Le ministre des Finances ne commente guère la nouvelle disposition qui limite l’importation de cigarettes en France à une seule cartouche au lieu de quatre selon le droit européen. Mais la directive va être révisée.
Le ministère des Finances fait profil bas. Dans sa réponse livrée au député socialiste Mars Di Bartolomeo concernant les quantités de tabac que les Français peuvent désormais importer depuis un autre pays membre, il se contente de mentionner les seuils fixés par la directive européenne que contourne allégrement le gouvernement français.
Début juillet, un amendement fixant des seuils inférieurs à ceux dictés par le droit européen a créé l’émoi dans une partie de la Grande Région. Les frontaliers qui avaient l’habitude de venir faire le plein de cigarettes au Luxembourg, soit quatre cartouches (800 cigarettes) par personne, selon le seuil minimum européen, étaient désormais autorisés à ne passer plus qu’une seule cartouche.
Pas d’instruction donnée aux vendeurs
Dans les stations-services du pays comme dans l’ensemble des bureaux de tabac, ce revirement interroge d’autant que cette directive de 2008 a été transposée en droit national français. La Commission européenne avait déjà déposé un recours pour manquement devant la Cour de justice contre l’État français qui avait été condamné en 2013 sur base de cette même directive. Voilà qu’il récidive.
Le directeur de l’administration des Douanes et Accises, Alain Bellot, avait déclaré au Quotidien que cet amendement n’était tout simplement pas légal. Le député Mars Di Bartolomeo voulait savoir si Pierre Gramegna était du même avis. Il contournera la question pour rappeler les textes européens en vigueur et qui sont d’une grande clarté. La directive européenne 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise indique que pour déterminer si les produits soumis à accise sont destinés aux besoins propres d’un particulier, les États membres tiennent compte d’un certain nombre d’éléments. Parmi ceux-ci la quantité des produits soumis à accise et les États membres peuvent, seulement comme élément de preuve, établir des niveaux indicatifs. Ces niveaux indicatifs ne peuvent pas être inférieurs à : pour les tabacs manufacturés : cigarettes : 800 pièces; cigarillos (cigares d’un poids maximal de 3 grammes par pièce) : 400 pièces; cigares : 200 pièces et tabac à fumer : 1 kg.
Devant les députés qui l’interrogeaient à l’Assemblée nationale sur cette incompatibilité avec la directive, Olivier Dussopt, ministre délégué en charge des Comptes publics, avait expliqué que cette baisse des seuils pouvait être «un moyen de faire vivre le débat sur l’harmonisation de la fiscalité». La position de la France vise en outre «un objectif primordial de santé publique et contribue à soutenir les buralistes et participe aussi à l’amélioration des comptes publics», ajoutait le ministre délégué.
Le ministre luxembourgeois des Finances ne compte pas en faire toute une histoire. Au contraire, il ne réagit gère et ne compte pas donner d’instruction particulière aux vendeurs de tabac. Le député Mars Di Bartolomeo, ancien ministre de la Santé, dit encourager «toutes les mesures contre le tabac» mais voit dans la décision française un problème : «Il n’est pas interdit de vendre aux clients, mais ils ne peuvent pas importer la marchandise en France», observe-t-il.
Dans les points de vente, comme à la frontière à Mondorf-les-Bains, les commerçants tirent déjà la langue avec le manque à gagner des frontaliers toujours en télétravail. Les employés des stations-services essayent d’expliquer à leur clientèle française que la situation a changé depuis le 1er août et qu’elle ne peut passer qu’une seule cartouche par personne.
Quels recours ?
Si la Commission européenne avait déposé un recours contre la France il y a dix ans, rien ne dit qu’elle recommencera aujourd’hui. Au contraire, elle semble vouloir aller dans la même direction que la France et a annoncé le 15 juillet dernier le lancement de la révision de la directive sur la taxation du tabac et des directives sur la taxation de l’alcool ainsi que de la disposition relative aux acquisitions transfrontières par des particuliers «afin de mieux contribuer aux objectifs de santé publique et de lutter contre la fraude fiscale», justifie la Commission.
Elle ne saisira pas la Cour de justice une seconde fois pour faire condamner la France. En revanche, le particulier peut contester devant un tribunal l’amende perçue par les douanes s’il se fait coincer avec ces quatre cartouches. Il pourrait rappeler la supériorité du droit européen sur le droit national et obtiendrait gain de cause.
La Cour de justice de l’Union européenne le rappelle souvent : «Tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire.»
Geneviève Montaigu