À peine arrivée, son nom est déjà sur toutes les lèvres des milieux culturel et politique luxembourgeois. Le premier fait d’armes de Suzanne Cotter en tant que directrice du Mudam – démonter la chapelle de Wim Delvoye – prête à controverse. Vendredi, elle était invitée à présenter sa vision pour le musée à la commission de la Culture de la Chambre des députés. Ce qui devait être le sujet principal de l’entrevue est devenu marginal.
Après l’affaire Lunghi, le Mudam n’avait, selon l’ancienne ministre de la Culture Octavie Modert, pas besoin d’une nouvelle polémique. Et pourtant, alors que Suzanne Cotter était très attendue pour reprendre les rênes du musée d’Art moderne, elle amenait un scandale politico-culturel dans ses valises. À peine installée, elle touchait à l’œuvre phare du musée, l’incontournable chapelle de Wim Delvoye. De son propre chef, comme elle l’a confirmé vendredi après-midi aux membres de la commission de la Culture de la Chambre des députés où elle avait été invitée à présenter sa vision pour le musée par le CSV. Elle n’y aurait donc pas été encouragée, comme certains députés semblent le sous-entendre.
«Madame Cotter a pris à sa charge la responsabilité de décisions prises par le conseil d’administration du musée par le passé» , a indiqué Marc Baum, de déi Lénk. «Sa situation est difficile. Elle est salariée d’une fondation privée et doit donc rendre des comptes à son patron. On est en droit de s’interroger sur le statut du Mudam, qui n’est pas un établissement public.»
Octavie Modert a été «surprise de la vitesse à laquelle Suzanne Cotter a pris la décision de démonter la chapelle» . Elle va même plus loin en insinuant que la nouvelle directrice aurait pu être téléguidée : «Je ne suis pas certaine qu’elle parle en son nom. Je n’ai rien contre le fait que la direction d’un musée décide de changer les œuvres exposées, mais elle vient à peine d’arriver…»
Même son de cloche du côté du socialiste Franz Fayot, qui pense qu’ «en tant que directrice, il est légitime qu’elle décide des œuvres exposées dans le musée duquel elle est en charge» . Il émet un doute quant à l’utilisation de l’espace ainsi libéré en évoquant une rumeur. Suzanne Cotter a dit vouloir le destiner à un espace pédagogique pour les enfants. Cependant, il pourrait également servir d’espace de récréation ou de cocktails.
La politique culturelle du DP remise en cause
Un projet qui ne fait guère l’unanimité auprès des membres de la commission croisés hier. «Suzanne Cotter dit avoir besoin de place pour exposer les collections du Mudam et elle veut utiliser cet espace pour d’autres choses. Il serait dommage que ces activités annexes priment sur l’aspect artistique» , note Octavie Modert. Marc Baum évoque «un secret de Polichinelle» – l’espace dédié à la chapelle se trouverait à côté d’une cuisine – et remet en cause la politique culturelle menée par le DP : «Le musée est financé à 80 % par de l’argent public. Si l’art doit faire place à des banquets pour gens aisés, alors la politique culturelle du DP est définitivement un échec.»
Cela commence donc mal pour la nouvelle directrice. Ajoutez-y une exposition écourtée de Su-Mei Tse – autre pilier du Mudam après Wim Delvoye – et un déjeuner de presse maladroitement organisé, et la polémique ne fait qu’enfler. «C’était une erreur de communication» , l’a excusée Sam Tanson.
Alors qu’Octavie Modert, Franz Fayot et Marc Baum ont trouvé que la vision de la directrice était « vague » et « évasive » ou qu’elle n’a utilisé « que des termes généraux », la députée écologiste a, quant à elle, trouvé l’échange « fructueux » et indiqué que Suzanne Cotter souhaitait notamment que le musée devienne une référence internationale et faire progresser la pratique du mécénat. «Elle est en poste depuis quatre mois, laissons-lui la chance de montrer ce qu’elle peut apporter au Mudam» , a suggéré Sam Tanson.
«Sa venue aujourd’hui était importante. Elle nous a expliqué qu’elle voulait que le Mudam devienne un lieu d’échanges et de discussions, un endroit qui encourage la pédagogie et un lieu où les œuvres sont exposées et conservées» , a enchaîné André Bauler, le président de la commission de la Culture. Si le député libéral est d’avis que «la politique ne doit pas se mêler des choix artistiques» , il se dit satisfait d’avoir pu rencontrer et écouter Suzanne Cotter : «Les échanges sont quelque chose de constructif. Ils nous aident à mieux comprendre certains choix, certaines stratégies et démarches.»
Après avoir eu un aperçu de la vision de Suzanne Cotter, les députés ont déjà pris rendez-vous avec la directrice du Mudam en septembre afin qu’elle leur présente une programmation plus détaillée de ses ambitions pour le musée.
Sophie Kieffer