque sous prétexte qu’ils ont été vaccinés : je suis obligé d’intervenir.